Ecologie sanitaire

Le monde moderne génère stérilité et cancers

Publié le 29/02/2004
Article réservé aux abonnés
1276188589F_Img161638.jpg

1276188589F_Img161638.jpg

> La santé en librairie

L'OCCULTATION du cancer n'a pas empêché le fléau de progresser. Cette maladie augmente de manière alarmante dans le monde occidental depuis quelques décennies : 70 000 morts en France en 1945, 150 000 cinquante ans plus tard ; en France, le nombre de cancers du sein a été multiplié par 2, celui du cancer de la prostate par 4. Les progrès thérapeutiques sont beaucoup trop modestes pour compenser l'augmentation de la prévalence, qui ne peut être expliquée seulement par l'allongement de la vie. La progression est d'ailleurs nette chez les enfants (leucémies, lymphomes et tumeurs cérébrales en particulier), 30 à 50 % de plus depuis vingt ans. De 80 à 90 % de ces cancers seraient causés par la dégradation de l'environnement, la pollution de l'air, de l'eau et de l'alimentation par les nitrates, les pesticides, les dioxines, explique le Pr Belpomme. Cette pollution, « véritable crime contre l'humanité », est également responsable d'une croissance alarmante de la stérilité masculine et de nombreuses malformations congénitales. Ce phénomène ne concerne pas seulement la France, mais tous les pays industrialisés, et s'étend aux pays en développement parce que nous y exportons notre mode de vie. « Notre siècle sera écologique ou nous ne serons plus », affirme Dominique Belpomme. Si rien n'est fait, si politiques et société civile ne prennent pas la mesure du drame et les mesures qui s'imposent, nous ne léguerons à nos enfants que des images (de nature, d'animaux et de végétaux disparus), avant que notre monde ne disparaisse tout à fait. De nouvelles maladies apparaissent (cancers provoqués par la pollution physico-chimique, viroses et maladies bactériennes de plus en plus incontrôlables), la planète se réchauffe dangereusement sous l'effet de serre, nous ne faisons que commencer à en payer les conséquences.

L'homme totalement dépendant de l'environnement.

Les optimistes (ou les inconscients ?) argueront du fait que tout ceci n'est pas certain. L'établissement de preuves scientifiques prend du temps et le pire n'est peut être jamais sûr ; mais, s'agissant de l'avenir de l'humanité, ne faut-il pas avant tout faire jouer le principe de précaution ? souligne D. Belpomme. Car, dit-il, le libéralisme non régulé est le véritable cancer de l'humanité, comme la marchandisation systématique des biens et la croissance pour la croissance, responsable de la dégradation de l'environnement.
Lorsque des mesures législatives ou administratives interdisent quelques-uns des produits les plus dangereux existants (les produits organiques persistants, dont le DDT par exemple), elles sont mal ou pas appliquées. Le Pr Belpomme ne croit pas à l'exo-darwinisme, cher à Michel Serres, et à la capacité de l'homme d'infléchir sa propre évolution grâce à ses capacités technologiques : « En biologie, toute transgression des lois est un crime ou un suicide, dit-il. Ma formation de chercheur et de cancérologue me conduit à envisager le problème de la pollution essentiellement au plan de l'expertise médicale. Cette démarche n'est donc pas fondée sur une opinion, un sentiment ou une conviction mais sur des faits scientifiques incontournables. » L'heure est grave mais peut-être nous reste-t-il une chance à condition de prendre conscience et d'agir vite. Les astrophysiciens disent qu'on pourrait réduire l'effet de serre en un siècle à condition d'agir dès maintenant. « Il nous faut en un siècle sauver dix mille ans d'humanité », affirme-t-il.

Pas de vie sans espoir ni d'espoir sans vie.

Comment changer les choses ? En mobilisant la société civile et la conscience de chacun, en construisant une Europe unie, contre-poids efficace aux Etats-Unis qui refusent de signer le protocole de Kyoto et qui sont responsables à eux seuls de 25 % de l'effet se serre, en développant une écologie sanitaire capable de dépasser les clivages absurdes entre la gauche et la droite, en condamnant le leurre du développement durable tel qu'il est conçu et appliqué actuellement.
On ne peut concevoir la médecine des hommes sans celle de l'environnement gravement malade, disent aussi les membres de la Société internationale de recherche pour l'environnement et la santé (Sires) et l'Association nationale de prévention médicale (Anpm) dans un ouvrage collectif préfacé par Jean-Marie Pelt. Ces spécialistes de la santé et de l'écologie, dont le Pr Maurice Cloarec, qui participent au plan national Santé-Environnement, lancent également un cri d'alarme et prônent une économie écologique. Prévention des maladies par une politique de protection de l'environnement digne de ce nom et par le développement des moyens de recherche fondamentale sont pour eux les conditions indispensables à notre survie. Jacques Chirac avait annoncé en janvier 2003 « une véritable révolution, celle de l'écologie humaniste », sur laquelle comptaient ces auteurs comme Dominique Belpomme. Sans désespérer tout à fait, tous semblent déçus par ces déclarations qui demeurent des vœux pieux. « En tant que simple citoyen, je ne peux que lui suggérer fortement de prendre conscience de l'urgence à mettre en place une véritable politique environnementale et de traduire concrètement sa parole en actes », écrit Dominique Belpomme.

« Ces maladies créées par l'homme. Comment la dégradation de l'environnement met en péril notre santé », Pr Dominique Belpomme, Albin Michel, 380 pages, 19,50 euros.
« L'Ecologie au secours de la vie. Une médecine pour demain », Philippe Saint-Marc, Dr Jacques, Editions Frison-Roche, 404 pages, 25 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7488