Traditions
Des abeilles pétrifiées ont été retrouvées incluses dans des morceaux d'ambre de la Baltique, datant de 50 millions d'années, c'est-à-dire de l'époque où les primates sont apparus en Afrique et en Amérique du Sud. Or ces insectes, les Electrapis (abeilles de l'ambre), diffèrent moins de l'abeille actuelle que nous du primate du tertiaire. De nombreux autres spécimens fossiles ont permis de suivre l'évolution de la lignée jusqu'à l' Apis mellifica moderne, originaire d'Asie.
Après être passées par le Proche-Orient, les différentes races de notre abeille ont butiné à travers l'Europe et l'Afrique. L'Amérique tropicale a, elle aussi, des abeilles sociales et laborieuses, capables de produire du miel en grande quantité. Plus petites que nos abeilles, elles sont dépourvues de dard et de venin, et ont la fâcheuse habitude de se nicher dans les yeux, les oreilles ou la bouche des hommes et des animaux pour butiner les sécrétions qu'elles y trouvent ! D'où leur nom lambe olhos qui signifie lèche-yeux. Elles donnent un miel très fluide, très foncé et très sucré, qui ne se conserve bien qu'après ébullition.
Il semble donc que la société des abeilles, organisée et capable de produire le miel, ait largement préexisté à l'homme bipède. Et le miel a d'abord excité la convoitise des primates. Certains singes, las de se faire piquer les pâtes en volant du miel, ont imaginé d'enfoncer une branche au fond du nid pour la sucer ensuite ; ils ont en quelque sorte inventé la cuillère. Des peintures rupestres, découvertes en Espagne, en Afrique du Sud et en Rhodésie, représentent les premières collectes de miel.
Le goût pour le sucré et l'épicé
Bien après les « primitifs », les hommes ont continué à rechercher le miel et à l'apprécier, non seulement pour son goût sucré, mais aussi pour sa valeur énergétique et nutritionnelle, ainsi que pour ses propriétés médicinales. En plus de sa fonction d'édulcorant, le miel avait celle de condiment. De l'Antiquité à la Renaissance, on a miellé à tout va la plupart des mets, comme on les épiçait ou les salait. En Egypte, les bêtes, offertes en sacrifice, rôtissaient remplies d'une farce faite de farine, de figues, de raisins secs, d'aromates et de miel. La farce au miel était aussi appréciée dans les banquets grecs. La hyma est un hachis de fromage, de viscères, de vinaigre, d'oignons et de miel. L'hyposphagma est une sorte de boudin au miel. La sauce d'Apicius pour le poisson reste un grand classique romain, comme le jambon en croûte de miel, assez différent du jambon au miel de Virginie des pionniers américains.
Le miel servait de bain de cuisson aux Grecs comme aux Romains. Et il permettait de conserver les fruits, entiers ou en confiture. L'nanthe est une confiture de fleurs de vigne sauvage au miel. Puis, au cours du Moyen Age, le sucre a gagné du terrain, et le miel n'a plus guère été utilisé que dans les friandises et pour une gastronomie de dépaysement.
L'inlassable labeur des abeilles
Toutefois, le miel a toujours gardé une image de produit sain et naturel, fruit de l'incroyable labeur des abeilles. Les « travailleuses » remplissent leur jabot du nectar des fleurs (produit sucré contenant 75 % d'eau et des sels minéraux), immédiatement transformé par leur salive et leur suc gastrique ; le saccharose est inverti en dextrose et en lévulose. Rentrés à la ruche, les insectes régurgitent le liquide dans les alvéoles de cire des rayons. Pour diminuer la proportion d'eau, les ouvrières aspirent et régurgitent encore, ventilant l'atmosphère à grands battements d'ailes. Après une vingtaine de minutes, elles bouchent l'alvéole à d'aide d'une capsule de cire sécrétée par leurs glandes abdominales. Il faut entre vingt mille et cent mille voyages pour transporter un litre de nectar, dont il faut cinq litres pour donner un litre de miel.
