MÉDECIN DE FOULES, c'est en quelque sorte la spécialité du Dr Nicolas Gorodetzky. Une qualification qu'il a acquise tout d'abord en conjuguant ses deux passions : l'urgentisme, au Samu de Toulouse, puis de Paris, et la musique, avec le groupe qu'il avait fondé, Week-end Millionnaire (il est tout à la fois chanteur, guitariste et pianiste). «Au début des années 1980, raconte-t-il, j'ai commencé à organiser la gestion médicale de concerts rock qui déplaçaient des dizaines de milliers de spectateurs: 80000 à Auteuil, par exemple, en 1982, pour les Rolling Stones. La plupart du temps, ces groupes se produisaient dans des stades géants. C'est donc tout naturellement que les organisateurs du parc des Princes, qui m'avaient vu opérer comme médecin sentinelle Samu lors de concerts de Johnny Hallyday, m'ont demandé de couvrir médicalement les matches du PSG.»
Un médecin pour 10 000 spectateurs.
Voilà comment, au début des années 1990, alors que le hooliganisme commençait à gagner les tribunes françaises, le spécialiste de l'organisation médicale des grands concerts est devenu manager médical des stades.
Le Dr Gorodeztky s'est «fait les dents», comme il dit, sur le Tournoi des Cinq Nations, avant d'être choisi pour diriger l'organisation médicale de la Coupe du monde de football en 1998. Un sans-faute médical (lire encadré).
«Le dispositif que nous avons mis en place pour France 2007 s'inspire largement de ce que nous avions organisé à l'époque, explique-t-il, avec dix schémas directeurs locaux, un par stade, et un schéma directeur national.» Quand il a été nommé, au début juin, par le GIP, chaque site s'était déjà doté de ses moyens médicaux propres. Ils se composent en général d'un manager médical avec cinq médecins urgentistes, trois infirmières et quarante secouristes. «Notre ratio, indique le coordinateur, c'est un médecin pour 10000 spectateurs, une infirmière pour 20000 et un secouriste pour 1000. C'est ainsi que, pour le Stade de France, nous montons à huit urgentistes et quatre-vingts secouristes.»
Des ratios conformes à ceux qui avaient été retenus en 1998, bien que la typologie de l'événement n'expose pas aux mêmes risques. «Le rugby est réputé pour la convivialité de ses supporters, souligne Claude Atcher, le directeur du tournoi , et les risques de débordement sont moindres qu'en football.» De fait, le nombre moyen de spectateurs pris en charge dans les centres médicaux du Stade de France lors d'un match de football atteint 48, contre 26 pour un match de rugby, avec un public pourtant aussi nombreux (80 000 spectateurs) (statistiques tirées de six ans de médicalisation du Stade de France (SDF).
«Dieu merci, le rugby reste à l'abri du phénomène du hooliganisme, se félicite le coordinateur médical. Les supporters sont des bons vivants. Même si certains s'alcoolisent avant le match, il n'ont pas la bière agressive et nous avons très peu de rixes, et de risques collectifs en général, à déplorer. Rien à voir avec ce qu'il nous a fallu gérer en 1998, avec le débarquement de hordes britanniques venues pour en découdre coûte que coûte.»
Exercices plan rouge dans tous les stades du Tournoi.
Aux termes de la loi du 21 janvier 1995, dite loi Pasqua, si le GIP Coupe du monde est bien dans l'obligation de se doter des moyens de sécurité médicale nécessaires dans le périmètre du stade, l'Etat se réserve la possibilité d'intervenir dans les enceintes lorsque les circonstances le commandent. En l'occurrence, c'est le préfet qui met alors en place une cellule de crise et active le plan rouge, par exemple en cas d'attentat. Des exercices se sont déroulés depuis le mois de juin dans chacun des stades, en dernier lieu au parc des Princes mardi dernier (voir encadré). Dans ces occasions dramatiques, les moyens médicaux du GIP, de même que ceux de la Mutualité française, en charge du suivi médical des joueurs et de leur staff, sont immédiatement intégrés au plan rouge ou au plan rouge alpha.
