QUI SONT les refusants, mot inventé par l’auteur, auquel nous refuserons les guillemets, car il se fond totalement dans les situations évoquées ? Comment s’expliquent leurs actes ? Les situations qui servent de toile de fond à ces études sont diverses mais impliquent forcément une immense barbarie : la Shoah fournit l’immense majorité des exemples, sans surprise, mais aussi le Rwanda, les crimes américains au Vietnam, les opérations de « ratissage » français en Algérie et les cas de terrorisme récents.
Dans la soirée du 12 juillet 1940 en Pologne occupée, le lieutenant Heinz Buchmann, officier au 101 e bataillon de la police allemande, doit participer à l’exécution de la population juive de Jossefow, il ne doit y avoir aucun survivant à cet assassinat collectif. Il déclare à son supérieur qu’ « il ne participera en aucun cas à une action de ce genre, au cours de laquelle des femmes et des enfants seront mis à mort ».
Comme Philippe Breton, tenons ce cas comme exemplaire d’une refusance, même s’il y en eut de plus célèbres et plus complexes, Oscar Schindler par exemple. Buchmann est un adhérent au parti nazi de la première heure, son refus n’est en rien un acte de résistance. La distinction n’est pas légère, les résistants agissent armés de valeurs ou d’idéologie. Le livre est l’occasion d’apprendre qu’il était possible de signaler à la hiérarchie nazie qu’on refusait de participer a priori à un massacre.
A posteriori aussi... Un exécutant sur le front de l’Est commence à assassiner une vieille femme et déclare qu’il ne peut continuer. Aucune sanction ne sera prise contre ces refusants, même s’ils sont parfois traités de lâches, ils obtiendront une autre affectation.
Contre-emploi.
Des cas tels que celui du lieutenant Buchmann ne sont pas rares. L’historien Christopher Browning s’est particulièrement intéressé au 101 e bataillon, qui a participé à la tuerie de Josefow, et il a scruté l’enfance et l’éducation de nombre des meurtriers qui, en quelques mois, tueront de leurs propres mains plus de 35 000 personnes. Ces « hommes ordinaires » ont souvent été marqués par une pesante éducation, on trouve chez eux peu de traces de racisme, mais un trait marquant, la soumission à l’autorité.
Peu à peu se dégagent des acteurs à contre-emploi. Des refusants qui sont loin d’être tous des héros ou des humanistes et que parfois la seule vue du sang perturbe. Des exécutants peu racistes, rarement donc marqués par l’antisémitisme, souvent abreuvés d’alcool pour tenir le coup. On est loin de la bête déchaînée de sadisme que l’on imagine, dit Breton ; ce à quoi on serait tenté de répondre que les victimes n’en ont pas moins été atrocement assassinées par des Allemands très épris d’ordre. De là à dire « Korrekts »...
Dans un chapitre assez long, l’auteur montre que les bourreaux sont souvent animés d’un sentiment de vengeance. Finalement, à leurs yeux, ils exécutent des ennemis redoutables. Cela semble avoir été le cas au Rwanda.
Dans le cas du Vietnam ou de l’Algérie, les exécutants tuaient d’autant plus facilement que le « gook », « le jaune » ou « le bougnoule » étaient haïs et méprisés. Dans celui de la Shoah, Philippe Breton sous-estime énormément l’emprise de la propagande hitlérienne qui fait des juifs des sous-hommes, figurés comme des « rats » pullulant dans les films. C’était faire uvre salvatrice que d’exterminer ces êtres nuisibles, ce qui explique peut-être qu’il y eût si peu de refusants.
En définitive, un livre remarquable par sa densité de réflexion sur un sujet en apparence très mince et dont se dégage une amère leçon ; les refusants épargnèrent rarement des vies et peu furent des Justes.
Philippe Breton, « les Refusants », La Découverte, 238 pages, 17 euros.
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