SA VIE, le petit Franz-Georg l'a apprise sous forme de feuilleton que sa mère lui raconte épisode par épisode, le remettant au monde une seconde fois par la seule magie de la parole. Il ne peut qu'aimer cette mère qui lui apparaît comme une fée bienfaitrice, les deux jeunes frères de celle-ci morts à la guerre et dont il porte les prénoms et bien sûr son père Clemens Dunkeltal, un médecin qui « n'a pas de clientèle privée et ne travaille pas dans un hôpital... Il reçoit des patients par milliers, dans son vaste asile de la lande, et tous souffrent certainement de maladies contagieuses puisqu'ils n'ont pas le droit de sortir... ». Il l'admire aussi lorsqu'il interprète du Schubert de sa voix de baryton basse et croit que c'est en chantant de la sorte qu' « il soulage ses innombrables patients accourus de toute l'Europe ».
Brusquement tout s'accélère. Des rumeurs de typhus circulent, les Dunkeltal s'enfuient une nuit de mars et troquent leur nom contre celui de Keller, puis le père les laisse dans la petite ville de Friedrichshafen dévastée par les bombes et part en éclaireur, dit-il, au Mexique, sous le nom d'Helmut Schwalbenkopf. En l'attendant, Thea-Augusta ressasse l'épopée familiale et l'enjolive jusqu'à ce qu'elle apprenne le suicide de son mari qui se fait alors appeler Felipe Gomez Herrera.
Avant de mourir, elle confie l'enfant à son frère Lothar, réfugié depuis longtemps en Angleterre ; Franz-Georg devient, à dix ans, Adam Schmalker, et apprend peu à peu de cet oncle pasteur le rôle des Dunkeltal dans le drame historique. Parti au Mexique sur les traces de son père, Adam a une intuition que son tuteur confirmera : il est un enfant adopté, il a été sélectionné par la « fée bienfaitrice » dans un centre d'accueil après le bombardement de Hambourg.
C'est sous le nom de Magnus, celui de l'ours du temps d'avant, qu'il entre dans l'âge d'homme. Il connaîtra par deux fois l'amour, deux belles histoires que la mort lui ravira. A chaque fois de nouveau orphelin et contraint de repartir de zéro.
La construction du roman, en un crescendo inéluctable à partir du vide et de l'oubli, est impressionnante. Sylvie Germain - prix Femina en 1989 pour « Jours de colère » et dont l'œuvre, traduite dans une vingtaine de langues, est étudiée à l'université - nous en avertit en ouverture : il s'agira d' « une esquisse de portrait, un récit en désordre, ponctué de blancs, de trous, scandé d'échos, et à la fin s'effrangeant ». Elle donne ici à la fois une belle leçon d'écriture et d'humanité.
Éditions Albin Michel, 277 p., 17,50 euros
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