Dans les milieux feutrés du landernau sanitaire, l’annonce a fait l’effet d’une bombe : le très respectable Pierre Morange, député maire de Chambourcy et président de la Mecss, demandait en février dernier la démission, illico presto, du directeur général de l’agence régionale de santé Claude Évin. À l’origine de cette sortie tonitruante, la décision prise par le nouveau DG de l’ARS francilienne de mettre un terme aux travaux de reconstruction du centre hospitalier intercommunal de Poissy Saint-Germain (CHIPS), sur la commune de Chambourcy dès 2011. Pour ce faire, l’ancien ministre de la Santé bénéficiait d’un épais dossier à charge contre le CHIPS : son déficit cumulé, par exemple, atteignait quelque 88 millions d’euros… Mais, aussi justifiée soit-elle, cette décision est tombée comme un couperet, dans un milieu habitué à la « concertation », et aux arrangements de dernière minute. Autre département, autre établissement : début février, près de 500 personnes manifestaient devant l’hôpital Henri-Mondor (94) à Créteil. Mot d’ordre de la manif : sauvegarder la chirurgie cardiaque de Henri-Mondor. Car, courant janvier, l’ARS a signifié à la direction générale de l’AP-HP qu’elle lui retirait, sur quatre autorisations, une autorisation de chirurgie cardiaque. Henri-Mondor étant l’établissement dont l’activité en chirurgie cardiaque était la plus faible, son service semblait condamné… Pour les praticiens en poste, l’arrêt de la chirurgie cardiaque remet en cause la cardiologie interventionnelle, puisque cette spécialité ne peut être pratiquée dans certaines indications que s’il existe une autorisation de chirurgie cardiaque. Un avis qui n’est pas partagé par l’ARS. Quoi qu’il en soit, après la polémique, l’été dernier, sur la permanence des soins hospitalière, (on annonçait à tort l’ouverture unique d’un service d’urgence chirurgicale par département), ces derniers développements prouvent, à qui en doutait encore, que le patron de la santé en Île-de-France, c’est bien Claude Evin.
Décision Santé. Qu’en est-il du projet de l’ARS Ile-de-France de ne maintenir qu’une seule urgence par département ?
Claude Évin. Cela ne concerne pas les urgences. Il s’agit en fait de l’organisation de la permanence des soins hospitalière en chirurgie, 24 heures sur 24. Nous travaillons actuellement sur ce sujet avec les fédérations hospitalières, et nous préparons les cahiers des charges de la permanence des soins hospitalière, dans le cadre du projet régional de santé (PRS).
D. S. On avait annoncé une permanence de soins par département…
C. E. Ça n’a jamais été le cas, ce n’est pas cela qui est en discussion.
D. S. C’est ce qui a provoqué des remous en tous les cas…
C. E. Oui, certains ont voulu provoquer des polémiques à ce sujet. Tout le monde reconnaît que la permanence des soins dans les établissements de santé n’est pas sécurisée. Mon objectif vise la qualité de l’offre de soins : il nous faut donc travailler avec les établissements pour organiser le début de nuit, la nuit profonde, afin de sécuriser le(s) service(s) où se trouve un chirurgien, et organiser les astreintes dans les autres établissements, en complément des gardes sur place. J’ai également pour objectif d’améliorer la répartition de la prise en charge sur l’ensemble de la région : en ce qui concerne la chirurgie de spécialité, ORL par exemple, elle est mal organisée sur l’ensemble de la région.
D. S. Travaillez-vous concomitamment avec la DGOS qui a lancé une enquête sur les gardes et astreintes ?
C. E. La DGOS a lancé une enquête sur la question. Mais la région avait déjà débuté ce travail il y a plusieurs mois, avec l’ensemble des acteurs concernés.
D. S. Où en est-on de la fermeture de la chirurgie cardiaque d’Henri-Mondor ?
C. E. La situation est très claire. Nous sommes là dans la mise en œuvre du schéma régional d’organisation sanitaire. Le Sros cardiologie a été publié le 29 juin 2010, à l’issue de travaux de préparation, et de concertation au sein des conférences de territoires au printemps 2010. Nous devions tenir compte du fait que nous avons de moins en moins besoin de chirurgie cardiaque, et que les services qui la pratiquent en France, relativement à d’autres pays en Europe, ont une activité modeste. Le Sros a donc prévu de passer de 14 sites de chirurgie cardiaque à 10 sites. D’ores et déjà, plusieurs sites de chirurgie cardiaque ont fermé, à La Roseraie (93), à l’hôpital Foch (92), et bientôt à l’hôpital Saint-Joseph (75). Le quatrième centre ayant le moins d’activités en Île-de-France est l’hôpital Henri Mondor (94). J’ai donc indiqué à la direction générale de l’AP-HP que, sur quatre autorisations, elle n’en aurait plus que trois. C’est un sujet qui est en débat à l’AP-HP depuis dix ans ! Je rappelle si besoin est que la chirurgie cardiaque est de l’activité programmée, que le centre Henri-Mondor ne perdra pas sa cardiologie interventionnelle dans les spécialités d’angioplastie et de rythmologie. Il est souhaitable que Henri-Mondor se rapproche d’un autre centre de l’Assistance publique, afin d’y développer les activités de soins, mais aussi de recherche et d’enseignement.
D. S. Vous avez décidé de l’abandon de la reconstruction du CHIPS à Chambourcy. De nouveaux projets se sont fait jour, dont celui de M. Emmanuel Lamy, maire de Saint-Germain en Laye, qui propose de « défusionner » les deux établissements. Qu’en pensez-vous ?
