De notre correspondante
à New York
La transfusion des plaquettes, développée il y a un demi-siècle pour corriger les déficits plaquettaires (insuffisance médullaire, chirurgie invasive), a prouvé son efficacité pour réduire les hémorragies. C'est une procédure salvatrice très courante puisque quatre millions de ces transfusions ont lieu chaque année aux Etats-Unis seulement.
Toutefois, leur stockage est problématique. Les plaquettes, à la différence des autres tissus transplantables, ne tolèrent pas la réfrigération. Si elles sont exposées au froid, même pour un temps bref, une fois injectées, elles disparaissent rapidement de la circulation sanguine. Cet effet du froid sur leur durée de vie in vivo est irréversible. Il est donc nécessaire de les stocker à température ambiante. Un casse-tête logistique et coûteux, sans compter le gaspillage des lots périmés (jusqu'à la moitié).
La raison de cette élimination rapide des plaquettes réfrigérées demeure un mystère. On a cru un temps que leur déformation, sous l'effet du froid, pouvait être en cause.
Le froid modifie un récepteur de surface
Une équipe, dirigée par le Dr Karin Hoffmeister, du Brigham and Women's Hospital à Boston, a découvert la clé du mystère.
L'élimination des plaquettes réfrigérées survient principalement dans le foie, ont-ils démontré. Elle est totalement indépendante de leur forme. Ainsi, des plaquettes refroidies, dont la forme discoïde est préservée par des moyens pharmacologiques, sont éliminées aussi vite de la circulation que des plaquettes refroidies dont la forme n'a pas été préservée.
Le refroidissement produit un changement spécifique à la surface des plaquettes : les récepteurs du facteur de von Willebrand (fvW) s'agglutinent. Ou, plus exactement, les sous-unités glycoprotéine Ib alpha (GP Ib alpha) du récepteur du fvW s'assemblent. Cette nouvelle configuration est reconnue par les macrophages hépatiques, via leur récepteur CR3 (complément type 3 receptor), ce qui entraîne une phagocytose des plaquettes et leur élimination.
La GP Ib alpha joue un rôle important dans l'hémostase en se liant à la forme activée du facteur de von Willebrand, sur le site d'une lésion vasculaire. Or, le refroidissement ne perturbe pas l'interaction entre la GP Ib et le facteur de von Willebrand. En effet, les plaquettes exposées au froid se lient toujours au fvW et fonctionnent normalement, tant in vitro qu' ex vivo, après transfusion chez des souris déficientes en CR3.
La séparation des interactions de la GP Ib alpha avec le fvW et le CR3 suggère donc que la modification sélective de la GP Ib pourrait permettre la conservation à froid des plaquettes. « Cette découverte suggère qu'une modification du récepteur plaquettaire pourrait permettre aux plaquettes réfrigérées de circuler tout en conservant leur fonction normale », explique au « Quotidien » le Dr Karin Hoffmeister.
En périphérie de l'organisme
Les souris exprimant le CR3, mais non celles déficientes en CR3, ont une baisse rapide du taux des plaquettes lorsqu'elles sont exposées au froid. Les chercheurs suggèrent par conséquent que le froid « amorce » les plaquettes pour l'activation.
Ils supposent aussi que les plaquettes sont des thermosenseurs. Elles seraient conçues pour être peu sensibles aux stimuli thrombogènes à 37 °C (température centrale), mais s'amorceraient en périphérie de la circulation, territoires plus froids, là où surviennent la plupart des lésions. « Un léger refroidissement rend les plaquettes plus sensibles à la coagulation », poursuit le Dr Hoffmeister. « Celles situées à la surface de l'organisme, là où sont survenues la plupart des lésions au cours de l'évolution, sont davantage prêtes ("amorcées") à répondre à une lésion que, par exemple, dans le cur, où la température corporelle est plus élevée et où la coagulation n'est pas désirable. Après des expositions répétées à des températures plus faibles, l'organisme élimine les plaquettes amorcées afin de prévenir une coagulation pathologique. »
« Cell » 10 janvier 2003, p. 112.
Une solution pour la cryoconservation
« Nous avons tout récemment présenté un abstract au meeting de l'ASH (American Society of Haematology, décembre 2002) décrivant une solution possible au problème de la destruction des plaquettes par le froid », explique au « Quotidien » le Dr Karin Hoffmeister (Brigham and Women's Hospital à Boston).
« Nous avons montré que les carbohydrates (bêtaglucans) associés à la GP Ib alpha sont mis en jeu dans l'interaction entre la GP Ib alpha et le CR3. Nous avons aussi pu démontrer que la couverture enzymatique de ces bêtaglycans exposés aboutit à une survie normale ou même meilleure des plaquettes réfrigérées chez la souris. Nous espérons que cette procédure relativement simple de modification des glycans permettra la cryopréservation liquide et prolongera par conséquent la conservation des plaquettes pour la transfusion, en améliorant leur qualité ».
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