Le non-plan de Bush

Publié le 26/06/2002
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L'oracle a enfin parlé. George W. Bush a exposé son plan de paix pour la Palestine après en avoir différé l'annonce à la suite d'un attentat palestinien particulièrement meurtrier.

Ce plan, c'est à la fois une auberge espagnole, où chacun a pu trouver ses propres motifs de satisfaction, et rien de vraiment original. Il est vrai que, si quelqu'un pouvait avoir une idée lumineuse sur un conflit qui dure depuis 54 ans, il l'aurait déjà exposée. Aussi bien M. Bush a-t-il rappelé, plutôt qu'il n'a inventé, quelques principes simples : il a réclamé la fin du terrorisme et la sécurité d'Israël en même temps que l'évacuation des territoires et la création (dans trois ans, a-t-il précisé) d'un Etat palestinien. Il a récusé Yasser Arafat et demandé aux Palestiniens de se donner des leaders capables de faire la paix.

Tout le monde approuve

Curieusement, ce plan n'a été rejeté par personne ; même Yasser Arafat le juge « important », bien que, dans son entourage, on rétorque à M. Bush que ce n'est pas à lui d'élire les dirigeants de la Palestine. Bien entendu, les Palestiniens ont approuvé l'évacuation des territoires et l'instauration d'un Etat. Comme le président égyptien Hosni Moubarak. Comme les pays européens. Comme notre ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, qui se trouvait justement en Israël et a trouvé des « convergences » entre les points de vue américain et français, mais a laissé dire par son entourage qu'il n'acceptait pas la récusation de M. Arafat.
Le plan de M. Bush n'est pas capable de relancer la dynamique de paix. Le terrorisme est aussi une forme d'action politique. Il constitue un obstacle infranchissable aux négociations parce qu'il est associé à un projet de destruction de l'Etat d'Israël. Personne ne peut négocier son propre suicide. Le président américain a donc tracé les lignes consensuelles d'un résultat idéal. Le problème, c'est d'y parvenir et il ne nous a pas dit comment il comptait produire ce résultat.

Un gage à la violence ?

Recevant M. de Villepin, Ariel Sharon a rejeté son projet de solution politique et lui a répondu qu'il se contenterait de sa politique sécuritaire. Sans doute la fanatisme palestinien aide-t-il M. Sharon à poursuivre son projet personnel qui consiste à se débarrasser de M. Arafat et de maintenir le statu quo dans les territoires.
Il n'empêche que le Premier ministre israélien est approuvé, pour le moment, par une majorité d'Israéliens qui ne voient pas pourquoi ils donneraient un gage à la violence susceptible de les exposer à de nouvelles violences.
Un bon plan de paix n'est pas celui qui se contente de fixer les objectifs, mais celui qui décrit les moyens de les réaliser. M. Bush ne dit pas comment il convaincra M. Sharon de changer de politique alors qu'il approuve celle qu'il conduit actuellement ; il ne dit pas comment il anéantira le Hamas, le Djihad et les Tanzim (les escadrons de la mort de M. Arafat) ; il n'explique pas pourquoi il faut trois ans pour instaurer un Etat dont l'ONU, les Palestiniens et même Israël peuvent décréter aujourd'hui ou demain l'existence ; il ne dit pas dans quelles frontières cet Etat serait contenu, alors que le tracé de ces frontières déterminera le degré de sécurité d'Israël.
En d'autres termes, M. Bush n'a pris son initiative diplomatique que parce qu'on le lui demandait de toutes parts. Il apparaît comme l'auteur d'un livre bien écrit où chacun trouve ce qu'il veut, y compris ce que l'écrivain n'a pas dit. Il n'empêchera ni les prochains attentats, ni les prochaines représailles, pas plus qu'il ne sortira le Proche-Orient de l'impasse.
En outre, il partage avec M. Sharon l'obsession d'Arafat. Lequel a des défauts, mais son remplacement par un autre ne constitue nullement une garantie de renoncement au terrorisme. Enfin, on peut penser ce qu'on veut de M. Sharon, et nous-mêmes ne sommes pas de ses adulateurs, il commence à obtenir des résultats. Le leitmotiv de la presse internationale est que le Premier ministre israélien a échoué parce que ses actions militaires les plus sévères n'empêchent pas la multiplication des attentats. C'est un cri de vertu dans un océan de violence : les incursions israéliennes ne suffisent pas à dissuader les kamikases, mais elles en réduisent le nombre. La combinaison de toutes les méthodes sécuritaires, incursions, occupation des villes, arrestations des extrémistes, clôture séparant Israël des territoires permettra d'empêcher la plupart des attentats, sinon tous.

