Un chef d'Etat donne sa mesure quand l'occasion historique lui offre un choix et qu'il fait le bon. L'incendie de l'école juive de Gagny a été, en quelque sorte, le catalyseur de l'énergie de Jacques Chirac.
Il a d'abord répété ce que Nicolas Sarkozy avait dit avant lui, à savoir que lorsque des Français juifs sont agressés, cela concerne la totalité de la population du pays. Il a ensuite reçu des représentants de la communauté juive. Il a enfin tenu un conseil interministériel pour prendre des mesures de sécurité des écoles et lieux de culte juifs.
Il faut rendre à Chirac ce qui lui appartient. Alors que François Mitterrand avait refusé, pendant les quatorze ans de son mandat, de reconnaître la responsabilité de l'Etat dans les exactions commises par le régime de Vichy contre les Juifs de France, M. Chirac l'a fait, peu après son élection à la présidence, lors d'une commémoration de la rafle du Vel' d'Hiv.
Un contexte de tension
La politique de la France à l'égard d'Israël n'a pas été modifiée après l'arrivée de M. Chirac au pouvoir, mais le chef de l'Etat puise ses convictions dans le gaullisme et, si sa diplomatie va à l'opposé de celle des Etats-Unis, on ne saurait s'en étonner. En revanche, non seulement son aversion pour l'antisémitisme est indéniable, mais son attachement à l'existence d'Israël ne s'est jamais démentie.
Ce rappel de quelques idées simples sert à éclairer le contexte de tension dans les relations franco-israéliennes créé, bien maladroitement, par le gouvernement d'Ariel Sharon : un quotidien israélien, le « Maariv », avait cru bon d'annoncer une fausse nouvelle, à savoir que la France s'était opposée à une résolution européenne condamnant les propos antisémites de l'ex-Premier ministre malaisien, Mahathir Mohamed. Le ministre israélien des Affaires étrangères a commis l'erreur d'avaliser ce bobard. On aura remarqué que ni Jacques Chirac ni son fougueux ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, n'ont poussé les hauts cris à cette occasion. Ils n'ont pas commenté l'attitude du gouvernement de M. Sharon, lequel, quelques jours plus tard, était dans l'obligation d'absoudre la France.
Des griefs plus sérieux opposent la France et l'Union européenne d'une part, Israël d'autre part. De sorte qu'un soupçon pèse sur les Juifs de France, qui seraient, si l'on en croit certains, unanimement favorables à M. Sharon. Bien entendu, c'est faux, et pour une raison simple : les Juifs français ne peuvent pas être moins divisés que les Israéliens eux-mêmes sur la politique palestinienne à mettre en uvre. Ce qui les irrite, en revanche, c'est que le conflit soit traité par les Européens comme une guerre qui opposerait deux démocraties. Cette attitude faussement équilibrée revient à mettre face à face les actes de terrorisme et les actes de répression, à renvoyer les deux peuples dos à dos, à ignorer ce qui fait la spécificité historique d'Israël et, en définitive, à faire des comparaisons douteuses, pour ne pas dire ignobles avec l'Algérie et l'Afrique du Sud.
Si ce sont la guerre et la violence qui alimentent en France les insultes racistes, les incendies d'écoles et de synagogues et les agressions contre les juifs, l'analyse poussée jusqu'à l'absurde, par exemple, les territoires sont des bantoustans, et Jénine (54 morts palestiniens, 34 morts israéliens), c'est Auschwitz, nourrit de son côté un antisémitisme de gauche qui n'a rien à voir avec celui des Maghrébins ou des Beurs, mais s'associe à lui.
Voilà la dérive qu'il faut combattre. Si on partait du principe que mettre une bombe dans un bus, quelle que soit la cause qu'on défend, est un acte profondément immoral, comme le suggérait il y a quelques mois la philosophe et chercheuse Monique Canto-Sperber dans un article publié par « le Monde », si on admettait enfin le principe de légitime défense, on ne jugerait pas Israël de telle manière que les Juifs de France en sont au stade de l'asphyxie.
Parmi les initiatives du gouvernement Sharon, il en est une qui soulève des critiques dans le monde entier : la construction du « Mur » de séparation entre Israël et la Cisjordanie. Mais le Mur est d'abord une ligne de défense. Certes, dès lors que son tracé entérine une forte partie de la colonisation, la ligne de défense se transforme en programme politique qui nie leurs droits territoriaux aux Palestiniens. Il est donc logique que même les Américains s'opposent au Mur. Mais eux au moins ne négligent nullement l'hypothèse selon laquelle Israël joue sa survie ; cela leur donne des atouts pour critiquer leurs alliés israéliens.
En d'autres termes, la position du gouvernement français sur l'antisémitisme sera d'autant plus éclatante qu'elle sera associée à la défense du droit d'Israël à l'existence. Que M. Sharon soit un interlocuteur encombrant ne fait aucun doute. Mais Français et Européens, qui refusent de boycotter Yasser Arafat, peuvent encore moins ignorer un Premier ministre élu deux fois avec une très forte majorité.
Soutenir la paix
Après quoi, il est juste de soutenir toutes les initiatives de paix, même si elles viennent de l'opposition israélienne, parce que Yossi Beilin n'est pas moins sioniste qu'Ariel Sharon et parce que Sari Nusseibeh n'est pas moins palestinien qu'Ahmed Qorei. De même que M. Sharon a gagné deux élections, de même il peut perdre les prochaines.
Il est donc impossible de négliger le rapport direct entre le néoantisémitisme et le conflit israélo-palestinien. Nous savons tous la raison des incendies et des agressions. Un lointain conflit a été importé chez nous et le débat aux intonations parfois outrancières auquel il donne lieu en France n'a pas manqué d'encourager quelques voyous qui peut-être ne savent pas ce qu'ils font, mais le font d'autant plus souvent. On ne peut pas davantage ignorer le contexte : chez nous, on incendie ; en Turquie, on fait sauter des synagogues et on tue des gens. M. Chirac, fort sagement, vient de donner un coup de frein à l'hystérie antijuive parce qu'il sait que, malheureusement, aucun pays n'est à l'abri des attentats.
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