La qualité du miel dépend des fleurs qu'ont butiné les abeilles. Aussi l'apiculteur soucieux de sélectionner sa production surveille-t-il les grandes floraisons dans le rayon d'action de ses ruches (plusieurs kilomètres). Il effectue une récolte partielle à la fin de chacune des floraisons. Il peut alors se prévaloir d'un miel spécifique, dû à une seule espèce florale, le plus prisé. Le miel « toutes fleurs » ou « de pays » n'a pas cette spécificité.
Il existe, comme pour les vins, des appellations d'origine garantissant la valeur des produits. L'étiquette doit mentionner la provenance florale et géographique, la façon dont le miel a été récolté et l'absence de tout traitement industriel après extraction.
Une récolte millénaire
Les récoltes de miel se font à la belle saison. La première, qui donne le produit le plus fin, a lieu entre mai et juillet ; la seconde se déroule durant les derniers jours de l'été. On dépossède les ruches à l'apogée du soleil, un jour particulièrement beau afin que les travailleuses soient à l'extérieur en train de butiner. Les nourrices, les cirières (qui réparent les alvéoles) et les nettoyeuses sont, elles, restées à domicile ; aussi faut-il enfumer l'entrée de la ruche pour endormir les insectes et effectuer la récolte du miel. On enlève les cadres supérieurs (les cadres inférieurs abritant les larves ne sont pas touchés), dont on extrait les rayons, qui sont centrifugés manuellement en atelier. Le miel ainsi recueilli est filtré, puis mis en pots. Les étapes de la récolte n'ont guère changé depuis l'Antiquité. Le miel reste une friandise précieuse, saine et naturelle.
Source : « Histoire naturelle et morale de la nourriture » de Maguelonne Toussaint-Samat, édité chez Larousse.
La composition du miel
- De 14 à 20 % d'eau.
- De 75 à 80 % de sucres (en grande majorité fructose et glucose, avec un peu de maltose et d'isomaltose, très peu de saccharose).
- De 1 à 5 % de protides.
- Sels minéraux, oligoéléments, vitamines C et B, facteurs antibactériens, arômes, pigments, phénols et polyphénols, pollens, spores et levures.
- pH de 3,9.
Le pain d'épice
« Le pain d'épice est une sorte de gâteau fait avec de la farine de seigle, du miel et des épices », apprend-t-on dans le premier dictionnaire de l'Académie française (en 1694).
En fait, le « miel-pain » aurait été inventé par les Chinois de la dynastie Tang au Xe siècle : le mi-king est un mélange de farine de froment (on ne connaissait pas le seigle) et de miel. Les Mongols le firent ensuite goûter aux Turcs et aux Arabes, et les pèlerins l'apprécièrent en Terre Sainte pendant les Croisades.
Pourtant, la recette du panis mellitus des Romains et du melipecton des Grecs était différente. Il s'agissait d'un gâteau de farine (le plus souvent de sésame), imprégné de miel après cuisson.
On retrouve ensuite en Flandres (au XIIIe siècle) un gâteau proche du mi-king chinois, que Philippe le Bon aurait emporté avec lui à Dijon. Mais ce n'est qu'au siècle suivant que le pain de gaulderye, sorte de bouillie de millet au miel, fait son apparition dans cette ville, et sous le règne de Louis XV que les premiers « vendeurs de pain d'épice et cabaretiers » fleurissent en Bourgogne. En réalité, bien avant Dijon, la ville de Reims s'était déjà faite remarquer pour son « pain d'espices », fait de farine noire de seigle, de miel de sarrasin très corsé venant de Bretagne et d'épices. Très apprécié, il accompagnait même les ragoûts. Puis le sucré prit le pas sur l'épicé et le nombre et la quantité d'épices ont baissé : grains d'anis, cannelle et zeste de citron vert.
Jusqu'à récemment, le secret du pain d'épice de Dijon, de Reims ou de Paris consistait dans le sommeil de la pâte qui fermentait dans des bacs en bois grâce à la présence du miel. Malheureusement, aujourd'hui, on utilise volontiers une poudre levante et on remplace même parfois le miel par de la mélasse.
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