L ES optimistes parleraient d'exercice délicat. Les autres d'impossible pari. En admettant qu'elle s'engage, la négociation tripartite entre le gouvernement, le patronat et les syndicats sera tout sauf une partie de plaisir. Les compromis seront difficiles à négocier et l'accord, s'il existe, difficile à appliquer.
Car que demande le patronat ? Que les caisses de Sécurité sociale soient plus autonomes pour gérer la Sécu. Avec un objectif explicite : que le patronat puisse contrôler l'utilisation des deniers sociaux et éviter une alourdissement des charges pesant sur les entreprises. C'est sur cette plate-forme qu'il entend négocier. Quelques-unes des conditions posées par Ernest-Antoine Seillière pour le retour du patronat ans les conseils d'administration des caisses sont à cet égard révélatrices : « Compensation intégrale par l'Etat de toute charge nouvelle instituée à son initiative », « obligation de suivre l'avis exprimé au sein des différents conseils d'administration par une majorité qualifiée de partenaires sociaux », « respect impératif de l'objectif fixé par l'ONDAM ».
C'est cette quête d'autonomie qui est difficile à satisfaire. Car comment ne pas voir que ce sont le Parlement et le gouvernement qui fixent l'assiette et le montant des prélèvements sociaux, la nature et le montant des prestations, qui sont responsables de l'équilibre des comptes sociaux, qui, en matière d'assurance-maladie, fixent la liste de produits remboursables, le prix des médicaments et gèrent les dépenses d'hospitalisation ? « Pour ce qui est de la tutelle sur le secteur (de la santé) l'étatisation est patente », souligne Jean de Kervasdoué (Conservatoire national des arts et métiers) dans un entretien avec « Libération ». L'Etat a pris le pouvoir
« sans bilan, ni débat » déplorait déjà, en 1998, Gilles Johanet, directeur de la CNAMTS. Est-il prêt à rétrocéder ce pouvoir ? Pour des raisons politiques - et constitutionnelles - on l'imagine mal.
Peu de marges de maneouvre
Dès lors quelle autonomie peut donc être celle des caisses ? Même lorsque l'Etat concède à la CNAM une délégation de gestion - en l'occurrence la responsabilité des honoraires des professions de santé, soit à peine 149,9 milliards sur les 693,3 milliards des dépenses d'assurance-maladie - il ne peut s'empêcher d'intervenir. A-t-on oublié, pour ne citer qu'un cas, que Martine Aubry, l'été dernier, avait refusé des mesures tarifaires concernant les infirmières libérales, mesures prévues par la CNAM ? L'Etat n'est sans doute pas disposé à aller au-delà de la délégation de gestion sous tutelle qu'il a accordée à l'assurance-maladie. Non seulement parce qu'il est responsable in fine de l'équilibre des comptes sociaux - c'est le gouvernement, et lui seul, qui assumerait la responsabilité d'une hausse de impôts ou d'une baisse des prestations en cas de problème. Mais aussi parce qu'en cas de conflit, c'est le gouvernement et non les caisses qui se retrouvent en première ligne. Si les caisses baissent le tarif des honoraires médicaux et que le gouvernement ne peut s'y opposer, ce seront les responsables politiques et non ceux des caisses qui feront les frais de la colère du monde de la santé. Dans le domaine de l'hospitalisation qui met en jeu des budgets considérables, qui touche à la politique de l'emploi et à celle de l'aménagement du territoire, il semble inconcevable que l'Etat abandonne ses prérogatives.
L'ONDAM impossible à respecter ?
Et lorsqu'Ernest-Antoine Seillière demande au gouvernement le respect impératif de l'ONDAM, on ne sait s'il faut mettre cette revendication sur le compte d'un surprenant angélisme ou d'une posture de départ dans les négociations. Car cet objectif, fixé sur des bases arbitraires, a toujours été dépassé pour la simple et bonne raison qu'on discerne mal comment on pourrait garantir qu'il soit respecté. Tant il est vrai, comme le souligne Rémi Pellet dans un essai sur la « budgétisation régionalisée des dépenses d'assurance-maladie », que « la nature assurantielle de la protection contre le risque maladie qui ouvre aux cotisants un véritable droit de créance (sur l'assurance-maladie) semble inconciliable avec la détermination d'une enveloppe de crédits réellement limitative ».
Ces éléments vont rendre singulièrement ardue l'élaboration du modus videndi entre le gouvernement, le patronat et les syndicats. Est-ce à dire que l'on va vers l'échec et que le patronat restera définitivement en dehors des conseils d'administration ? Rien ne permet de l'affirmer. Lionel Jopsin sera sans doute tenté de faire quelques gestes pour éviter, à quelques mois de l'élection présidentielle, d'apparaître comme celui qui n'aurait pas pu sauver un paritarisme auquel les syndicats demeurent attachés. Le gouvernement, du reste, a indiqué qu'il ne souhaite pas le départ du patronat.
Quelle légitimiét ?
Au-delà des querelles actuelles, la position que vient de prendre le Medef pose d'autres questions, prudemment esquivées jusqu'à présent, mais plus fondamentales : celles ayant trait à la légitimité, à l'utilité et à l'avenir des caisses nationales de sécurité sociale.
Justifiée à la Libération lorsque l'assurance-maladie, réservée aux salariés, était fiancée par des cotisations, (c'est-à-dire par un salaire différé), la cogestion des caisses par les représentants des salariés et des employeurs est actuellement beaucoup moins fondée. Parce qu'aujourd'hui le bénéfice de l'assurance-maladie est attribué sur des critères de résidence et non plus d'activité. Parce que, surtout, la Sécurité sociale est de moins en moins financée par des cotisations sociales et de plus en plus par des impôts ou assimilés (la CSG représente 254 milliards de recettes pour l'assurance-maladie sur un total de 680 milliards). Une évolution qui, comme le souligne Jean de Kervasdoué « a pour conséquence de miner le fondement,dans ce domaine, de la légitimité des partenaires sociaux au profit du gouvernement et du Parlement ». La suppression des élections des administrateurs des caisses - ils sont désignés - a ajouté à ce déficit démocratique et à cette perte de légitimité. Pourquoi, font remarquer certains, la légitimité des parlementaires et du gouvernement à gérer la Sécurité sociale serait-elle moins grande que celle du patronat et des syndicats ? Dépourvus de pouvoir réels et de légitimité, les conseils d'administration des caisses doivent-ils disparaître ? Un parlementaire UDF reconnaissait récemment que si « l'on supprimait la CNAM, les Français ne seraient pas plus mal soignés et les deniers sociaux plus mal utilisés ».
Mais l'hypothèse de la suppression des conseils sent trop le souffre pour qu'elle soit aujourd'hui ouvertement évoquée.
Les partisans du maintien du paritarisme - au premier rang desquels les syndicats de salariés - font valoir que la cogestion des caisses maladie est un instrument du partenariat social. La France est, certes, souvent accusée de déficit de dialogue social. On peut se demander cependant si ce dialogue ne pourrait pas s'exercer plus utilement dans d'autres domaines que dans celui de la gestion d'organismes sociaux dépourvus de prérogatives. Quant à la crainte d'une étatisation de la Sécurité sociale, régulièrement brandie par FO, comment ne pas voir qu'elle est déjà réalité ?
Analyse politique en page 19
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