Le peuple du refus

Publié le 11/11/2003
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Le plan du gouvernement pour venir en aide aux personnes âgées a été accueilli par une salve meurtrière de quolibets : de la gauche aux syndicats, des directeurs de maison de retraite à l'UDF, des personnels qualifiés aux salariés des entreprises, le cri est unanime : c'est non !

Pour commencer, on rappellera que c'est une France indignée, quasiment en larmes, profondément choquée, qui a appris l'hécatombe du mois d'août chez les personnes âgées. Une France unie pour dénoncer les organismes de santé publique, les dirigeants en vacances, les systèmes de veille, tous jugés indifférents, incompétents, incapables ou les trois à la fois.
Le gouvernement aurait été sourd qu'il aurait quand même entendu la clameur populaire, qu'il aurait perçu sa douleur, qu'il aurait compris sa sévérité.

Un déficit de civilisation

La France, peuple et gouvernants inextricablement mêlés, n'avait rien vu venir. Un peu de nos mœurs civilisées a été perdu en cette affreuse occasion.
L'effondrement de notre système de soins, le nombre très élevés de décès prématurés, le choc ressenti par le pays expliquent que Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin aient voulu, dans les plus brefs délais, démontrer à leurs mandants qu'ils ne restaient pas inertes et que, s'ils n'avaient pas su gérer la crise quand elle s'est produite, ils feraient en sorte de prévenir une crise ultérieure.
Mais leur action était inséparable du contexte socio-économique : croissance en berne, taux de chômage en progression, déficits publics en passe d'être sanctionnés par la Commission européenne. En d'autres termes, l'argent manque pour le fonctionnement habituel de l'Etat, il manque encore plus pour quelques gestes de générosité.
Comme MM. Chirac et Raffarin essaient désespérément de relancer la machine économique - ou tout au moins de la préparer à un retour de la croissance -, ils ont diminué l'impôt sur le revenu. Or, solidarité entre les générations, qu'est-ce que ça veut dire ? Que les jeunes doivent payer pour les vieux. Payer ? Avec de l'argent, ce n'était plus possible dès lors qu'on essaie d'améliorer le pouvoir d'achat des salariés. Et sauf à croire que le « trésor » des riches est inépuisable, ce qui est rigoureusement faux, le gouvernement a demandé aux Français, plutôt que des espèces, un peu plus de travail. Pour être précis, une journée supplémentaire.
Il agit de la sorte en parfaite harmonie avec sa propre philosophie. Quand la gauche dit qu'il a déjà commencé à démanteler la semaine des 35 heures, elle a tout à fait raison. Il l'a déjà fait en assouplissant les contraintes de la réduction du temps de travail. Et il s'est dit qu'au paradis des 35 heures et de la RTT, un jour de labeur en plus ne tuerait personne.
En tout cas, une chose est sûre : M. Raffarin n'a pas porté atteinte au pouvoir d'achat des Français et a réussi en même temps à financer le plan de solidarité avec les personnes âgées.

Solidaires, vraiment ?

Ce qui est confondant, c'est qu'à l'horreur ressentie par le peuple lors de la disparition de 14 802 personnes âgées a succédé, deux mois plus tard, le refus de solidarité. Car, si on ne veut ni travailler ni payer pour financer un système d'alerte et de prévention, cela veut dire qu'on se moque éperdument du sort des vieux et des dépendants. Cela veut dire que d'autres (qui ?) doivent être solidaires. Cela veut dire qu'on a été aussi prompt à oublier ce qui s'est passé en août qu'on l'a été à critiquer le gouvernement pour sa passivité pendant la canicule. Cela veut dire que les Français ne sont pas cohérents.
Pourtant, le gouvernement, comme M. Chirac l'a démontré, a établi un projet pour l'avenir. Il admet l'existence d'un nouveau risque pour la santé et il crée une caisse spécifique pour prévenir ce risque et financer la prévention.
Quand les directeurs et les professionnels des maisons de retraite affirment que le plan est insuffisant, quand ils disent qu'il y a dix mille maisons pour les vieux et qu'ajouter quinze mille places de soignant cela revient à accorder une place et demie pour chaque établissement, quand ils déclarent que deux milliards d'euros par an, c'est du pipeau, que signifie leur message ? Que rien ne suffit jamais. Mais il y a un début à tout. Quinze mille soignants de plus, ce seront peut-être, un certain été, quelques milliers de vies sauvées. Deux milliards d'euros, ce n'est rien, mais c'est beaucoup pour un budget en dépassement et c'est mieux que zéro euro.
Les mêmes professionnels ne peuvent pas nier, par ailleurs, que le gouvernement a pris en main l'ensemble des activités santé dirigées vers les personnes âgées et qu'il leur donne une structure. Il s'est hâté de pérenniser l'APA (aide aux personnes âgées) qu'il avait menacé de réduire ou de supprimer au nom des équilibres fondamentaux.

Des sous !

Enfin, il faudra bien que chaque Français, quelle que soit la profession qu'il exerce, comprenne que les caisses de l'Etat ont été vidées par la crise, par le manque de recettes fiscales et sociales. Chacun, dans sa partie, réclame des sous, comme si chacun ignorait ce que fait l'autre. Il faut protéger les personnes âgées, mais il faut encore accomplir de si lourdes tâches sociales !
Il est indéniable que le gouvernement s'est placé lui-même dans des contradictions qui ne résultent pas seulement de sa mauvaise communication. Il baisse les impôts et soudain il cherche des recettes dans les fonds de tiroir, fait des économies de bouts de chandelle sur la santé (mais qui tétanisent un secteur entier, l'homéopathie), augmente la taxe sur le gazole, et, pour finir, demande une journée de travail supplémentaire aux Français. Cela fait désordre. En attendant que les réformes soient adoptées et mises en œuvre, il était impératif d'augmenter la CSG. Elle a d'ailleurs été conçue pour financer non seulement l'assurance-maladie mais les besoins sociaux qui lui sont connexes, comme le troisième âge. Le gouvernement a refusé ce choix simple qui, il est vrai, risquait de réduire la consommation et de compromettre davantage la croissance. Mais il est sans cesse rattrapé par les besoins de la communauté nationale.
Et comme il a hérité d'une France qui a reçu des cadeaux sociaux pendant cinq années de croissance, il apparaît aux yeux de la population comme antisocial, proche du patronat, voué à la protection des riches. Ce n'est pas vrai : M. Raffarin et ses ministres veulent que l'argent privé soit mis au service de l'expansion économique et de l'emploi plutôt que taxé. Malheureusement, les apparences et la réputation comptent beaucoup en politique. Et le discours sur les mécanismes de l'économie de marché ne convainc personne. Il demeure qu'on est injuste avec M. Raffarin : on lui a reproché la chaleur de l'été et, maintenant qu'il s'efforce de régler le thermostat, on lui dit que ce n'est pas assez, ou trop cher, ou inutile.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7423