Le Sénat a adopté la semaine dernière un amendement au Plfss (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) qui autorise le renouvellement des prescriptions de lunettes sans ordonnance. Le texte de l’amendement précise que «les opticiens-lunetiers peuvent adapter, dans le cadre d’un renouvellement, les prescriptions médicales initiales de verres correcteurs datant de moins trois ans, dans des conditions fixées par décret».
Une décision justifiée, selon Xavier Bertrand, ministre de la Santé, par le fait que «la population est confrontée à des délais importants et croissants d’accès aux soins en ophtalmologie, et en conséquence aux équipements optiques». Xavier Bertrand souhaite en outre «éviter un recours inutile au médecin».
Un décret d’application très surveillé.
Le président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof), le Dr Jean-Luc Seegmuller, précise pour « le Quotidien » la portée de cet amendement : «Cela signifie que les opticiens seraient autorisés à modifier la prescription initiale de l’ophtalmologiste pour l’adapter à la vue du patient si celle-ci a subi des modifications.» Jean-Luc Seegmuller regrette le «flou» du texte qui renvoie les précisions à un décret ultérieur. Une méthode selon lui «conforme au courage habituel des politiques». Néanmoins, le Snof se satisfait de ce texte qui permet d’allonger la durée de vie légale d’une prescription d’équipement optique et de soulager les ophtalmologistes qui ploient sous le nombre de patients à cause d’une démographie vacillante.
A condition toutefois de respecter certaines précautions. A cet égard, Jean-Luc Seegmuller précise qu’il ne faudrait pas que cette disposition conduise à supprimer les contrôles réguliers, «ce qui constituerait une régression». Le Snof est donc favorable à une des dispositions de l’amendement qui précise que les mineurs de moins de 16 ans sont exclus du dispositif. Mais le Snof veillera également au contenu du décret d’application à venir : «Il faudra que ce décret précise le degré de variation de l’acuité visuelle du patient au-delà de laquelle l’opticien ne pourra pas modifier la prescription», ajoute le Dr Seegmuller. Car autant il est normal qu’une myopie ou une presbytie s’accentue avec les années, autant une chute rapide de l’acuité visuelle peut être le signe annonciateur d’un problème plus grave, comme le glaucome ou le diabète.
De la même manière, le Snof souhaite que toute modification d’une prescription par un opticien soit accompagnée d’un courrier au prescripteur, pour information, et que cette possibilité de modifier une prescription soit limitée aux patients de moins de 60 ans. «A partir de cet âge-là, précise le Dr Seegmuller, la surveillance doit être plus rapprochée, et ce droit de modifier la prescription par un opticien n’a donc plus de raison d’être.»
Action de sensibilisation.
Mais si elle fait l’affaire des ophtalmos, une autre partie de l’amendement déplaît aux syndicats d’opticiens. Il y est en effet dit que «les opticiens sont tenus de respecter les règles d’exercice et, en tant que de besoin, les équipements fixés par décret». Dans le collimateur du législateur, certains opticiens disposant de matériels du type biomicroscope ou ophtalmoscope, au moyen desquels ils sont en mesure de réaliser des actes réservés en principe aux ophtalmos.
A l’Union des opticiens (UDO), le directeur Alain Bach craint effectivement que cette disposition ne rende difficile la délivrance de lentilles de contact, car la lampe à fente, appareil nécessaire à l’adaptation, fait partie des équipements visés par le décret. Mais il y a plus : «A l’initiative d’assurances complémentaires, les opticiens avaient pris l’habitude d’effectuer ce que nous appelons une évaluation des facteurs de risque. Si l’amendement est définitivement adopté, les opticiens devront renoncer à cette activité qui n’est pas de la prévention, mais de la sensibilisation de la population.»
