Il y avait quelque chose de presque pathétique dans cette soudaine intervention du Premier ministre, dimanche dernier, sur Europe 1.
Fallait-il vraiment que Jean-Pierre Raffarin rappelle, à cette occasion, qu'il était le « patron » ? Et à qui ce rappel était-il destiné, sinon à Nicolas Sarkozy qui, cinq jours plus tôt, avait fait une prestation éblouissante à « Cent Minutes pour convaincre » sur France 2 ? Au ministre de l'Intérieur, un marathon à la télévision, au chef du gouvernement, seulement la radio, comme si les rôles étaient inversés. Nicolas Sarkozy prend des risques mais franchit des caps : on lui a reproché d'avoir accepté de débattre avec Tariq Ramadan, soudain mis en selle par l'antisémitisme de ses propos et qui ne mérite certes pas qu'un membre du gouvernement lui offre une tribune. Mais le ministre de l'Intérieur a clairement pris le dessus sur un homme dont le discours subtil est destiné à cacher son intolérance profonde, notamment pour les femmes. En quelques mots et avec une seule question (« Etes-vous, oui ou non, pour le port du voile ? »), à laquelle M. Ramadan a été incapable de répondre, M. Sarkozy a détruit un mythe en gestation.
Le « naïf » de l'Intérieur
En outre, il sait reconnaître ses échecs, notamment après son référendum sur la Corse. On sent que la défaite n'a pas prise sur lui. Et, si on le blâme pour un mot (« J'ai été naïf au sujet de la Corse »), on n'en fait pas pour autant un procès. Lionel Jospin avait prononcé le même mot à propos de l'insécurité, il ne s'en est pas vraiment relevé. Pour reprendre une expression bien américaine, c'est Nicolas-Teflon, l'homme politique sur lequel glisse toutes les conséquences malheureuses de son action, comme autrefois Reagan-Teflon triomphait en dépit du scandale de l'Irangate.
M. Raffarin, au contraire, ne peut plus dire un mot sans recevoir une volée de bois vert. Il est vrai que son discours s'inscrit dans un contexte chaque jour un peu plus changeant, chaque jour moins compréhensible, comme cette série de réformes qu'il fait sans les faire tout en les faisant. Devait-il intervenir dimanche, alors que la réforme des universités venait d'être abandonnée, puis confirmée, puis abandonnée de nouveau, puis abandonnée, mais à moitié seulement ? N'est-ce pas plutôt avec Luc Ferry, décidément déstabilisé, qu'il devrait accorder ses violons, au lieu de réaffirmer, comme tous ceux dont le pouvoir s'effrite, qu'il reste le « patron » ? Et cette politique pour les buralistes, à laquelle il s'est efforcé de donner une cohérence bien peu convaincante, n'est-elle pas un modèle d'improvisation ? Non, on ne renoncera pas à l'augmentation des cigarettes en janvier parce qu'on veut atteindre le seuil dissuasif de plus de 5 euros par paquet ; mais on prendra des mesures pour sauver les débits de tabac de la faillite. Si le seuil est dissuasif, les buralistes sont condamnés. On ne peut pas à la fois souhaiter que la consommation de tabac s'effondre et imaginer un avenir prospère pour ceux qui en vendent. Comment est-il possible de croire que les intéressés vont gober une telle contradiction dans les méthodes et les objectifs à atteindre ?
Une voie royale pour gouverner
Il est tout à fait regrettable que la popularité du Premier ministre soit au plus bas et qu'il ne sache plus quel stratagème la ferait remonter. Car ce gouvernement est le premier depuis fort longtemps à avoir lancé une série de réformes indispensables. S'il ne peut pas les mener à bien, c'est la France qui en pâtira. Pendant que la gauche flirte avec les José Bové et les grands bavards du Forum social européen, pendant que le PS s'épuise dans un débat interne ou les ex de la gauche caviar se livrent (eux aussi) à une bataille médiatique, pendant que l'extrême gauche s'unit pour rogner les ailes du PS, pendant que les anciennes composantes de la gauche plurielle sont mises sur orbite (quel rapport, désormais, entre les chevènementistes et le PS et a fortiori entre eux et les Verts, si tant est qu'il y a eu autre chose pour les rapprocher que la nécessité de gouverner ensemble entre 1997 et 2002), le gouvernement dispose d'une voie royale pour... gouverner.
Mais le fait-il ? Le dynamisme réformiste a laissé la place à la prudence : si l'on en croit les journaux, c'est Jacques Chirac qui freine des quatre fers, qui craint les intermittents du spectacle, qui ne veut plus de vagues à l'Education, qui a fait différer l'indispensable réforme du système de santé. M. Raffarin obéit aux conseils de prudence du président tandis que M. Sarkozy qui, après tout, n'est chargé que d'une partie des dossiers (encore que l'on soit allé le chercher pour calmer les enseignants), s'agite tous azimuts.
Bien entendu, Jean-Marie Le Pen, dont la politique se résume désormais aux « bons » mots de mauvais goût, a cru utile de décrire M. Sarkozy comme un écureuil qui tourne dans sa cage. Erreur. Il n'y a rien de pire, à la télévision, que l'agressivité nue. Malin comme un singe, sinon comme un écureuil, le ministre de l'Intérieur s'est contenté, sur le plateau de France 2, de répéter l'injure faite par Le Pen, avec un petit sourire timide, comme s'il n'avait pas de mots pour contrer son agresseur.
Question de temps
Excellente tactique qui l'a fait apparaître comme la victime d'un bateleur. Tout à coup, on trouvait de la classe à Sarkozy, de la grossièreté chez Le Pen. Le ministre n'avait pas besoin de remettre à sa place le chef du Front national. Il a laissé les téléspectateurs juger sa vulgarité.
M. Raffarin n'est donc pas l'as de la communication que nous croyions qu'il était. Cela est sans importance. Ce qui compte, c'est l'avenir des réformes. Nous saurons bientôt si le gouvernement a bien fait de les étaler sur la durée de la législature ou s'il n'aurait pas été préférable qu'il les lance toutes à la fois pendant la première année du mandat de M. Chirac. On verra bien. Mais quand on compte les déficits, la dette, les problèmes que la gauche n'a pas réglés pendant cinq ans, on a un sentiment d'urgence. On n'est pas du tout certain que le temps joue en faveur de ce gouvernement.
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