Diagnostic
•Le tableau clinique d'urgence
Le diagnostic doit être évoqué en urgence devant la survenue quelques jours après un épisode de pharyngite ou d'amygdalite, de signes évocateurs :
– une douleur qui se localise d'un côté, intense, s'amplifie et irradie vers l'oreille ;
– une odynophagie majeure confinant à l'aphagie ;
– un trismus provoquant l'aspect nasonné de la voix en « voix de canard », hautement prédictif de l'existence d'un processus collecté ;
– une haleine fétide ;
– une hypersalivation ;
– une altération de l'état général, avec fièvre élevée à 39 °C, un faciès grisâtre infecté ;
– une asthénie importante.
Le cou peut être gonflé par un empâtement des ganglions sous-angulo-mandibulaires douloureuses à la palpation. L'examen endobuccal, souvent gêné par le trismus et la salivation, doit être doux.
Il montre, en cas de phlegmon antéro-supérieur (éventualité clinique la plus fréquente) :
– un hémipharynx rouge vif ;
– une asymétrie de l'isthme liée à la présence d'une tuméfaction unilatérale occupant le tiers ou la moitié supérieure du pilier antérieur du voile, qui est infiltré et oedémateux ;
– classiquement, l'oedème en « battant de cloche » de la luette qui est refoulée du côté opposé, lui donnant l'aspect d'une vessie natatoire oedématiée ;
l'amygdale est refoulée en dedans et en arrière (fig. 1).
Plus rarement, le phlegmon est de siège postéro-supérieur. Il se voit chez un malade ayant déjà eu des phlegmons de l'amygdale. Les signes fonctionnels et généraux sont identiques. La douleur est plus accentuée, l'otalgie plus constante. L'examen est trompeur, dans la mesure où la collection est située entre amygdale et pilier postérieur. On peut alors visualiser un pilier postérieur boudiné qui refoule l'amygdale vers l'avant. Il y a un risque de diffusion vers la margelle laryngée, avec dyspnée. La ponction en est délicate du fait de la proximité de la carotide interne. Cette forme est réputée entraîner moins de trismus.
Le diagnostic posé, il faut s'assurer de l'absence de diffusion du processus infectieux.
Autant il est habituel de palper des adénopathies sous-angulo-maxillaires douloureuses, autant un empâtement cervical, une douleur à la partie basse de la gouttière jugulo-carotidienne, voire un érythème cutané, doivent faire évoquer la diffusion du phlegmon à l'espace périamygdalien ou même une cellulite cervicale.
•Le diagnostic sera confirmé par la ponction exploratrice
Les examens complémentaires n'ont de place que pour la surveillance ou dans les cas douteux. La numération montre une polynucléose neutrophile. Le dosage de la CRP permet de suivre l'évolution dans la mesure où cette protéine doit rapidement se normaliser en cas de drainage efficace. Ce n'est que dans les cas douteux qu'un scanner cervical avec injection est indiqué. Il permet d'affirmer l'existence d'une collection lorsqu'en dépit d'une forte suspicion clinique la ponction est restée blanche. Il élimine une éventuelle cellulite associée.
Le traitement
Il repose sur l'antibiothérapie et l'évacuation de la collection.
•L'antibiothérapie
Les germes en cause sont aérobies dans environ 20 % des cas, et anaérobies dans 80 % des cas en sachant qu'il s'agit souvent d'une flore polymicrobienne. En pratique, l'examen bactériologique du pus a peu d'intérêt dans la mesure où plus de 98 % des infections vont être contrôlées par l'association pénicilline G et métronidazole ou encore par l'amoxicilline associée à l'acide clavulanique. Les soins locaux et les antalgiques sont bien sûr nécessaires.
•L'évacuation de la collection
La ponction exploratrice et évacuatrice confirme le diagnostic et participe au traitement. Elle est pratiquée avec une aiguille à ponction lombaire montée sur une seringue de 10 ml, en piquant le pilier antérieur juste en dehors de l'amygdale (fig. 2). Il s'agit d'un geste douloureux qui doit être pratiqué dix minutes après administration sous-cutanée d'un centigramme de morphine. Un pus marron, volontiers nauséabond, est alors évacué. Si la ponction est blanche, il peut s'agir d'une cellulite périamygdalienne susceptible de céder sous traitement antibiotique ou encore d'évoluer secondairement vers la collection. Néanmoins, l'existence d'un trismus est hautement évocatrice de la présence d'une collection.
Si une seconde tentative de ponction, douze heures plus tard, se révèle infructueuse, ce peut être l'indication d'un scanner avec injection afin de visualiser de la collection. Dans ces formes, il s'agit habituellement d'une collection postérieure refoulant l'amygdale vers l'avant qui nécessite d'être ponctionnée plus en dedans. Enfin, dans certains cas, en particulier chez l'enfant ou le patient pusillanime ou présentant un trismus très serré, ce geste ne peut être effectué. Globalement, la ponction évacuatrice permet de guérir le patient dans 94 % des cas.
•Evolution
Il est licite de ne tenter qu'une simple surveillance durant 24 à 48 heures jusqu'à disparition du trismus. Au cours de cette surveillance, la ponction peut éventuellement être renouvelée une fois si le trismus ne cède pas rapidement.
L'incision-drainage est une autre possibilité. Elle peut être réalisée au cours d'une brève anesthésie, car il s'agit là d'un geste extrêmement douloureux. L'intubation ne pose guère de problème en dépit du trismus, puisqu'il s'agit d'une contracture réflexe qui se lève avec l'analgésie de l'induction. On utilise une lame de bistouri 11 pour inciser le voile à l'aplomb de la collection avant d'agrandir le drainage ainsi réalisé avec une pince de Lubet-Barbon (fig. 3). Ce geste permet une résolution plus rapide des symptômes que la simple ponction. Il peut également être indiqué lorsque la ponction évacuatrice ne se solde pas rapidement par l'amélioration attendue : maintien du trismus, fièvre, élévation de la CRP.
•La place de l'amygdalectomie
Enfin, l'amygdalectomie est une autre éventualité qui doit en particulier être envisagée lorsqu'il existe des antécédents d'angines récidivantes.
Contrairement à l'idée reçue, l'amygdalectomie « à chaud » s'effectue avec une morbidité minime et, dans tous les cas, moindre qu'une amygdalectomie différée. Sont notablement moindres :
– le risque de saignement postopératoire ;
– la douleur et la durée d'hospitalisation.
Lorsque le phlegmon a été traité par ponction évacuatrice ou par incision-drainage, tout le problème est d'évaluer le risque de récidive. La revue de la littérature fait apparaître que ce taux de récidive est plus proche de 10 à 15 %. Il n'y a donc a priori pas d'indication à pratiquer une amygdalectomie à distance après un premier épisode de phlegmon.
Pour en savoir plus
(1) E.-N. Garabédian, S. Bobin, J.-P. Monteil, J.-M. Triglia. ORL de l'enfant. 1re Ed. Flammarion Médecine-Sciences, Paris 1996.
(2) P. Tran Ba Huy, Y. Manach. Les urgences en ORL : rapport de la Société française d'oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou. 1re Ed. Arnette, Paris 2002.
A propos des schémas
Ces schémas sont semi-fictifs :
– l'ouverture buccale est limitée, souvent à un travers de doigt. C'est par souci de clarté que nous représentons une bouche largement ouverte ;
– l'examen et, à plus forte raison, les gestes sont rendus difficiles par le trismus ;
– la ponction et l'incision doivent être rigoureusement sagittales. C'est par un artifice de dessin que les instruments sont représentés légèrement obliques.
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