Il faut dire que M. P., à la suite de plusieurs AVC, souffre d'une amnésie grave : il oublie les informations au fur et à mesure qu'il les reçoit. Il reste prostré dans un coin. Alors, pour tenter de l'aider à « graver » ces informations, on lui propose des ateliers olfactifs.
En atelier de groupe, il suit le thème olfactif proposé : un goûter d'anniversaire avec gâteau au chocolat, madeleines, fruits, bonbons et café. Il participe activement aux échanges autour de ces odeurs.
C'est en atelier individuel qu'on demande à M. P. de mémoriser l'histoire qui se passe dans son salon avec le canapé de cuir, le feu de bois, le chat, sa fille et les collages. Chaque moment de l'histoire est soutenu par une odeur présentée sur une « touche » olfactive. Et cela l'aide : les odeurs lui permettent de se souvenir de quelques bribes de l'histoire.
Cela fait trois ans maintenant qu'une activité d'olfactothérapie (soin par analyse olfactive) est installée dans le service du Pr Bussel, à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). De quoi s'agit-il ?
Très schématiquement, on sait que l'odorat est une modalité sensorielle primaire qui répond à une structure neurologique simple. Plus simple que les structures complexes mises en jeu dans les fonctions supérieures, comme l'attention et la mémoire. Il était donc logique, comme l'a fait le service de rééducation neurologique, de voir si l'on peut exploiter l'olfaction pour compenser les déficits d'attention et de mémoire.
(De plus, des déficits de l'olfaction (diminution de l'odorat, fausses reconnaissances olfactives) passent souvent inaperçues et demandent une prise en charge spécifique.)
Des ateliers collectifs et individuels
A Garches, l'olfactothérapie est proposée sous forme d'ateliers à des adultes hospitalisés dans le service, qui présentent des séquelles d'AVC ou de traumatisme crânien.
Un atelier de groupe a lieu chaque semaine ; il est animé par Patty Canac, professeur à l'ISIPCA (Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l'aromatique alimentaire), assistée d'une professionnelle du milieu du parfum (bénévole de l'Association CEW France).
Les rééducateurs du service (kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes) sélectionnent les patients selon leur type de handicap cognitif ou comportemental, de manière à pouvoir former des petits groupes interactifs et assurer un encadrement médicalisé.
A chaque séance, les animatrices proposent des palettes olfactives différentes à chaque séance : odeurs de paysage (mer, sous-bois, fleurs...), odeurs familières d'enfance (maison, trousse, bonbons...), odeurs alimentaires (salées, sucrées, fruits, épices, boissons...).
Ces exercices sont effectués en « multisensorialité » (toucher, goût, vue, odorat...).
Certains patients présentant des déficits importants et/ou particuliers (hyposmie, oubli à mesure) sont pris en charge individuellement.
On cherche à renforcer la mémoire par l'olfaction. Des études sont en cours, pour l'instant centrées sur des traumatisés crâniens graves (score de Glasgow initial inférieur ou égal à 8) qui présentent d'importantes séquelles mnésiques.
Comme l'explique au « Quotidien » Christiane Samuel, orthophoniste dans le service de rééducation neurologique de l'hôpital Raymond-Poincaré, l'objectif est d'évaluer en parallèle le «visuel » et l'« olfactif » et de voir si le déficit de mémoire visuelle peut être compensé par un indiçage olfactif.
Pour l'instant, ce travail porte sur 7 patients ; l'objectif est de le conduire sur 15. Pour explorer la mémoire visuelle, on dispose notamment de l'échelle BEC 96 de Signoret, qui comporte plusieurs épreuves. Par exemple, explique Christiane Samuel : on propose au sujet six images (sapin, avion, tasse...), puis on les enlève. On fait un rappel libre (quels étaient ces six objets ?) et un test de reconnaissance, en proposant, parmi quatre images, une image « cible » choisie parmi les six images initiales. Ces tests sont faits immédiatement puis en différé (une demi-heure plus tard), ce qui permet de se faire une idée de la mémoire récente et de la mémoire à long terme.
Pour explorer la mémoire olfactive, on propose six odeurs de base (lavande, chocolat, citron...) ; on les code verbalement et on fait un test de rappel verbal. On fait aussi un test de reconnaissance en glissant, parmi trois odeurs, un des six qui a déjà été sentie.
Pour l'instant, précise Christiane Samuel, les résultats sont très préliminaires. Chez certains patients, il semble que les résultats sont meilleurs pour l'olfaction. Ce qui permet d'espérer que ceux qui ont de gros problèmes de mémoire visuelle pourraient être un peu aidés par un indiçage olfactif.
Après les traumatisés crâniens, un travail du même type devrait porter sur les sujets qui ont des séquelles mnésiques dans les suites d'un AVC (notamment portant sur l'artère communicante antérieure).
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