Le Temps de la médecine
« Le virus de la grippe existe depuis très longtemps, indique le Pr Sylvie Van der Werf (unité génétique moléculaire des virus respiratoires, Institut Pasteur, Paris). On trouve des descriptions dans les écrits d'Hippocrate qui font penser à la grippe. Il est même possible qu'elle ait existé avant cela. Certaines informations laissent penser qu'il y a eu plusieurs pandémies au cours du Moyen Age. On soupçonne effectivement que des pandémies majeures de grippe ont eu lieu de façon récurrente au cours du temps. Même s'il est difficile d'évaluer leur impact réel et la mortalité associée, tout laisse penser que ces épisodes de pandémies de grippe ont bien eu lieu. »
L'affection sévit sous une forme sporadique, épidémique ou pandémique. Les épidémies mondiales ou pandémies sont dues à l'apparition de nouveaux virus ayant subi des mutations brutales. Tous les experts s'accordent à penser qu'une pandémie est toujours possible.
Dérive antigénique
Le groupe des myxovirus, qui appartient à la famille des Orthomyxoviridae (étymologiquement, virus ayant une grande affinité pour le mucus), se caractérise par un génome à ARN segmenté (8 segments). Le virus se distingue, comme tous les virus à ARN, par une grande aptitude aux variations génétiques. Ces variations touchent essentiellement les deux protéines de surface que sont l'hémagglutinine (HA) et la neuraminidase (NA). Leur fonction diffère : la première permet au virus de se fixer sur les cellules respiratoires et de les infecter, la seconde diminue la viscosité du mucus protecteur des voies respiratoires et aide le virus à se décrocher de sa fixation à la membrane cellulaire, ce qui facilite sa propagation locorégionale.
L'ARN viral, monocaténaire (simple brin) nécessite pour sa réplication l'intervention d'une ARN polymérase virale. Cependant, cette enzyme peu fidèle commet un grand nombre d'erreurs, car elle ne possède ni fonction de relecture, ni fonction de correction. Les mécanismes de réparation, qui ont lieu physiologiquement dans la cellule eucaryote sur l'ADN double brin, ne peuvent se faire sur l'ARN monocaténaire. Les erreurs ne peuvent être réparées. Elles s'accumulent au cours des cycles et sont à l'origine de protéines virales modifiées. « Ces mutations vont pouvoir se traduire, en fonction des différentes pressions de sélection qui s'exercent, notamment la pression liée aux anticorps, en des variations antigéniques constantes. C'est ce qu'on appelle la dérive antigénique qui se traduit dans la pratique par la nécessité de réactualiser la composition vaccinale chaque année », explique le Pr Van der Werf. Certaines mutations vont être sélectionnées parce qu'elles sont bénéfiques pour le virus et lui permettent de résister à l'action neutralisante des anticorps.
Le deuxième mécanisme de variation est plus rare et est dû à la structure segmentée du virus. En cas de coïnfection par deux virus différents, il peut y avoir des échanges génétiques entre ces deux virus, ce qui aboutit à la production de virus réassortants. Ce phénomène existe pour le virus de type A, dont seulement certains sous-types circulent chez l'homme, en particulier les sous-types H3N2 et H1N1. « Et c'est du fait de ce phénomène qu'on a vu apparaître l'année dernière des virus d'un nouveau sous-type, H1N2 », dit encore Sylvie Van der Werf.
Ce type de variation peut s'observer chez l'homme, mais également à l'occasion d'une transmission interespèce. Si le nombre de sous-types est réduit chez l'homme, chez les oiseaux qui constituent des réservoirs pour le virus, on sait que les sous-types sont très nombreux.
Brassage génétique
Le brassage génétique, par échanges de segments et réassortiment, est donc beaucoup plus important. « S'il y a un franchissement de la barrière d'espèce et donc passage d'un virus d'oiseau à d'autres mammifères et, éventuellement, à l'homme, il peut y avoir introduction dans la population humaine d'un sous-type qui ne s'exprimait pas jusqu'à présent. Cela peut être à l'origine d'une pandémie grippale. »
On se souvient de l'épisode de grippe aviaire à Hong Kong en 1997, avec quelques cas humains décrits avec des virus H5N1, et, en 1999, avec deux cas humains dus à des virus H9N2. « Heureusement, cela s'est arrêté là, parce que ces virus ont été capables d'infecter quelques individus, mais il n'a pas été décrit de transmission interhumaine. Donc, le virus n'était pas pleinement adapté à son nouvel hôte.
« La décision prise à l'époque à Hong Kong d'abattre tous les poulets a eu pour conséquence de tarir la source d'infection. Ainsi le virus n'a pas eu le temps de se recombiner et d'effectuer des échanges génétiques avec des virus humains qui circulent normalement et, donc, de s'adapter pleinement à l'homme et d'être capable d'être transmis d'un individu à l'autre. »
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