ON TROUVERA toujours un technocrate pour relativiser un phénomène qui paraît insensé au commun des mortels. Le patron de Total, Christophe de Margerie, estime en effet que le pétrole n'est pas une énergie très coûteuse et que, en termes de pouvoir d'achat, il est même «moins cher qu'en 1974». À vérifier. À cette époque, le prix du baril était d'environ 10 dollars et il ne nous semble pas qu'en trente-quatre ans l'inflation dans le monde soit établie à 1 350 %, ce qui correspondrait à une hausse des prix de 40 % par an. En outre, la contribution des prix pétroliers à la hausse des prix en général est énorme ; et si l'on peut vaguement espérer que les revenus finissent par rattraper les prix (ce qui est de moins en moins vrai), on n'en est pas moins dans un cercle vicieux créé par le seul pétrole.
Un coût pour l'économie et l'emploi.
Peut-on négliger la hausse des prix pétroliers ? Affecte-t-elle notre vie de tous les jours ? A-t-elle réellement un impact négatif sur les économies ? On sait fort bien, pour avoir éprouvé les conséquences de quelques chocs pétroliers au cours des trois décennies écoulées, que le pétrole, qui joue un rôle primordial dans tous les produits manufacturés, peut, par un prix élevé, modifier en profondeur les structures industrielles et commerciales et donc influer négativement sur notre prospérité. Il suffit de savoir que le chômage endémique et structurel dont souffre la France (avec deux millions de chômeurs que nous n'avons pas résorbés à ce jour) est un résultat de la hausse des prix du baril en 1974 et en 1980 (premier et deuxième chocs pétroliers).
Certes, nous n'avons pas ignoré tout à fait la leçon du siècle dernier. En France, par exemple, nous avons lancé un programme nucléaire qui nous met à l'abri du pétrole pour la consommation d'électricité. La part du pétrole dans l'industrie n'a cessé de diminuer. Des moteurs beaucoup plus économes ont été mis au point. Enfin, la convergence des impératifs écologiques et économiques nous permet d'espérer à long terme une indépendance croissante à l'égard du pétrole.
Il n'empêche que, pour le consommateur et nombre de professions qui fonctionnent au carburant (pêcheurs bien sûr, mais aussi transporteurs routiers, auto-écoles, chauffeurs de taxis et beaucoup d'autres), la hausse est intolérable. On a vu ce qui s'est passé du côté des pêcheurs. Mais le gouvernement a mis le doigt dans l'engrenage : la simple équité indique qu'il devrait accorder à d'autres professions les subventions qu'il a octroyées aux pêcheurs. Un tel laxisme ruinerait nos comptes. Le ministre du Budget, Éric Woerth, se plaignait la semaine dernière de ce que, loin d'apporter plus de recettes à l'État, la hausse du pétrole lui avait coûté quelque 400 millions d'euros en 2007 à cause de la diminution de la consommation.
LE PRIX A PAYER POUR UNE BAISSE DES COURS RISQUE D'ETRE UNE RECESSION"
Façon de faire taire les cris comme «l'États'enrichit sur notre dos!» qui n'ont pas une grande signification. On connaît les solutions à long terme, mais, manifestement, personne ne sait comment apaiser la fièvre du pétrole et comment échapper aux dégâts qu'elle cause aux économies. Les experts qui, naguère, annonçaient un baril à 100 dollars avec l'air de voyantes prédisant l'apocalypse, sont eux-mêmes confondus par la réalité.
La vérité la plus probable est la suivante : les prix vont tellement augmenter que, bousculant tous les garde-fous mis en place par les pays consommateurs, ils vont provoquer, comme en 1974, une sérieuse récession. On souhaiterait être moins pessimiste, mais il semble bien que ce soit la rançon à payer pour que le coût du baril se stabilise ou baisse.
Ce qui milite contre cette théorie, c'est que les pays producteurs la connaissent fort bien, pour en avoir éprouvé la réalité à plusieurs reprises. Eux qui, aujourd'hui, disposent de réserves hallucinantes, ont connu des déficits budgétaires colossaux et la dette publique. Ils sont donc conscients qu'ils ne doivent pas tuer la poule aux oeufs d'or.
Ce qui a changé.
Mais, d'une part, on trouve au sein de l'OPEP de nouveaux dirigeants comme Hugo Chavez (Venezuela), qui ne sont pas des modèles de rationalisme ; d'autre part, la Russie de Poutine a fait du prix du pétrole une arme géopolitique et même un moyen de domination. L'Arabie saoudite, premier arbitre des cours, est elle-même subjuguée par la richesse immense qu'elle accumule. Elle accuse les spéculateurs de provoquer la hausse. Mais les mêmes spéculateurs entendent fort bien les signaux à la baisse qu'on leur envoie : ils n'en reçoivent aucun. Enfin, un fait brutal explique tout : la production mondiale est de 85 millions de barils par jour, la consommation est de 87 millions et continue à grimper.
La raison du laissez-faire généralisé, c'est que l'on ne décèle pas les signes avant-coureurs d'une forte contraction de l'économie mondiale : les pays émergents poursuivent leur chemin avec une forte croissance, certains experts considèrent la crise financière comme terminée (ce qui est excessivement optimiste) et la croissance des pays de l'OCDE au dernier trimestre 2007 et au premier trimestre 2008 a été relativement satisfaisante, notamment en France. Comme si nous pouvions subir les coups de boutoir répétés de la hausse des prix sans en souffrir.
M. de Margerie continue à espérer que le prix du baril va descendre un jour à 80 dollars. Mais il ne faut pas être polytechnicien pour comprendre que, à 135 dollars, même une baisse soudaine (et pour le moment inespérée) ne ramènerait le prix à 80 dollars qu'au bout de plusieurs mois et même de quelques années.
Enfin, le plus surprenant, c'est l'incapacité des grandes institutions internationales et des gouvernements à réagir. De même qu'on a laissé les prix des matières premières et des denrées alimentaires monter au point de perturber l'approvisionnement et de déclencher des émeutes, de même on n'assiste à aucune concertation du G8 ou des producteurs et consommateurs réunis. On laisse faire le marché : quand le citoyen moyen réduira sa consommation de façon draconienne, les prix baisseront. Ce n'est pas encore le cas.
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