SUR LE MUR blanc de la propriété, dans la grande rue du village, deux croix gammées, taguées à la peinture noire. Les inscriptions qui les accompagnent, divers slogans racistes et xénophobes, sont en allemand, dénotant, selon les enquêteurs, «une certaine connaissance de la langue germanique».
«Mais il y a plus grave, raconte le propriétaire des lieux, le Dr Thierry Zanfonhouede, médecin urgentiste français d'origine béninoise, 40 ans, marié à une infirmière et père de deux enfants. J'ai été prévenu dans la nuit de vendredi à samedi par mon épouse, alors que j'assurais une garde au CH d'Arras; les chiens des voisins avaient donné l'alerte alors qu'un cocktail Molotov avait été lancé à proximité du réservoir de mon véhicule, stationné dans le jardin. Le portail avait été préalablement cadenassé. Par chance, la voiture n'a pas explosé. Imaginez si le feu avait pris, alors que mon épouse était endormie dans la maison avec notre fille de 4ans, cela fait froid dans le dos!»
A Villers-au-Bois, petite localité de quatre cents âmes, à proximité d'Arras, son château, ses belles demeures bourgeoises, c'est l'émoi. Le maire, Jean-Pierre Blancart, dénonce «l'imbécillité» et juge les faits «inadmissibles». La population est descendue dans la rue. Trois cents personnes (presque la totalité des habitants du bourg) se sont rassemblées. Des enfants de l'école du village brandissaient face aux inscriptions en allemand des panneaux où ils avaient écrit : «Vous êtes les bienvenus à Villers-au-bois, l'école vous aime bien et vous soutient.»
Informé par les médias, le président du conseil départemental de l'Ordre des médecins, le Dr Marc Biancourt, dénonce des actes «absolument ignobles et très choquants. Notre département souffre de gros problèmes démographiques, ajoute-t-il, et il s'honore de se montrer accueillant aux nombreux médecins étrangers appelés à la rescousse».
Pour le Dr Zanfonhouede, l'événement est aussi imprévu que révoltant. «Notre culture est tellement française que le vocable même d'“intégration”, appliqué à mon épouse et à moi-même, me paraît incongru», explique le PH. «Fils d'un médecin de Cotonou de nationalité française, car né au Bénin avant l'indépendance, neveu d'un médecin également français et installé à la Réunion, en France moi-même depuis l'âge de 20ans, j'ai effectué toutes mes études à Amiens, raconte-t-il, sans jamais rencontrer le moindre phénomène xénophobe, que ce soit dans ma vie personnelle ou dans mon parcours professionnel. Je viens d'ailleurs de bénéficier d'une promotion au CH, comme responsable de l'unité de surveillance continue.»
Lorsqu'il a fait l'acquisition de sa maison, en 2004, le Dr Zanfonhouede avait bien eu connaissance d'un précédent épisode raciste dans la petite commune, à l'encontre, à l'époque, d'un jeune couple né en France de parents d'origine nord-africaine, dont la maison avait été recouverte d'inscriptions racistes. Il ignorait en revanche un autre précédent, en janvier 2004, au cimetière militaire du Commonwealth datant de la Première Guerre mondiale, où deux stèles de soldats sud-africains marquées de l'étoile de David avaient été brisées.
«Mais, dans notre vie de famille, poursuit-il, nous n'avons jamais été confrontés ici, directement ou indirectement, à quelque forme de rejet que ce soit.»
Passé un premier temps de stupeur et de révolte, c'est maintenant la volonté de témoigner qui anime l'urgentiste. «C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de ne pas faire recouvrir les inscriptions dans l'immédiat, explique-t-il. Il faut que les gens les voient. Il faut que l'opinion publique prenne conscience de la gravité de la situation. C'est un signal, en pleine campagne électorale. A force de flirter avec l'extrémisme, d'exacerber l'identité nationale et d'exploiter le problème de l'immigration, nous nous trouvons dans une situation inquiétante. On ne sait pas quand et comment tout cela peut finir, et les résistants français et africains ont de quoi aujourd'hui se retourner dans leurs tombes devant les comportements des petits nazillons.»
Le Dr Zanfonhouede veut réagir, dit-il, selon le tempérament combatif qui lui a été inculqué par ses parents et aussi «avec la pugnacité qui caractérise les urgentistes: nous ne baissons jamais les bras face au danger».
Evidemment, il se montre très sensible à la solidarité que lui expriment les confrères*. «Le corps médical réagit dans de tels moments comme une grande famille», note-t-il, tout en se gardant, dans le contexte électoral, de toute tentative de récupération politique.
L'enquête, cependant, progresse. Le procureur de la République, Jean-Pierre Valensi, déclare au « Quotidien » «qu'il met tout en oeuvre pour retrouver le ou les auteurs de ces actes scandaleux. Les investigations se concentrent en priorité sur les milieux skinheads de la commune, en particulier en étudiant les liens plausibles avec les deux affaires racistes antérieures. La qualification qui a été retenue est celle de dégradations, d'effraction et de tentatives de destruction par incendie, aggravées par des actes racistes.» Les auteurs encourent une peine de vingt ans de réclusion criminelle.
En attendant, la famille Zanfonhouede fait face. Mais, si elle devait subir une nouvelle agression, le praticien hospitalier n'exclut pas d'envisager un déménagement.
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