Le moine chercheur

Publié le 12/12/2011
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Alain Prochiantz, auteur de théâtre actuellement à l’affiche du Théâtre national de la Colline, ne joue pas dans la vraie vie. Loin de l’acteur exposé sous les projecteurs au regard des autres et voguant d’un rôle à l’autre, c’est plutôt un moine soldat, quoiqu’athée et refusant l’ascèse, mais animé par une idée fixe, la recherche. Avec pour résultat, le meilleur. Professeur au Collège de France, spécialiste en neurosciences, il vient de recevoir le grand prix Inserm 2011. Pour autant, les honneurs et autres récompenses ne sont évidemment pas une fin en soi. Il a refusé la Légion d’honneur par exemple : « Je n’ai accompli aucun fait marquant, à la différence de mon père qui lui a mérité cette distinction. » La famille du petit Alain, il est vrai, a traversé le siècle dans toutes ses horreurs, et pour le pire. La grand-mère, originaire de Lettonie, vient seule avec son fils en France, après s’être mariée avec un Arménien. Elle avait pris le temps de soutenir un doctorat en philosophie à l’université de Heidelberg avant de réussir des études de médecine. Puis, ce seront les années noires de la Seconde Guerre mondiale et l’engagement dans la résistance pour le père. Mais si Alain Prochiantz a de la mémoire, il n’a pas de souvenirs. La volonté farouche des parents, tous deux médecins, de s’insérer au sein du modèle républicain, conjuguée au désir de faire table rase de l’Histoire, explique cette absence de passé dans le présent d’Alain Prochiantz. À quoi sert le tragique pour un héritier des deux premiers génocides, dont le métier est de se projeter dans le futur ? Décrypter la matière, voilà un beau programme, plonger dans la généalogie, les secrets de famille et peut-être l’intime sûrement pas. La recherche sera donc l’unique obsession d’Alain Prochiantz. Dans ce cadre, le théâtre n’est pas un objet de divertissement à côté de la science. Mais plutôt une autre manière, nocturne, de plonger dans le travail, tout en transmettant des idées à un plus large public. En vérité, l’un nourrit l’autre et élargit la perspective, comme la rédaction de livres dont le prochain doit être publié à l’automne 2012.

Mais cette reconnaissance institutionnelle et sur tous les fronts ne doit pas tromper sur le parcours longtemps solitaire. « Je ne me reconnais pas de maître ou de patron », lâche le titulaire de la chaire Processus morphogénétiques au Collège de France. Il ne faudrait pas voir ici un péché d’orgueil. Mais plutôt la confirmation que l’innovation scientifique heurte souvent le sens commun. Sa découverte majeure a longtemps été ignorée par la communauté scientifique. Et n’a pas été publiée dans des revues de type Nature ou Science. Elle renversait un des dogmes de la biologie moléculaire. À savoir, un facteur de transcription peut être internalisé par une cellule et exercer un effet biologique notoire.

On comprend pourquoi Alain Prochiantz apprécie ce grand prix décerné par ses pairs. Le monde de la recherche offre parfois des happy ends que ne renieraient pas les gens de théâtre.

Gilles Noussenbaum

Source : Décision Santé: 280