L’Union des opticiens propose donc de «prendre le temps de la réflexion», et d’établir la distinction entre les appareils dont l’usage leur serait autorisé et ceux dont l’usage leur serait interdit sur la base de leur caractère invasif. Dans ces conditions, les appareils en contact direct avec l’oeil resteraient réservés aux seuls ophtalmologistes. De son côté, Marianne Binst, directrice générale de Santéclair (une plate-forme de services pour des usagers d’assurances complémentaires), regrette que ce texte allie le meilleur au pire : «La première partie du texte, qui autorise les opticiens à adapter les prescriptions médicales, va dans le bon sens. Mais, avec la deuxième partie, on casse la profession d’opticien et son avenir.» Pour Marianne Binst, il est faux de dire que le dépistage est un terme juridiquement médical : «Avec les appareils non invasifs dont disposent les opticiens, ils sont capables de déceler une anomalie de la cornée et d’inviter leurs clients à prendre rendez-vous avec leur ophtalmo.»
Il reste que cet amendement, qui doit tout d’abord être voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale pour être définitivement adopté, ne pourra entrer en vigueur qu’une fois que son décret d’application sera paru. Jean-Luc Seegmuller rappelle à cet égard : «Cela fait 25ans que je suis syndicaliste, et j’ai de bonnes raisons de n’être jamais tranquille avec les décrets d’application». Il assure que son syndicat sera attentif aux «débordements» que pourrait éventuellement susciter la rédaction de ce décret. Un souci que partage le Dr N., ophtalmologue à Paris : «Cet amendement part d’un souci louable du gouvernement de nous soulager dans notre tâche. C’est bien le moins après avoir volontairement fait baisser notre démographie. Mais nous savons tous que le diable se cache dans les détails. C’est pourquoi j’attends avec impatience la parution du décret d’application pour savoir si cet amendement nous sera réellement profitable.»
Les cent ans du Snof
Créé en 1906, le Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof) a fêté son centenaire le 18 novembre à Paris. Le Snof, qui réunit les deux tiers des 5 000 ophtalmologistes français, a été le premier syndicat de médecins spécialistes, et ses combats d’autrefois conservent, aujourd’hui, une étonnante actualité.
Ainsi, lorsqu’ils fondent ensemble le syndicat, les Drs Francis Cosse et Ernest Motais, installés respectivement à Tours et à Angers, s’inquiètent de la « crise » que traverse leur spécialité, tant à cause de la « pléthore » de médecins qu’en raison des tarifs insuffisants et de la concurrence des hôpitaux et de nombreux illégaux. En 1906, la France ne compte certes que 355 ophtalmologistes, – un pour 108 000 habitants, contre 9 pour 100 000 de nos jours –, dont près de cent à Paris, mais ils sont si mal répartis que certains peinent à se faire une clientèle, alors que d’autres sont surchargés de travail. En dehors des grandes villes, peu de patients ont recours à un ophtalmologiste, hormis les cas graves et les opérations des yeux. En 1907, le Snof publie sa première grille tarifaire, en estimant qu’une consultation d’ophtalmologie, en raison de sa spécificité et du matériel utilisé, doit être rémunérée au prix de deux consultations de généraliste. Toutefois, en l’absence de caisses de maladies obligatoires, ces tarifs ne sont qu’indicatifs. Il n’en reste pas moins que l’idée d’un tarif de spécialité naît à cette époque, et sera reprise dans les premières « conventions » passées entre les syndicats et les caisses, à partir des années 1930 puis après 1946. Premiers spécialistes à avoir créé leur propre syndicat, les ophtalmologistes sont très vite suivis par les ORL, les chirurgiens, les gynécologues et les stomatologues. Ces différentes spécialités se fédéreront en 1927 au sein d’un « groupement des spécialistes », dont l’idée avait été lancée par le Snof vingt ans plus tôt. Ce groupement est l’ancêtre de l’actuelle Union des médecins spécialistes (Umespe) rattachée à la Csmf.
Dans le même temps, le Snof s’efforce d’améliorer la formation initiale et continue des ophtalmologistes, tout en assurant leur défense professionnelle, missions qui sont restées les siennes de nos jours.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature