D'un côté, Patrick Devedjian (RPR) propose que, comme pour l'élection présidentielle, ne soient retenus au second tour des élections législatives que les deux premiers candidats, et non plus ceux qui obtiennent au premier tour 12,5 % des suffrages ou plus. De l'autre, Olivier Besancenot (LCR) propose le retour pur et simple à la proportionnelle. Que faut-il en penser ?
D'abord, que le scrutin proportionnel est le plus démocratique. Il assure à chaque parti une représentation équitable, qui est fonction du nombre de voix qu'il a remportées. Pour être juste, on peut même dire qu'il est anormal que l'extrême droite, qui représente, selon les années, entre 13 et 20 % de l'électorat, n'ait eu qu'un député dans la dernière Assemblée. Ce que Jean-Marie Le Pen et consorts ont toujours dénoncé avec la plus grande vigueur.
L'esprit de la Constitution
Si M. Besancenot réclame à son tour la proportionnelle pure, ce n'est pas, bien sûr, pour favoriser le Front national. Il prêche pour sa paroisse, c'est-à-dire le courant d'extrême gauche minoritaire qu'il représente, qui obtient bien moins de suffrages que le FN et qui n'a pratiquement aucune chance d'envoyer des députés à l'Assemblée par le biais du scrutin majoritaire.
Le mode de scrutin actuel est directement lié à l'esprit même de la Constitution. Il s'agit d'empêcher ce qu'il est convenu d'appeler le « régime des partis » et de dégager au second tour une majorité claire, amplifiée par des reports de voix, puis de gouverner sans entraves jusqu'aux prochaines élections. C'est un instrument de stabilité politique destiné à assurer la durée des gouvernements, sans laquelle aucune action n'est efficace.
Cette stabilité est le produit d'une injustice. Mais elle constitue aussi une défense des institutions démocratiques. Si l'on se réfère au premier tour de la présidentielle, on note que le vote de protestation représente au moins un tiers de l'électorat. Si ce vote de protestation avait été unitaire, il aurait bénéficié du scrutin majoritaire et se serait peut-être imposé au second tour, comme il pourrait dégager une majorité au second tour des législatives. Mais la protestation n'est pas un parti politique. Elle ne va pas dans le même sens. Elle a deux essences, extrême gauche et extrême droite, qui se situent aux deux bouts du spectre idéologique.
S'il n'exprime pas la plus grande vertu de la démocratie, le scrutin majoritaire a donc l'avantage de la protéger de ceux qui souhaitent se servir des avantages qu'elle accorde à tous de façon égalitaire pour en finir avec elle et la remplacer par une forme ou une autre de régime totalitaire. On ne peut donc pas se prononcer pour la proportionnelle sans accepter en même temps les risques qu'elle comporte, et notamment celui de transformer en arbitres des partis minoritaires qui ne reflètent nullement la carte politique du pays.
Il a été fait grand cas du vote de protestation, d'abord parce qu'il a permis une percée de Jean-Marie Le Pen, ensuite parce qu'il s'exprime bruyamment. Mais, bien qu'il soit inquiétant, la Constitution permet de le cantonner et de le gérer dans un cadre démocratique. Bref, pour se perpétuer, toute démocratie doit éviter de sombrer dans une générosité excessive qui la mettrait en danger.
On rejettera donc la suggestion de M. Besancenot, au nom de la stabilité politique ; faut-il retenir celle de M. Devedjian ? On ne doit pas, en tout cas, l'exclure sans y avoir réfléchi. Elle aurait pour effet de donner la majorité absolue en sièges à une majorité relative en voix. Déjà, en gardant le seuil de 12,5 %, un mouvement peut régner sur l'Assemblée avec 40 % des suffrages. Si on ne retenait que les deux premiers candidats du premier tour, on laminerait un peu plus le vote des extrêmes.
L'inconvénient, c'est de ne donner aucun exutoire à la protestation et à ne jamais la gratifier de sièges à l'Assemblée qui la ramèneraient dans le giron de la démocratie.
Bipolarisation
L'autre conséquence du renforcement du scrutin majoritaire à deux tours serait d'accroître la bipolarisation : Patrick Devedjian ne cherche pas à faire gagner son camp à coup sûr, mais seulement à éliminer les petits partis. Car le scrutin majoritaire peut, selon les cas, jouer en faveur de la gauche (1997) ou de la droite (1993). Mais la bipolarisation aussi résulte des dispositions constitutionnelles : l'idée est de faire de la France un grande démocratie où s'affrontent deux vastes courants dont l'un est au pouvoir et l'autre dans l'opposition.
Le choc du 21 avril a ébranlé ce dessein et a montré que le texte fondamental a ses limites : il ne peut pas contenir ou atténuer l'éparpillement des suffrages en de nombreux partis, il ne peut pas éliminer ceux qui ont une vocation assez singulière pour refuser d'entrer dans une coalition, il ne peut pas empêcher l'anarchie qu'entraîne la multiplication des partis. Ni la gauche ni la droite ne seront sorties indemnes des quatre scrutins de 2002. C'est l'affaiblissement des deux camps qui a déclenché la montée en puissance des partis protestataires. Et c'est maintenant au renforcement des deux camps qu'il faut s'atteler.
La question reste posée d'une révision de la Constitution et de l'avènement d'une nouvelle République. Même si Jacques Chirac a rejeté l'une et l'autre, en indiquant par là sa volonté de retrouver une majorité parlementaire qui rendrait le problème beaucoup moins urgent, M. Devedjian ne s'en est pas moins montré partisan d'un régime plus présidentiel, ou moins parlementaire. Ce qui ne change rien au problème de fond qui est que, pour réduire le vote de protestation, il faut faire en sorte que les Français aient moins de raisons de protester.
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