C. E. J’ai alerté le CHIPS en janvier dernier à la suite de la remise d’un rapport des conseillers généraux sur la situation financière de cet établissement, et sur le projet médical, qui nécessitait un investissement de 834 lits. Il m’est apparu que le CHIPS était dans une situation financière très dégradée, et présentait un déficit cumulé important de 88 millions d’euros. Le niveau d’endettement était également très élevé. D’autre part, le projet médical ne m’apparaissait pas suffisamment fondé. J’ai donc demandé à l’établissement de stopper le début de chantier qui devait commencer au mois de janvier. J’avais d’ailleurs alerté la direction de l’établissement au cours de l’été 2010. Pour le moment, c’est la seule décision que j’ai prise sur ce dossier. Je rappelle par ailleurs que cette construction ne peut se faire sans financement d’Hôpital 2012 : or, le gouvernement n’a pas encore arbitré la répartition les financements de la deuxième tranche Hôpital 2012. Comme je l’ai dit au responsable de l’établissement ainsi qu’au personnel, lors d’une assemblée générale de l’établissement à laquelle j’ai été convié, toutes les hypothèses sont ouvertes. Je demande quant à moi à l’établissement de travailler sur une offre médicale de qualité à la fois sur Poissy et Saint-Germain. Mais toutes les hypothèses sont ouvertes : reconstruction d’un autre projet à Chambourcy, ou consolidation des deux sites séparés, tout est ouvert !
D. S. Pierre Morange, maire de Chambourcy, qui a appelé à votre démission, a demandé l’arbitrage de Xavier Bertrand. Qu’en pensez-vous ?
C. E. Il est bien évident que je n’ai pas pris cette décision sans en parler avec le ministre, ainsi qu’avec d’autres responsables, au plus haut niveau des services de l’État… Si j’avais senti que des réserves s’exprimaient, je n’aurais pas pris ce genre de décisions.
D. S. Quelle est votre méthode pour mettre au point le projet régional de santé (PRS) ?
C. E. Nous élaborons actuellement le projet stratégique, qui sera soumis aux conférences de territoire le 28 mars, et à l’appréciation de la CRSA, du conseil régional, des conseils municipaux, du préfet, etc. à partir de début juin. Au fur et à mesure que nous produisons de nouveaux documents, nous les mettons sur le blog de l’agence pour que tous ceux qui souhaitent les discuter puissent le faire. Nous engagerons la même procédure quant aux schémas d’organisation, quels qu’ils soient.
D. S. Quelles sont les principales thématiques qui se dégagent de cette concertation ?
C. E. La réduction des inégalités de santé en Île-de-France est une priorité. Nous devons réduire ces inégalités et permettre un accès aux soins sur l’ensemble de la région, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Cela a un impact sur l’organisation hospitalière, entre Paris, la petite couronne et le reste de la région. D’ailleurs, entre le médico-social et l’hospitalier, la situation est inversée : en effet, nous avons beaucoup de moyens hospitaliers au centre de la région et peu en périphérie, tandis que nous manquons d’équipements médico-sociaux au centre, alors que nous avons des possibilités d’accueil dans les départements de la périphérie.
D. S. Concernant le médico-social, vous allez injecter 125 millions d’euros pour la création de 6 000 places.
C. E. Il s’agit en effet de l’enveloppe anticipée de la CNSA sur la période 2011-2013.
D. S. On a l’impression que le médico-social est plutôt avantagé relativement au sanitaire…
C. E. Concernant le sanitaire, nous sommes confrontés à une évolution de la prise en charge : les maladies chroniques nécessitent un suivi qui doit être organisé à domicile, en alternative à l’hospitalisation. La prise en charge chirurgicale a également évolué : l’ambulatoire se développe, mais aussi l’hospitalisation de jour. Aujourd’hui, la qualité de la prise en charge sanitaire ne s’apprécie plus en fonction du nombre de lits. Dans le secteur médico-social, compte tenu du vieillissement de la population, et de l’évolution de certaines pathologies, nous avons besoin davantage de prise en charge pour les personnes âgées et handicapées. Nous sommes actuellement dans une situation où la capacité d’accueil en hospitalisation complète se réduit, tandis que la prise en charge médico-sociale a tendance à augmenter.
D. S. Bertrand Delanoé, et Jean-Marie Le Guen, s’opposent vivement aux fermetures de services à l’AP-HP. N’êtes-vous pas en porte-à-faux vis-à-vis du PS ?
C. E. Je remplis une mission aujourd’hui avec les convictions que j’avais au début de mon action publique il y a 30 ans. Dans le secteur de la santé, que ce soit au moment où j’étais ministre, entre 1988 et 1991, au Parlement, à la présidence de la FHF, ou à la direction générale de l’ARS actuellement, je n’ai pas changé de conviction. Quel est l’objectif ? Garantir un système de solidarité nationale et une meilleure qualité de la prise en charge des patients. Je veux être jugé au regard de ces objectifs, non sur des éléments polémiques.
D. S. Malgré tout, cela ne crée-t-il pas certaines frictions avec vos camarades ?
C. E. Non, je n’ai aucune difficulté en la matière. Je suis prêt à débattre de chacune de mes décisions, y compris de manière publique.
D. S. Vous aviez l’intention « d’éclater » l’AP-HP. Ou en êtes-vous ?
C. E. Je n’ai jamais eu cette intention. J’ai dit à l’AP-HP qu’elle participe davantage à la construction d’une offre de soins régionale avec les autres établissements de santé, pour ne pas fonctionner en autarcie. Nous avons lancé un certain nombre de coopérations, avec le CASH de Nanterre, lorsqu’il s’agit de Louis-Mourier, avec le centre hospitalier intercommunal de Créteil, lorsqu’il s’agit de Henri-Mondor. Je souhaite aussi que l’AP-HP prenne en compte l’ensemble des populations d’Île-de-France, et non pas seulement celles de Paris intra muros.
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