Quelles sont les raisons qui conduisent un médecin généraliste à s'embarquer sur une île isolée de Thaïlande, dans une expérience plutôt éloignée de son exercice quotidien ?
Dr EMMANUEL HEAU
Je suis allé en Thaïlande pour deux raisons. La première est ma passion ancienne pour les tropiques ; la deuxième correspond à la curiosité de découvrir des métiers que je ne connais pas, ceux de producteur, de réalisateur, de tourneur. Regarder un tournage, apprendre comment se fait un montage, c'est passionnant. La production avait décidé d'avoir une équipe sanitaire sur place et je me suis porté volontaire. Le choix s'est fait en octobre 2000.
C'est vrai. Mon expérience de médecin de la DASS en Guyane française, pendant l'année 1984, alors que le Surinam voisin était en proie à des troubles, constitue un bon fer de lance. C'était de la vieille médecine, traditionnelle, presque « coloniale ». Mais je suis avant tout médecin généraliste et capable de répondre à une polypathologie. Un généraliste possède un réseau de correspondants spécialistes. C'est d'ailleurs ce qui s'est produit sur place, puisque j'ai dû faire appel à des avis contradictoires avant de traiter certaines parasitoses. Et puis, ma façon d'être - en général - a convenu.
Stratégie sanitaire
Quelle était la demande initiale ?
Il fallait établir toute la stratégie sanitaire, médicale et tropicale, adaptée aux circonstances, prenant en compte tous les facteurs, c'est-à-dire les conditions géographiques et climatiques, mais aussi celles du jeu qui sollicite les capacités d'adaptation physiques et psychologiques des candidats. De fait, j'ai dû très rapidement gérer l'ensemble de l'équipe de production constituée d'une centaine de personnes.
Je devais prévoir des moyens d'évacuation sur longue et moyenne distances. J'ai embarqué trois caisses de matériel contenant du plâtre, le matériel de petite suture, le matériel d'intubation et des bouteilles d'oxygène que nous emportions lors de chaque jeu. J'ai bien sûr pris contact avec les hôpitaux locaux et établi des relais avec mes correspondants habituels en France, notamment l'équipe de médecine tropicale de Cochin. J'ai préparé des ordonnances types que j'ai remises à la production et une longue liste de médicaments. Je correspondais avec une pharmacienne du coin qui m'expédiait les médicaments via TF1-Boulogne.
Plus de trois mois, d'octobre 2000 jusqu'à fin janvier 2001.
Des contre-indications
Avez vous participé au recrutement des candidats ?
TF1 a fait ses propres castings. Mon rôle était ensuite de ne pas exposer les candidats à un risque médical inconsidéré. Toute pathologie grave ou handicapante était un couperet interdisant de les emmener sur cette île lointaine. Pour simplifier, toute pathologie cardiaque était une contre-indication à leur participation. Je les ai tous vus. Pour chacun d'eux, j'ai demandé un électrocardiogramme, une épreuve d'effort et je me suis procuré les bilans biologiques antérieurs auprès de leurs médecins respectifs. J'avais cependant une idée précise sur le statut des candidats sans ignorer que, dans tous les cas, une période d'adaptation - ne serait-ce qu'à la forte chaleur - serait nécessaire.
Vaccination anti-rage
Sur place, avez-vous été pris au dépourvu ?
Non, pas vraiment, parce que j'avais envisagé beaucoup de situations. Avec l'équipe de Cochin, nous nous étions posé la question de la prévention du paludisme. Fallait-il qu'elle soit pharmacologique ou seulement mécanique ? En fait, aucune chimioprophylaxie du paludisme ne se justifiait à l'époque du tournage. Les candidats se sont protégés par des moustiquaires et par des produits rémanents. De mon côté, j'étais en mesure de traiter un accès palustre. Mais il n'y a eu aucun cas de paludisme déclaré sur place et aucun cas déclaré six semaines après le retour. J'ai été surpris par certains candidats, au moins au début, qui se sentaient un peu « au club »... et ont présenté des brûlures solaires importantes. Mon rôle a été de leur expliquer les mesures à prendre pour prévenir toute déshydratation dans de telles conditions climatiques. Les morsures de rats que je n'avais pas prévues m'ont obligé à vacciner les candidats contre la rage.
Il y a eu effectivement une situation de carence alimentaire qui s'est aggravée progressivement, avec des chutes de tension artérielle importantes. La stratégie du jeu a fait que les candidats qui apportaient l'alimentation, capables de pêcher, ont été éliminés très tôt. Il est vrai que, quand un candidat souffrait de faim de façon intense, ne pouvait plus se lever et risquait de mettre en jeu ses facteurs de survie, je suis intervenu pour que la production donne des rations hypercaloriques, équivalentes à celles que l'on donne aux sportifs. Les candidats étaient superheureux. Cela n'enlève rien au jeu, qui restait contrôlé.
Autre exemple : pour les candidats qui étaient en apnée avec une barre à 2 mètres sous l'eau et pour lesquelles on pouvait tout craindre - le malaise, l'arrêt cardiaque, la noyade - j'ai demandé qu'ils aient une main en l'air comme pour tous les plongeurs. Il y a eu également ce qu'on appelle la petite traumatologie, essentiellement des blessures de pied sur les coraux, des chutes sans gravité, y compris pour l'équipe de production qui passait beaucoup de temps à déplacer un matériel volumineux.
Soutien psychologique
Quel a été votre rôle dans le soutien psychologique, que l'on imagine important ?
J'ai eu effectivement un grand rôle de soutien psychologique. Le psychiatre, de son côté, recevait les candidats après leur élimination. Mais il n'y a pas eu de décalage entre le profil psychologique préétabli et le comportement sur place. J'étais assez surpris de la bonne tenue des aînés, leur expérience des tropiques et la maturité parlent beaucoup plus sur place.
On va trop loin quand on parle d'humiliation. J'ai veillé personnellement à ce que la vie des candidats ne soit pas exposée mais j'ai aussi insisté souvent pour que leur intégrité personnelle ne soit pas atteinte. Des relations non belliqueuses mais énergiques se sont engagées à ce sujet avec la production. Aujourd'hui, je revois les participants et si certains s'avouent transformés, je ne pense pas que leur dignité soit atteinte. J'ai été très attentif dans ce domaine.
J'en retiens que « ça a fonctionné ». Qu'en tant que médecin je n'ai pas été caution de situations inacceptables et que mes conseils ont été écoutés. Oui, je repartirais. Le seul risque serait maintenant de procéder à une surenchère dans la gestion du risque.
43 jours sur une île déserte
Pour son jeu de télé-réalité destiné à faire pièce à « Loft Story », tourné au printemps et diffusé cet été, TF1 dit avoir reçu 16 000 candidatures. Seize candidats ont été sélectionnés, 8 hommes et 8 femmes âgés de 18 à 58 ans. Les deux finalistes, que l'on découvrira demain soir, et qui emporteront 100 000 euros pour le premier et 10 000 euros pour le deuxième, auront séjourné 43 jours sur une île « déserte » en Thaïlande. Les autres auront été éliminés de semaine en semaine par leurs camarades, au fil d'épreuves diverses, certaines très physiques. Il s'agissait de survivre matériellement - avec un paquetage minimal - et psychologiquement - aux alliances et trahisons diverses. Certains ont dû, TF1 n'a pas manqué de le claironner, manger des vers vivants, faute de nourriture.
Dernier épisode, samedi 22 septembre, 18 h 25.
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