DE GRANDES ÉTENDUES vides, d’où surgissent néanmoins ça et là quelques formes énigmatiques, tours, statues et bassins ; des villes fantômes aux architectures antiques et à la perspective réinventée ; des intérieurs dans lesquels trônent des objets insolites et saugrenus, comme des mannequins sans visages, des fruits bien mûrs, des moules à gâteaux, des bouchons de pêche ; des gladiateurs, des chevaux et des cavaliers tout droits sortis d’un péplum moderne : tels sont, inventoriés dans le désordre, quelques-uns des thèmes et sujets de la peinture de Giorgio de Chirico, une peinture métaphysique, profondément singulière, austère et iconoclaste, et qui fut pour André Breton rien moins qu’à l’origine du changement de « la représentation visuelle de l’homme ».
À son arrivée à Paris en 1911, le peintre italien se lie d’amitié avec Apollinaire, Picasso, Derain, Picabia. Ses incongruités picturales, l’esprit décalé qui inspire ses toiles ne sont pas sans intéresser les surréalistes, avec qui il entretient une relation forte, avant que Breton ne le récuse. Influencés par le symbolisme des peintres germaniques (Arnold Böcklin) et par la philosophie de Nietzsche, tout autant que par les architectures néoclassiques, les univers oniriques de Chirico abolissent toute confrontation rationnelle et logique entre les objets, les époques et les styles. Des personnages mythologiques (Ariane, Hector, Andromaque) côtoient des ustensiles de la vie quotidienne, dans un joyeux brassage et recyclage qui fait s’enchevêtrer, toutes époques confondues, les références au Quattrocento, au classicisme et aux temps modernes.
Dans les années 1920, le peintre se range à un style proche du classicisme, fait revivre une antiquité révolue avec forces représentations de temples, colonnes, drapés antiques et centurions, tout en se défendant d’appartenir pour autant au courant de renouveau de la peinture italienne officielle. En insatiable curieux de l’histoire de l’art des siècles passés, il réalise de multiples copies des uvres de Michel-Ange, Raphaël, Fragonard, Courbet, ou se représente dans des autoportraits kitsch en costumes d’époque, avant d’amorcer un tournant de style néobaroque. Dans les années 1940, Chirico revient à ses uvres antérieures et les reproduit pratiquement à l’identique, s’exposant à un procès en épuisement créatif ou en « suicide pictural ».
C’est peut-être dans les dernières compositions de Giorgio de Chirico que nous comprenons le mieux la portée, l’essence de son art. L’artiste continue à peindre de grands espaces vides, mais y ajoute des détails burlesques, saugrenus, des clins d’il. Beaucoup d’ironie et d’absurdité imprègne ces ultimes toiles, où l’on voit Ulysse ramant en barque à l’intérieur de sa chambre, des soleils noirs aux rayons tentaculaires, un gratte-ciel énigmatique… Au moyen de son « regard intérieur », Chirico a voulu témoigner du « non-sens de l’existence ». « La vie ne serait-elle qu’un immense mensonge ? », questionne-t-il, en guise de conclusion à cette exposition.
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 16e, tél. 01.53.67.40.00. Tlj sauf lundi, de 10 à 18 heures (jeudi jusqu’à 22 heures). Entrée 11 euros (TR 8 et 5,50 euros). Jusqu’au 24 mai.
À lire : catalogue, éd. Paris Musées, 360 p., 39 euros ; « Giorgio de Chirico », par Giovanni Lista, éd. Hazan, 224 p., 19 euros.
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