Une politique de survie

Comme le dit le ministre travailliste de la Défense, Benyamin Ben Eliezer, « il n'y aura jamais de sécurité à 100 % ; nous parvenons à éviter 86 % des attentats. Avec la clôture on en arrêtera 10 à 12 % de plus » (entretien avec « le Monde » du 19 juin). Voilà la très simple réalité et tous les diplomates qui tirent des plans sur la comète doivent commencer par reconnaître à Israël le droit de légitime défense.
Israël applique donc, pour le moment, une politique de survie qu'approuve M. Bush et qui, par sa nature même, est exclusive d'une négociation. Bien entendu, rien, sinon quelques éléments de sa coalition et ses propres convictions, n'empêche M. Sharon de s'adresser aux Palestiniens et de leur annoncer qu'il est prêt à leur donner un Etat sur un espace continu et à regrouper les « colons » pour autant qu'ils cessent les attentats ; peut-être ne le fait-il pas, par ailleurs, pour ne pas récompenser la violence : depuis l'évacuation du Sud-Liban, les Palestiniens se sont mis dans la tête que la tactique du Hezbollah était la bonne. Mais, en même temps qu'ils nient la réalité du nationalisme israélien, ils sous-estiment la réaction d'un peuple assiégé : nous avons souvent écrit qu'ils n'ont pas, hélas !, le monopole du fanatisme. Ils ont littéralement sharonisé Israël.
Si la lueur ne vient pas de M. Bush, elle peut venir des Palestiniens eux-mêmes, ceux qui dénoncent la scandaleuse corruption de son gouvernement, ceux qui commencent à dire que la violence anti-israélienne ne leur apporte que souffrance et misère, ceux, parmi les intellectuels, qui affirment que le terrorisme ne conduit qu'au néant et discrédite la Palestine.

M. Arafat a annoncé des élections présidentielle et législative en janvier et mars 2003. Ce n'est pas la plus mauvaise de ses initiatives, pour autant qu'il n'en fasse pas un scrutin de république bananière. Il a tellement déçu que, avec lui, on craint toujours le pire.
De son côté, M. Sharon n'a jamais eu tort d'exiger des Palestiniens qu'ils fassent le ménage chez eux et qu'ils combattent ouvertement les mouvements extrémistes. S'ils en ont marre de souffrir, ils doivent s'insurger contre ceux qui leur promettent le bonheur au paradis mais pas sur terre.
Ce qui a un peu bougé depuis quelques semaines, c'est, en définitive, l'échec de la campagne de relations publiques contre Israël, si bien relayée par nos meilleurs éditorialistes. Or toute la politique d'Arafat repose sur la notion de peuple-martyr. Toute sa stratégie se résume à une communication outrancière, qui relève de la plus mensongère des propagandes. Or personne ne croit plus vraiment, en dehors des enragés de la gauche française, que d'impitoyables assassins soient en même temps des martyrs. Et quelques Palestiniens commencent non seulement à le comprendre, mais à s'exprimer timidement et sporadiquement, contre une politique désastreuse.

Israël cherche une issue

En Israël aussi, on cherche une issue. Le pays est très affaibli économiquement, alors que, avant l'intifada, son taux de croissance était l'un des plus élevés du monde ; la guerre coûte cher et les idéologues de droite, qui croient que les territoires leur appartiennent, céderont sous la pression d'une majorité de laïques occidentalisés, qui veulent la sécurité par la paix, pas par la guerre. M. Arafat, après avoir refusé l'offre de Barak et de Clinton, a fait l'expérience de la guerre. Il n'a aucune raison d'être fier de son choix. Maintenant, il mendie la reprise des négociations sur la base des ultimes propositions de Bill Clinton. En bonne justice, il ne mérite pas qu'Israël lui tende la main. Et Ariel Sharon se gardera bien de le faire. Mais M. Sharon dépend de ses électeurs. Si la paix a une chance, les Israéliens la saisiront.
Malheureusement, M. Bush n'a pas su créer cette occasion. Cependant, il peut s'engager davantage, se rendre en Israël, et exercer sur le gouvernement israélien des pressions assorties de garanties. On peut créer l'Etat palestinien aujourd'hui et le mettre devant ses responsabilités ; on peut mettre la droite israélienne devant le fait accompli. Il n'y a rien que « l'hyperpuissance » ne puisse obtenir, fût-ce par le chantage. Jamais l'idée de solution imposée n'a semblé aussi raisonnable. Parce que la solution, quelle qu'elle soit, c'est la victoire de la vie sur la mort.

Richard LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7155