Maurice Titran, pédiatre à Roubaix

Le militantisme médico-social

Publié le 15/01/2006
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NÉ EN 1943, Maurice Titran a passé toute son enfance dans le Nord. Une enfance rude entre une mère qui a été veuve tôt, un beau-père écrasant, la vie en pension mais aussi une vieille bonne hollandaise aimante et généreuse. Et puis la réussite, malgré des conditions difficiles, dans ses études de médecine. Tout cela sur fond de déclin économique du paysage roubaisien. Il s’oriente vers la pédiatrie et entre à l’hôpital de la Fraternité de Roubaix en 1968. Les années 1970 sont marquées par un tournant dans l’histoire de la pédiatrie : progrès techniques considérables avec début des soins intensifs aux grands prématurés, naissance du Samu pédiatrique, mais aussi émergence de nouvelles façons de comprendre la psychologie des bébés et d’envisager les relations avec leurs parents. La curiosité de Maurice Titran, son intérêt pour cette nouvelle approche de la pédiatrie (on se souvient du film « Le Bébé est une personne », tourné avec Tony Lainé) sauront s’adapter à la réalité sociale très particulière de sa région d’exercice : la misère sociale donne à la médecine ses limites et exige d’inventer d’autres modèles et d’autres pratiques. Convaincu que, pour soigner et aider les gens vivant dans la misère, il faut aller les voir là où ils sont et leur donner confiance, il participe à Roubaix à une « consultation » pionnière dans un foyer d’accueil pour famille en grandes difficulté, créé par Thérèse Potekov, assistante sociale. A cette « consultation », des mères en grande précarité ne viennent pas voir le pédiatre mais voir « Maurice », qui les écoute, les accompagne, tente de renouer les liens parentaux défaits par l’alcool, la misère et leurs propres expériences de violence familiale. Son charisme, son énergie et sa volonté de changer les choses l’aideront et le pousseront à poursuivre ce militantisme médico-social. La création du centre d’action médico-social précoce (Camsp) de Roubaix en 1981 s’inspirera de son expérience initiale d’accompagnement, d’alliance avec les femmes, pour leur donner le désir de prendre en charge leur propre santé et les besoins de leurs enfants.

Moins de parents malades, moins d’enfants placés.

Chômage, alcoolisme, violence, handicap rythment la vie de ces familles du quart-monde pour qui la seule prise en charge médicale en cas de problème de santé n’est évidemment pas adaptée. Le syndrome d’alcoolisation foetale, entre autres ravages de l’alcool, extrêmement fréquent, demande une réponse médico-sociale, un compagnonnage que Maurice Titran a réussi à instaurer au sein du centre roubaisien. Ce centre, contrairement aux autres Camsp, nés de la loi Veil de 1975 sur les handicapés, accueille des enfants de 0 à 6 ans aux pathologies variées. Qu’ils soient atteints de difficultés sensorielles, motrices, psychologiques ou psychosociales, tous les enfants «abîmés par la vie» peuvent être pris en charge dans cette structure qui relève tout autant de la maison familiale que d’un service médical spécialisé.

Aujourd’hui, le Camsp de Roubaix, qui dispose quasiment du même budget qu’il y a vingt-cinq ans, fonctionne avec quatorze équivalents temps pleins pour suivre 150 enfants handicapés.

Elaborer un diagnostic, mettre les familles en confiance, proposer des solutions médicales et sociales pour les enfants comme pour les parents, survivre aux échecs, recommencer à espérer et à convaincre, informer des méfaits de l’alcool tout en résistant à l’étouffement de l’administration, combattre l’alcool font le quotidien de Maurice Titran et de ses collaborateurs. Ensemble, à l’heure où des confrères font des actes de plus en plus techniques, ils «investissent dans des espaces un peu aléatoires en s’efforçant de glisser un peu de tendresse dans un monde qui en manque singulièrement».

Florence Quille, Maurice Titran, « Un pédiatre au charbon », Buchet Chastel, 166 pages, 15 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7877