Pendant deux mois et demi, le coordinateur a effectué la tournée des installations, stade après stade ; il a vérifié l'aménagement de l'infirmerie principale, des trois infirmeries satellites et du poste tiède. Ce nouveau concept de poste tiède, mis en oeuvre en 1998 par crainte de la canicule, permet de gérer un afflux de 30 à 40 patients dans un contexte d'urgence relative de groupe. Il s'inspire des grands principes de tri en médecine de catastrophe.
Le Dr Gorodetzky a aussi inspecté le matériel médical : matériel de relevage, sets de traumatologie, scopes et graphes, défibrillateur portable, analyseur biologique portable, oxymètres de pouls, ventilateurs mécaniques.
«Quelle que soit la qualité des équipements, souligne-t-il, la performance des équipes médicales reste étroitement dépendante des procédures qui constituent le canevas de travail, la trame de base du schéma directeur secours-santé.»
Comme en 1998, le Dr Gorodetzky s'est inspiré des procédures d'organisation préhospitalières en vigueur dans les Samu. «Si l'infirmerie principale représente le coeur du dispositif, analyse-t-il, puisqu'on y trouve la salle de déchoquage et la réserve de matériel avec sa zone de maintenance, la régulation médicale constitue le centre nerveux de la cellule secours-santé.»
La tournée du médecin coordinateur lui a permis d'accomplir 95 % de sa mission. «Les 5% qui restent maintenant, pendant les six semaines du Tournoi, concernent lereportingeffectué match après match pour transmettre toutes les données épidémiologiques recueillies. C'est vrai que, sur ces procédures, les médecins urgentistes sont moins performants que pour la prise en charge directe des patients. C'est pourquoi nous avons veillé à simplifier les fiches bilan, par rapport à celles qui étaient utilisées en 1998. Les transmissions numérisées ont certes leurs contraintes, mais elles nous ont fait gagner un temps considérable dans la communication entre équipes.» Une communication facilitée d'autre part par les liens tissés entre ces médecins stadistes, au fil des événements sportifs qu'ils ont vécus ensemble. «Une sorte de compagnonnage s'est créé entre nous, se réjouit le Dr Gorodetzky, qui fait que, malgré la pression de l'événement, nous nous retrouvons avec plaisir et pouvons aborder le Mondial sereins et même joyeux. Tout a été prévu pour que nous passions un moment intense et réussi. Et que les médias n'aient pas à parler de notre travail.»
Le bilan médical du Mondial 1998
Sur les 2,7 millions de spectateurs présents dans les dix stades lors des 64 matchs disputés pour le Mondial 1998 de football, 2 742 personnes ont nécessité une prise en charge dans les infirmeries des stades et 2 603 ont pu être traitées sur place.
Les pathologies les plus fréquentes ont été celles qui sont rencontrées lors des grands rassemblements de foule : les céphalées qualifiées de psychogènes, dont la durée est concomitante à l'événement, avec le stress engendré par la foule, l'événement, l'architecture de certains stades ; des malaises et troubles de nature gastro-entérologique ; des syndromes coronariens, deux arrêts cardio-respiratoires, qui ont tous deux pu être réanimés dans le stade.
Les agressions et rixes furent responsables d'une faible proportion de patients vus pour problèmes traumatiques (2 des 17 transferts médicalisés).
L'Etat mobilise 38 000 personnes
Vingt-sept mille policiers et gendarmes, 1 500 militaires, 5 000 pompiers, 4 000 secouristes et 400 démineurs : l'Etat a mobilisé d'importants moyens humains à l'extérieur des stades pour assurer la réussite de cet événement sportif, festif et diplomatique. «C'est l'image de notre pays qui est en jeu», a souligné la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie. Même s'il a fallu «évaluer toutes les menaces, il n'y a pas de crainte précise, a-t-elle estimé. Il n'y a pas de menace particulière, mais des menaces potentielles peuvent exister».
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