COMMENT ne pas croire ainsi à la réalité du personnage de «Leporello» (1), le valet de Don Giovanni inventé par Mozart, mais tel que le campe Jean Dutourd ?
C'est lui qui, au lendemain de la mort du séducteur qu'il avait servi pendant quatorze ans, raconte qui il fut vraiment ; et à travers son portrait, c'est l'Europe des Lumières et du libertinage que Jean Dutourd met en scène avec une allégresse certaine.
Le maître Jacques ne montre ni sévérité ni indulgence particulière. Il est inexact, selon lui, de faire de Don Giovanni une « machine à forniquer »... surtout parce qu'il passait plus de temps à soigner ses maladies vénériennes qu'avec ses maîtresses ! Et d'ajouter que si «M. Giovanni, tout intelligent qu'il fût, était dans le fond de son coeur une brute, incapable de pitié», il connaissait et comprenait cependant très bien la femme. Jean Dutourd nous fait voyager ainsi aux quatre coins de l'Europe et dévoile ici et là quelque secret d'alcôve, il nous fait rencontrer le prince de Ligne, l'impératrice Marie-Thérèse, le cardinal de Bernis et établit une sorte de comparaison avec ce séducteur d'une autre trempe que fut Casanova ; enfin, il marque un temps d'arrêt à Vienne où se noue le drame entre Donna Elvire et son père.
Est-ce à dire que l'histoire se répète ? Non, car l'auteur use de son droit de romancier : le Commandeur est un vieil imbécile et sa fille une redoutable pécore, tandis que la vérité de Leporello n'est pas celle de la morale habituelle.
Reste un agréable divertissement à savourer... en écoutant Mozart peut-être !
Dans la lumière de Voltaire.
Cela sied à Jacques-Pierre Amette de se placer dans l'ombre d'écrivains célèbres. « La Maîtresse de Brecht », qui nous transportait dans les ruines de Berlin, lui avait valu le prix Goncourt en 2003 et aujourd'hui il récidive en nous conviant à «Un été chez Voltaire» (2). Plus précisément, en cet été 1761, Voltaire reçoit dans sa résidence à Ferney. Au crépuscule de sa vie, il a décidé de mettre en scène « le Fanatisme ou Mahomet », une charge contre l'islam et les monothéismes fort critiquée lorsqu'il l'avait écrite vingt ans auparavant, et pour l'interpréter – autant que pour le plaisir des yeux – il a invité deux jeunes comédiennes italiennes ; mais aussi des représentants des arts, de la politique et de la religion, un cocktail propice aux intrigues de cour et de coeur qui se mêlent en une charmante comédie où se détachent l'ironie et la réflexion du philosophe.
Jacques-Pierre Amette s'est inspiré de l'abondante correspondance de Voltaire – dont les lettres échangées avec son meilleur ennemi, Rousseau, installé à quelques kilomètres de là, ce « cornichon de philosophe suisse » qui triomphe avec son roman « La Nouvelle Héloïse » à la morale calviniste – pour faire parler son hôte ; pour les autres, il a brodé à l'envi, et l'ensemble donne un livre enjoué, léger, gavé de soleil et d'un savoir qui ne se prend pas au sérieux.
La Caligaï, âme damnée.
De la même façon que l'on sait que Mahomet n'a pu empêcher les fanatismes de se développer par la suite, on sait que, oui, Leonora Caligaï fut brûlée sur le bûcher. Son mari, Concini, ne connut pas meilleure fin qui fut tué et mangé par la foule des Parisiens. Mais avant… quelle montée en puissance retrace Pierre Combescot dans «Faut-il brûler la Galigaï?»(3) !
Cet amateur de destins extraordinaires placés sous le signe de la violence – prix Médicis en 1986 pour « les Funérailles de la Sardine », prix Goncourt en 1991 pour « les Filles du calvaire » – narre avec entrain l'irrésistible ascension de l'âme damnée de Marie de Médicis.
Fille d'un menuisier et d'une blanchisseuse du palais Pitti, propulsée soeur de lait de la future épouse de Henri V, demi-naine et contrefaite mais d'une intelligence, d'une ruse et d'une ambition incomparables, Leonora va tout rafler, fortune et titres pour elle et son gigolo de mari. Il faut dire qu'en cette époque aussi le pouvoir ne restait entre les mains – des grands du royaume ou des arrivistes - que des plus habiles en intrigues, complots politiques, conspirations et autres assassinats. Et à ce jeu, la Caligaï était forte, très forte, ainsi que le rappellent les multiples anecdotes rassemblées par l'auteur dans ce récit historique truculent.
Goya et l'Inquisition.
Ecrits à quatre mains par deux maîtres de la mise en scène, le scénariste et romancier Jean-Claude Carrière et le réalisateur Milos Forman, «les Fantômes de Goya» (4) sont une peinture saisissante de l'égarement des passions et des croyances. Le récit se situe dans l'Espagne de la fin du XVIIIe siècle toujours sous l'emprise de l'Inquisition vieillissante, mais il a valeur universelle et trouve écho aujourd'hui.
Issu du peuple, Lorenzo Casamares s'est hissé, par ambition et conviction religieuse, au plus haut niveau du Saint-Office. En cette année 1792, il fait faire son portrait par Francisco Goya, le peintre officiel de la Cour depuis dix ans, qu'il appelle parfois « mon ami », alors même que celui-ci termine le tableau de la très jeune et très belle Inès, la fille du commerçant Tomas Bilbatua. Le drame peut se nouer.
