Le jury du Nobel récompense moins des résultats que des efforts. Les hommes, et les organisations qu'ils créent, sont bien impuissants contre les guerres et les fléaux qui continuent à ravager le monde. Mais au moins existe-t-il des groupes et des individus qui consacrent leur énergie à les combattre.
Ce n'est pas la première fois que l'ONU est récompensée par le Nobel. L'a-t-elle mérité cette fois-ci ou précédemment ? Ce n'est pas, à proprement parler, une organisation pacifiste. Ses armées se battent partout dans le monde pour empêcher de nouveaux conflits ou pour en apaiser d'autres. Cela prouve que le mot paix ne signifie pas angélisme et que, à leur manière, les pacifistes sont des gens dangereux. On approuvera donc le choix du jury en ce qui concerne l'ONU. Et on applaudira le choix de Kofi Annan.
D'abord parce que c'est un Africain. Ce citoyen du monde vient du continent le plus miséreux, le plus accablé par les maladies, le plus anarchique. Mais l'Afrique a quand même produit des hommes d'une stature exceptionnelle, comme Nelson Mandela, également prix Nobel de la paix, ou comme Kofi Annan. Le monde est témoin de ce que son africanité ne l'a conduit ni à privilégier ni à négliger son continent d'origine. Mais il lui a sans cesse exprimé une compassion particulière, à la mesure de ses souffrances. Certes, il n'a pu empêcher ni le chaos du Liberia, ni l'épouvantable anarchie de la Sierra Leone, ni la folie de Robert Mugabe au Zimbabwe.
Dans les crises africaines, l'ONU a néanmoins payé un lourd tribut et l'Afrique a fourni des soldats qui ont formé ses bataillons, non seulement pour les conflits africains mais pour tous les autres.
La bataille contre le SIDA
En outre, Kofi Annan a été parmi les premiers à reconnaître le danger épidémique qui exerce, en Afrique, plus de ravages encore que la guerre. Il a fort bien vu que le SIDA déchire le tissu social des communautés africaines, qu'il détruit les familles, crée des millions d'orphelins, prive le continent de ses ressources humaines les plus précieuses, soignants, éducateurs, techniciens, tous ceux qui font marcher la machine sociale. Et il n'a pas craint de dire au président sud-africain Thabo Mbeki, que ses idées concernant le SIDA (M. Mbeki disait que le VIH n'était pas responsable du SIDA) étaient non seulement fallacieuses, mais mortelles, dans la mesure où elles aboutissent à négliger les efforts de prévention.
On dit de Kofi Annan qu'il a restauré la crédibilité des Nations unies. Disons plutôt qu'il a saisi les occasions offertes par la disparition du bloc soviétique. L'ONU a commencé à être utile quand elle a cessé d'être la tribune du tiersmondisme irresponsable, antidémocratique et démagogue. Ce qui n'empêche pas des retours en arrière. La récente conférence de Durban contre le racisme s'est traduite par un affreux échec : s'y sont manifestées toutes les formes d'intolérance, y compris un antisémitisme forcené travesti en antisionisme. Manifestement, le jury du Nobel n'en a pas tenu rigueur à Kofi Annan qui a été dépassé par les événements mais ne les a certainement pas souhaités. En d'autres termes, il est couronné pour ses intentions, sa méthode, son art diplomatique et pour des résultats que recouvre la tonitruance des démagogues : à Durban, par exemple, M. Anann, avec le concours de Mary Robinson, a quand même empêché que le sionisme fût assimilé au racisme.
Si Kofi Annan est exemplaire, c'est parce que, pour exercer son autorité, il ne s'est jamais cru obligé d'élever la voix ou de sacrifier au spectaculaire. Il est certes africain, mais cet homme qui, en quelque sorte est sorti du rang, puisqu'il a passé toute sa carrière aux Nations unies où il a occupé des fonctions diverses, est également très occidentalisé. En même temps qu'il représente ce que l'Afrique a fait de mieux, les Africains pourraient lui reprocher de ne pas leur ressembler.
Domination de soi
Cette voix douce, ce sourire affiché même dans le cours des tragédies, ces manières lentes et feutrées, comme suspendues dans le temps, semblables aux images d'un film projeté au ralenti, alors même que se déchaîne la sauvagerie humaine, expriment une formidable domination de soi, un self control dont peu d'hommes d'Etat peuvent se prévaloir.
On ne doute pas un instant que Kofi Annan adore son métier. Son élégance, sa distinction, sa classe indique que ce qu'il peut y avoir de ghanéen en lui s'est mêlé d'une forte dose d'internationalisme. Il est en première ligne chaque fois que se produit un carnage et il offre l'image à la fois spirituelle et charnelle de l'humanisme. Est-ce que les apparences comptent pour un prix Nobel ? Sans doute pas. Mais opposer à la bestialité - hélas si répandue - la décence du corps et du langage, c'est déjà un premier pas.
Un fabricant de consensus
Le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, 63 ans, est considéré par les diplomates et les défenseurs des droits de l'homme comme un homme de consensus.
M. Annan a été réélu à l'unanimité le 27 juin 2001 par le Conseil de sécurité de l'ONU pour un second mandat de cinq ans à la tête de l'organisation.
Discret, tolérant, d'une inlassable courtoisie, ce Ghanéen a pour principal atout la confiance qu'il inspire à ses interlocuteurs : il a rendu sa crédibilité à l'institution internationale.
Petit, portant le bouc, M. Annan a fait toute sa carrière aux Nations unies, où il est entré en 1962. Il a été en poste à Addis-Abeba, à Genève, au Caire, à New York, s'est occupé de la planification du budget, de la comptabilité, avant de diriger le département des opérations de maintien de la paix, de 1993 à 1996.
En janvier 1997, ce diplomate à la voix douce et à la patience de vieux chef coutumier prend la direction des Nations unies.
On le dit proche des Américains, mais ses critiques contre les Etats-Unis, « mauvais payeurs » à l'ONU, et l'accord arraché à Bagdad, en février 1998, sur l'inspection des sites présidentiels par l'ONU, montrent qu'il n'est pas un simple béni-oui-oui. Son habileté vient surtout de ce qu'il n'agit jamais inconsidérément : il s'assure de l'aval des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Au lendemain des frappes américaines sur l'Afghanistan, il affirmait que les raids étaient justifiés par la légitime défense.
M. Annan a le sens des limites et mesure l'étroitesse de sa marge de manuvre, qui tient en une fragile autorité morale. « Trop timoré ! », tranchent ses détracteurs. Cependant, dans une interview à un hebdomadaire britannique, il qualifiait de « déprimant » le profil général des dirigeants africains, trop occupés, à ses yeux, à satisfaire leurs ambitions personnelles, et estimait qu'ils portaient une large part de responsabilité dans les difficultés du continent.
Premier Africain noir à la diriger, Kofi Annan a concentré ses efforts sur la réorganisation interne de l'ONU. Il a montré qu'il n'était pas qu'un gestionnaire, mais un homme capable d'initiative et d'autonomie.
Après son aveu sur les faillites de l'ONU au Rwanda et en Bosnie, M. Annan s'est donné pour objectif le développement de la lutte contre le SIDA, la poursuite des efforts de paix au Proche-Orient et la mise en uvre des engagements du sommet du Millénaire pour le développement.
Né le 8 avril 1938 à Kumasi, M. Annan, issu d'une famille aisée de la tribu des Fante, a fait des études d'économie à l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, où il a appris le français. Il a également passé une maîtrise en gestion au Massachusetts Institute of Technology aux Etats-Unis.
Père de trois enfants, il est marié à une Suédoise depuis 1984.
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