MEME SARKO ! pourrait-on s'exclamer en découvrant, chez ce bateleur du temporel, sa dimension spirituelle. Mais lorsqu'il était ministre de l'Intérieur (donc des cultes), c'est Nicolas Sarkozy qui a créé les organisations représentatives musulmanes. Et ce n'est pas la première fois qu'il s'exprime au sujet de la communauté musulmane ; il a suggéré de lui appliquer la discrimination positive, il est convaincu qu'il faut lui venir en aide et voilà que, dans son livre, il affirme que l'Etat doit financer la construction des mosquées elles-mêmes, au même titre que les crèches, terrains de foot ou centres culturels. Ce qui éviterait les financements occultes par le Maroc ou l'Arabie Saoudite.
Générosité.
Le ministre va encore faire parler de lui parce que, de nouveau, ses propositions donnent à réfléchir. Comme pour la discrimination positive, ses propos débordent de générosité et ne sauraient être condamnés sans avoir au moins fait l'objet d'un débat. Il a raison quand il dit que l'islam est la deuxième religion de France, que la communauté musulmane constitue une forte minorité qui ne doit pas avoir plus de droits, mais ne doit pas en avoir moins. Et en ajoutant son expérience catholique personnelle à des idées nouvelles en matière d'intégration, il s'écarte du modèle traditionnel d'assimilation.
Il a ses détracteurs, il les cite, par exemple le cardinal Lustiger qui lui reproche de vouloir faire de l'islam une religion d'Etat. Il s'élève contre l'idée que l'islam serait naturellement expansionniste, c'est-à-dire voué au prosélytisme. Il répète qu'il est hostile à la loi interdisant le port du voile à l'école.
Il touche de cette manière un point sensible : en France, nous ne sommes pas particulièrement fiers de cette loi dont nous voyons bien qu'elle représente une contrainte, une réduction de liberté. Cependant, elle constitue une réponse forte à cet « expansionnisme » que M. Sarkozy ignore, ou ne voit pas, ou ne décèle pas. Il ne peut pas comparer les religions, dont les poids démographiques, en dépit du nombre élevé de Français musulmans, ne sont pas comparables. Il ne peut pas écarter d'un geste négligent le fait que la religion catholique est consubstantielle à l'histoire de France ; il ne saurait oublier qu'il existe des variétés de l'islam dont certaines sont fondamentalistes, conquérantes, dominatrices.
L'échec de l'intégration.
Certes il tire la leçon d'un échec : nous avons complètement raté l'intégration des musulmans après avoir réussi toutes les autres. Est-ce que, pour autant, nous devrions renoncer au modèle social de l'assimilation ? Est-ce que nous devons nous abandonner à la pente de l'histoire et admettre par exemple qu'il y a déjà trop d'églises pour le nombre de pratiquants et de prêtres catholiques, et qu'en conséquence il faut transformer les églises en mosquées, modifier ainsi le paysage français et lui donner un caractère oriental ?
En réalité, on ne voit pas d'autre voie que l'intégration économique et sociale pour résorber les différences entre communautés plus riches ou plus pauvres. Cela signifie que, en dépit de nos échecs, nous devons reprendre inlassablement la même tâche, celle de l'insertion dans le modèle républicain et laïque : la religion doit rester dans le domaine du privé.
CE N'EST PAS LA REPUBLIQUE QUI DOIT S'ADAPTER A LA RELIGION, C'EST L'INVERSE
Déjà, la part accordée en France à l'islam a encouragé nombre de retours à la religion, nombre de conversions aux divers intégrismes. Le développement du communautarisme, si décrié, n'a été stimulé que par la crise d'une seule communauté, chacun voulant désormais affirmer son identité religieuse, sans doute par réaction, au lieu de défendre avec acharnement son identité nationale.
Les vrais laïcs sont donc perplexes : jamais la religion, toutes les religions, mais l'islam en particulier, n'ont autant occupé les médias, les journaux, les livres, n'ont déclenché autant de débats et de polémiques. De Tariq Ramadan à la question du voile, nous sommes tous sommés de nous définir par rapport à ce qu'ils représentent. Il nous avait semblé que nous étions collectivement, nous, les Français, sur la voie d'une solution, qui est également un rappel à l'ordre : ce n'est pas la République qui doit s'adapter à la religion, c'est l'inverse. Et c'est bien pourquoi nous avons été contraints d'adopter la loi sur le port du voile.
Ne voilà-t-il pas qu'un ministre en exercice, appartenant à la majorité de surcroît, vient nous proposer de rebrousser chemin ? Rien ne semble plus dangereux que de faiblir sur le principe de laïcité. C'est l'instrument de l'unité française. M. Sarkozy croit le renforcer en favorisant une religion parmi les autres. Mais la communauté musulmane, qui a si bien réagi dans l'affaire des otages, qui a elle aussi ses grandes réussites individuelles, qui est entrée dans tous les secteurs d'activité du pays, n'a pas besoin d'un régime spécial. Il suffit qu'elle soit libre de se construire à partir de ses propres ressources et contre des sirènes venues de l'étranger.
Réalisé en collaboration avec Philippe Verdin, moine dominicain, et Thibaud Collin, philosophe, spécialiste de la laïcité. Editions du Cerf, 172 pages, 17 euros.
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