La première fois où elle est autorisée à sortir de chez elle, la jeune fille est arrêtée, emprisonnée, mise à la question et, après que, bien sûr, elle a avoué tout ce qu'on voulait, accusée d'hérésie. Le peintre demande à Lorenzo d'intervenir en sa faveur. Dans les geôles, le moine abuse d'elle, et l'abandonne à son sort.
Quinze ans plus tard, Napoléon envahit l'Espagne. L'Inquisition est abolie par décret, au nom de la liberté de pensée, et les prisonniers libérés. Parmi eux, Inès, méconnaissable, se réfugie chez Goya, le seul survivant de son monde d'avant.
Elle pleure après le bébé qu'elle a mis au monde en prison et qu'on lui a enlevé.
Surprise : au premier rang des gens de justice, Lorenzo tient le sort de ses anciens comparses inquisiteurs entre ses mains. Désormais marié à une Française et père de trois enfants, il a fait siennes les idées de Saint-Just selon lesquelles «il n'y aura pas de liberté pour les ennemis de la liberté». Ainsi donc, la lumière peut aveugler autant que l'obscurité…
Un roman biblique.
Le nouveau roman de Gerald Messadié, «Judas le bien-aimé» (5), est sans ambiguïté : «Il n'y a pas eu trahison de Judas, et le revirement du Vatican deux mille ans plus tard démontre qu'il n'était plus possible de soutenir la mystification. Jésus a organisé sa propre arrestation, comme il avait mis en scène son entrée royale à Jérusalem. Jésus a exigé de Judas un acte d'amour sans borne: assumer l'acte atroce de la trahison apparente, afin d'accomplir les Ecritures. »
Avec l'érudition qui le caractérise, en s'appuyant sur les textes – les Evangiles canoniques, les textes bibliques et les textes exégétiques – Gerald Messadié poursuit la réflexion induite par l'annonce, en 2005, de la découverte, dans le désert égyptien, d'un « Evangile de Judas », dont les fragments échappés au temps et à la cupidité des trafiquants de manuscrits étaient assez conséquents pour jeter à bas la tenace légende du traître Iscariote.
Dernière question : pourquoi Jésus choisit-il Judas, le seul non-Galiléen des Douze ? Pour l'auteur, c'est là un choix naturel, puisque l'apôtre fut initié par son maître aux secrets de la création.
La conquête musulmane de l'Espagne.
«Tarik ou laconquête d'Allah» (6), de Patrick Girard – historien et journaliste spécialiste des affaires africaines – retrace l'histoire des premiers temps de l'émirat de Cordoue, remontant jusqu'à la conquête musulmane de l'Espagne.
En 711, le Berbère Tarik Ibn Zyad – qui donnera son nom à Gibraltar (Djebel Tarik) – conduit son armée, venue de Tanger, jusqu'en Espagne, et soumet la quasi-totalité du royaume. C'est, d'un côté, l'âge d'or de la conquête, marquée par les incursions des troupes arabo-berbères en Gaule, et les différentes tentatives de reconquista par les souverains chrétiens réfugiés dans les monts cantabriques, et, de l'autre, les expéditions plus ou moins heureuses de Charles Martel, de Charlemagne et quelques autres.
On pénètre ainsi dans Kurtuba (Cordoue), devenue la capitale de l'Espagne, où cohabitent Arabes, Berbères, Chrétiens et Juifs. C'est une période de luxe et de splendeur pour la ville, notamment après l'arrivée du musicien Ziryab, originaire de Bagdad, qui, en se faisant l'arbitre des élégances, va contribuer à répandre le raffinement de cette civilisation, qui explique en partie la progressive conversion à l'islam des chrétiens mozarabes.
Un roman de cape et d'épée.
Romancier des situations contemporaines avec notamment « la Nuit des hulottes », prix RTL grand public en 1991, et « le Porteur de destins », prix Maison de la presse l'année suivante, Gilbert Bordes est aussi un romancier de l'Histoire dont plusieurs romans ont été adaptés à la télévision. «La Peste noire» (7) est un grand roman d'aventures à la Dumas, qui se déroule en deux tomes : « la Conjuration des Lys » et « le Roi chiffonnier ». L'histoire tourne autour d'Eugénie, fille de l'union cachée entre la veuve du roi Louis X et le poète Renaud d'Aignan, qui, pour retrouver son rang, rejoint les membres de la Conjuration des Lys, désireux de réinstaller sur le trône de France, Jean, le frère d'Eugénie, véritable héritier de la couronne.
Une tumultueuse aventure commence pour la jeune femme mariée au tonitruant Geoffrey d'Eauze, qui la mène aux quatre coins du royaume et lui fait affronter mille périls. Mais le pire, c'est la peste noire, qui va décimer presque la moitié de la population française. Seule contre tous, Eugénie devient la femme la plus recherchée du Royaume. Heureusement, un mystérieux chevalier blanc veille sur elle et la protège…
(1) Editions Plon, 145 p., 16,90 euros.
(2) Editions Albin Michel, 171 p., 15 euros.
(3) Editions Grasset, 301 p., 18,90 euros.
(4) Editions Plon, 299 p., 20 euros.
(5) Editions J.-C. Lattès, 308 p., 19 euros.
(6) Editions Calmann-Lévy, 345 p., 16 euros.
(7) XO Editions, 340 et 366 p., 19,90 euros chaque tome.
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