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Du cancer de la prostate au mélanome réfractaire, le dernier congrès de l’Asco qui vient de se dérouler à Chicago du 4 au 8 juin a confirmé les progrès effectués en cancérologie grâce aux thérapies ciblées et à la biologie moléculaires. Lors de cette grand-messe de la cancérologie mondiale, plusieurs travaux ont été présentés qui laissent entrevoir un allongement de la survie des patients y compris pour des tumeurs réputées de mauvais pronostic comme le cancer de l’ovaire ou du pancréas (voir encadré p 27). Derrières ces avancées largement relayées ces derniers jours, se dessine aussi un véritable changement de paragdime en cancérologie. Car parmi les nouveaux traitements présentés à Chicago un grand nombre pourrait être administré par voie orale, comme l’a souligné le Dr Lynn Schuchter, l’une des organisatrices du congrès de l’Asco. Une évolution qui ouvre la porte à une « externalisation » plus large de la chimiothérapie, de l’hôpital vers le domicile des patients
L’avènement des chimiothérapies orales
« Le traitement à domicile va bientôt se confondre avec les thérapies orales » confirme le Pr Véronique Trillet-Lenoir (cancérologue, Hospices Civils de Lyon). Il s’agit d’une tendance générale avec une recherche très féconde. À l’exception des anticorps monoclonaux qui sont de grosses molécules difficiles à transformer pour les rendre absorbables par voie digestive, quasiment toutes les thérapies ciblées ont un avenir par voie orale. Le lapatinib (Tyverb), le sutinimib (Sutent ) et le sorafénib (Nexavar) sont déjà disponibles en comprimés. Les inhibiteurs de tyrosine kinase devraient suivre le même chemin. Parmi les chimiothérapies orales, on peut aussi citer le cyclophosphamide (Endoxan), le VP16, la navelbine, la capécitabine, le topotécan et une forme de taxanes per os qui n’est pas encore commercialisé. Également disponible per os un inhibiteur de MTOR dans le cancer du sein et un anti-angiogénique inhibant le récepteur au VEGF. Enfin, à l’ASCO, un anti-ALK (le cristozinib) a été testé positivement dans le cancer du poumon, non à petites cellules. Une liste déjà longue et appelée très certainement à s’étoffer dans les années à venir. Selon un travail américain, d’ici 3 à 4 ans, 25 % des nouveaux traitements en cancérologie se présenteront sous forme orale
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Une approche largement plébiscitée
Plusieurs arguments sociaux, médicaux et économiques plaident en faveur de cette évolution au premier rang desquels le confort du patient. Dans leur grande majorité, les malades plébiscitent le traitement oral à domicile mais à condition d’une efficacité et d’une tolérance équivalentes, la chimiothérapie orale n’étant en aucun cas une chimiothérapie « au rabais ». Une étude randomisée conduite avec la Navelbine qui a l’originalité d’être disponible par voie IV et orale montre qu’à la deuxième cure 80 % des patients se rallient à la forme orale. « Les patients apprécient de ne pas aller à l’hôpital et de se dispenser d’une chambre implantable » souligne le Pr Trillet-Lenoir.
Les instances officielles confortent aussi cette option thérapeutique. Outre le dernier plan cancer qui appelle à l’amélioration de la qualité de vie des patients, l’Anaes préconise le recours aux anticancéreux oraux : « A efficacité équivalente ils sont à privilégier par rapport aux formes parentérales » indique l’Agence dans un rapport publié en 2003.
A côté de la qualité de vie des patients, des facteurs économiques comme la diminution des hospitalisations et l’optimisation des ressources médicales rentrent également en ligne de compte de même que certains facteurs purement médicaux comme la diminution du risque d’infection inhérent à la voie IV.
Néanmoins, cette approche se heurte aussi à des difficultés. Pour les patients, certains n’ont pas envie de confondre leur chambre avec l’hôpital. Côté soignants, le flou entourant la rémunération n’est pas très incitative. Pour l’hôpital où l’exigence d’activité n’est pas un vain mot, il n’y a pas non plus un grand engouement sauf s’il manque des lits. Du coup, la démarche reste marginale : « à Lyon les chimiothérapies en hospitalisation à domicile ne représentent que 10 % » regrette le Dr Trillet Lenoir. Elle concerne essentiellement les traitements simples en monothérapie ou ayant peu d’effets secondaires.
Éducation et formation indispensable
Car à cet égard la voie orale ne signifie pas l’absence de survenue d’effets secondaires et le clinicien doit adopter la même vigilance qu’avec une chimiothérapie intraveineuse. La gestion des effets indésirables par le médecin généraliste doit donc faire l’objet d’un énorme effort de formation, d’information et d’éducation pour le soignant comme pour le patient.
L’automédication est aussi un vrai problème car le patient, devenant de plus en plus autonome, a tendance à prendre des suppléments vitaminiques ou d’autres produits, parfois très exotiques, pour mieux supporter la chimiothérapie. « Nous avons eu l’exemple d’une patiente sous Xeloda, prodrogue du 5 FU. Elle a pris un supplément vitaminique contenant de l’acide folique. Or, l’acide folique potentialise les effets secondaires du Xeloda et notamment la neutropénie » rapporte le Pr Trillet Lenoir.
L’adhérence au traitement peut également se révéler difficile. Si les thérapies orales ont tendance à rendre le patient plus actif dans sa prise en charge, l’observance n’en est pas meilleure. « Alors qu’il semblait acquis que tous les patients prenaient leur traitement sans problème car se sachant atteint d’une maladie grave il n’en est rien » explique le Pr Franck Chauvin, de l’institut de cancérologie de la Loire. Une étude conduite auprès de patientes atteintes d’un cancer du sein et traité par hormonothérapie montre qu’à 5 ans la moitié des patients ne prennent plus leur traitement.
D’où l’importance de l’éducation thérapeutique en cancérologie au même titre qu’en diabétologie ou en cardiologie. Avec ici un triple objectif : permettre au patient de prendre correctement son traitement, d’en gérer les effets secondaires et d’être partie prenante dans l’adaptation des doses avec son médecin. Pour l’heure « les programmes d’éducation thérapeutique en cancérologie restent ponctuels et expérimentaux souligne le Pr Franck Chauvin mais ils devraient être appelés à se développer dans les prochaines années ».
Reste à ce que l’éducation thérapeutique en oncologie soit reconnue comme un soin à part entière.
« J’ai un regret par rapport au plan Cancer 2 » regrette le Pr Trillet Lenoir : s’il est favorable aux chimiothérapies à domicile, il reste bien silencieux sur l’éducation thérapeutique alors qu’elle est reconnue et rémunérée pour le diabète et l’insuffisance rénale.
Pour cette spécialiste, « la prise en charge reste encore trop hospitalo-centrée alors que le généraliste devrait être au cœur du suivi, particulièrement pour les traitements oraux ». Reste l’épineux problème de la formation indispensable car chaque médecin n’a que peu de cas dans sa patientèle. « Il faut créer des réseaux, une meilleure délégation de tâches et une valorisation ».
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