Pendant six mois, 1 500 experts américains ont cherché en vain la présence, sur le territoire irakien, d'armes de destruction massive (ADM).
Ces ADM ont servi de prétexte à l'invasion de l'Irak par la coalition anglo-amércaine. Leur absence aveuglante a plongé la Grande-Bretagne dans une crise politique grave. George W. Bush, dont la popularité personnelle a moins souffert que celle de Tony Blair, essuie maintenant les critiques acerbes des candidats démocrates à la présidence. Le premier réflexe des médias a été, bien sûr, d'attaquer les gouvernements américain et britannique au sujet du déclenchement d'une guerre dont les raisons affichées n'avaient, en définitive, aucun fondement. Nous-mêmes, dans ces colonnes, avons dénoncé le mensonge du président des Etats-Unis. D'autant que les services américains de renseignements, avant la guerre, ne semblaient pas eux-mêmes convaincus que Saddam Hussein disposait de moyens de destruction capables de menacer les pays voisins.
Tony Blair, le va-t-en-guerre
Cependant, s'il n'a pas menti, et si, en réalité, M. Bush voulait seulement tester la théorie de la guerre préventive (il l'a fait à ses dépens), il semblait croire à la présence d'ADM en Irak.
Tony Blair, loin d'abonder dans le sens du président américain par mimétisme ou par fidélité, mais parce qu'il partageait sa conviction, est apparu comme un va-t-en-guerre encore plus bagarreur que M. Bush. En d'autres termes, si Bush et Blair avaient eu des doutes, ils n'auraient pas pris le risque d'être démentis si peu de temps après la guerre. On en vient donc à croire que l'expédition anglo-américaine a été montée sur des renseignements fragiles, mais pas nécessairement avec la volonté de tromper la commmunauté internationale.
Un auteur anglais, Peter Riddell, publie un livre (1) selon lequel Tony Blair était certain, depuis 1997, et sur la foi des renseignements rassemblés par ses services, que Saddam possédait des ADM et s'apprêtait à s'en servir. Il se serait heurté alors au scepticisme de Bill Clinton, avec lequel, selon Riddell, il a eu des relations parfois orageuses. Si l'on en croit cet ouvrage, Blair aurait trouvé auprès de Bush une oreille beaucoup plus attentive. Ce serait donc lui qui, plus que les Américains, souhaitait déboulonner Saddam.
On n'est pas obligé de croire à cette version des faits, d'autant qu'il y avait entre Clinton et Blair des convergences idéologiques considérables, surtout sur la gestion de l'Etat. Les deux hommes incarnaient la gauche moderne, celle qui emprunte au conservatisme pour soigner les scléroses de l'Etat-providence. On ne voit pas du tout ce qui rapproche Bush et Blair, situés aux antipodes. Et en admettant que Blair soit à l'origine de la deuxième guerre du Golfe, il n'a cessé d'influencer Bush dans le sens du multilatéralisme et de la coopération avec l'ONU.
On peut donc établir que la guerre a été le résultat de soupçons anglo-américains, sinon de certitudes, d'une émulation entre Blair et Bush, d'une campagne de presse qui a persuadé ceux qui la lançaient plus que ceux auxquels elle était destinée. S'ils ont menti, c'est aussi à eux-mêmes.
En revanche, demeure un mystère insondable, celui de l'attitude de Saddam Hussein. Jusqu'à présent, personne n'a posé la question : s'il n'avait pas d'ADM, pourquoi n'en a-t-il pas donné la preuve, pourquoi a-t-il expulsé les inspecteurs de l'ONU en 1998, pourquoi a-t-il laissé venir une guerre dont il savait à coup sûr qu'elle lui ferait perdre son job ?
Il est probable, c'est en tout cas une hypothèse qui circule à Washington, que Saddam possédait des ADM et qu'il s'en est débarrassé. Cela expliquerait au moins qu'il ait expulsé les experts internationaux, sans doute pour faire le ménage en toute tranquillité. Une certitude absolue est qu'il avait des armes chimiques puisqu'il les a utilisées contre les Kurdes et contre l'Iran. S'il a détruit ces armes, il peut en avoir détruit d'autres. Il peut aussi avoir déménagé son arsenal en Syrie : n'a-t-il pas envoyé sa flotte aérienne de combat en Iran au début de la première guerre du Golfe, sans jamais la récupérer par la suite ?
Fascination pour le chaos
En tout cas, à la veille de l'invasion, il pouvait laisser le champ libre aux experts de l'ONU. Or il a continué à jouer au chat et à la souris, comme s'il avait quelque chose à cacher. Il aurait dû, s'il n'avait été aussi fier, inviter experts anglais et américains à sillonner son territoire, prouver de façon éclatante qu'il était accusé à tort. Fierté, sens de sa souveraineté, désir de cacher non pas des armes mais des crimes contre ses concitoyens, ou, mieux encore, fascination pour le chaos ?
Une théorie avance qu'il a cru à un bluff anglo-américain, qu'il n'a jamais considéré comme une hypothèse sérieuse que les armées de la coalition pénétreraient sur son territoire. C'est d'autant plus vraisemblable que nous-mêmes espérions que Bush et Blair voulaient seulement exercer sur Saddam une pression telle qu'il se serait enfui. Mais Saddam n'avait-il pas fait l'expérience de la première guerre ? Ne devait-il pas son salut à la magnanimité de Bush père ?
Une autre théorie suggère que le dictateur irakien croyait, naïvement ou bêtement, qu'il gagnerait la bataille, parce que les effectifs de la coalition étaient trois fois moins nombreux qu'en 1991 et parce que les Turcs ont refusé d'ouvrir le front septentrional. Comme beaucoup de tyrans, il n'aurait pas su qu'il était trahi avant le début du conflit, que nombre de ses généraux avaient été payés par les Etats-Unis pour abandonner leur armée dès le premier coup de feu, que des Irakiens munis de GPS signaleraient les positions irakiennes et que le front de Bagdad, miné par les espions, les trahisons et la démoralisation, s'effondrerait pratiquement sans combat.
Attila à l'envers
Une telle ignorance, pour autant qu'elle soit confirmée un jour, ne dresse pas de l'intelligence du personnage un tableau convaincant. Mais après tout, si Saddam s'est lourdement trompé, que dire de Bush et de Blair ?
La meilleure explication pourrait être son goût de la guerre, sa volonté d'en découdre, son nihilisme, puisque rien n'importe à ses yeux, sûrement pas la vie de ses concitoyens et encore moins celle de ses ennemis. Mais l'idée d'une guerre qu'il aurait souhaitée par pure perversité ne colle pas avec celle du dictateur qui rêvait de ressusciter l'empire mésopotamien et possédait 39 palais. Il est donc difficile d'élucider le mystère.
Tout au plus peut-on dire que, dans sa nouvelle vie de terroriste traqué, mais qui porte des coups très durs à la coalition, Saddam se sent à l'aise, même si, dans la bataille, il a perdu ses deux fils. Pour lui, chaque Américain qui tombe est un exploit, chaque oléoduc qui flambe est un triomphe. De la même manière, en 1991, il a brûlé les puits de pétrole koweitiens avant de se retirer et il a pollué durablement le Golfe en y déversant de l'or noir. C'est Attila à l'envers : ce n'est pas dans la conquête mais dans la défaite qu'il pratique la politique de la terre brûlée.
(1) « Hug them close : Blair, Clinton, Bush and the "Special Relationship »
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