La faculté de médecine de Brest traverse une période tragique. Depuis le mois d'octobre 2002, quatre étudiants se sont suicidés.
« Attention à ne pas faire l'amalgame », prévient d'emblée Antoine Roisné. Il s'agit en effet, selon le président de la corpo des étudiants en médecine de Brest, d'un « concours de circonstances malheureuses ». Il est vrai que, vue de l'extérieur, cette affaire a de quoi intriguer : quatre suicides en six mois au sein de la même fac, le chiffre est alarmant. « Même nous, qui sommes dans le coup,avons été très choqués et été tentés par les raccourcis, convient Damien, externe . Mais chacun de ces drames est lié à une histoire personnelle. » Le suicide correspond à un schéma trop complexe pour qu'on puisse établir des liens entre ces quatre destins funestes ou imputer la moindre responsabilité à la faculté de Brest.
Deux de ces étudiants étaient en quatrième année. Et personne ne niera que ce passage est difficile, qu'il peut même se transformer en traumatisme pour des élèves habitués jusqu'alors à apprendre la médecine dans des livres. « On se trouve tout à coup confronté à la mort ou à des patients atteints de maladies incurables, témoigne Marie Costes, présidente de l'ANEMF. « On a intérêt à être soi-même assez costaud pour affronter cette dure réalité. » Mais les deux autres n'étaient pas confrontés à l'externat.
La faculté de médecine de Brest a en tout cas pris les choses très au sérieux. Des créneaux horaires ont été libérés et les étudiants inscrits d'office à des rendez-vous avec un médecin spécialiste de la gestion de l'urgence et du stress. Une séance hebdomadaire de relaxation a été mise en place pour les 4e et 5e années. « Il n'y a eu aucun faux pas, confirme Antoine Roisné. Le doyen et son équipe ont réagi à une vitesse remarquable. »
Les étudiants à l'écoute des étudiants
Les étudiants en médecine de Poitiers (soutenus à la fois par le CREM, comité régional des étudiants en médecine, et par la faculté) ont décidé de mettre en place une ligne d'écoute il y a deux ans, à la suite du suicide d'une étudiante en sixième année. « On s'est dit qu'il n'était pas normal que cette jeune fille n'ait pas eu les moyens d'exprimer ses angoisses », explique Tifaine Blanchard, responsable de la ligne ZEN (« Zappe tes Ennuis avec Nous »). Une quinzaine d'étudiants assurent l'écoute. Après avoir consulté une psychiatre bénévole pour mesurer leur propre capacité d'écoute, ils ont suivi une formation auprès de psychiatres enseignants à la faculté de médecine de Poitiers. Ils ont également sollicité des psychologues et des membres de l'association SOS-Amitié. La ligne ZEN* est ouverte du lundi au vendredi, de 21 heures à 23 heures. « Nous avons encore reçu peu d'appels, regrette Tifaine Blanchard, mais la ligne est en construction. Il faut que cette idée entre dans l'esprit des gens. Ils gardent encore trop souvent l'image du "Père Noël est une ordure". » Destinée d'abord aux étudiants en médecine, elle s'étend aujourd'hui à tous les étudiants du campus. Les problèmes évoqués au cours des appels semblent souvent éloignés du stress strictement lié à la scolarité. « Les appelants parlent essentiellement de leur solitude. D'ailleurs, ZEN a été crée pour cela », raconte Tifaine Blanchard.
A Grenoble, c'est encore une étudiante, Camille Serrat, chargée de mission santé publique au sein de l'AEMG (Association des étudiants en médecine de Grenoble) qui s'est inspirée des résultats de son mémoire en statistiques pour lancer une ligne d'écoute**. Le sondage qu'elle a réalisé avait en effet abouti au constat d'un mal-être général chez les étudiants de la première à la troisième année. Le centre de santé interuniversitaire a ensuite assuré la création de la ligne et la formation des écoutants. Une trentaine d'étudiants a ainsi été formée, à travers des jeux de rôle et des réflexions sur les motivations personnelles. « Nous avons déposé des demandes de subvention pour développer la communication autour de cette ligne », explique Muriel Monange, l'une des responsables. « Nous voudrions pouvoir toucher un plus vaste public estudiantin et proposer des plages horaires plus importantes. » A ce jour, la ligne est ouverte deux soirs par semaine seulement. Les élèves de première année sont les plus nombreux à téléphoner. Mais pas pour la raison que l'on pourrait soupçonner. « On pense qu'il est plus difficile pour les étudiants des années supérieures de s'adresser à nous, parce qu'ils savent qu'ils peuvent tomber sur quelqu'un qu'ils connaissent », explique Muriel. « On s'attendait à entendre du stress, se souvient Karine Monier, autre responsable de la ligne, et finalement, c'est la solitude qui revient le plus souvent. »« Les problèmes scolaires qui sont abordés sont souvent la partie émergente de l'iceberg », renchérit Muriel. « Nous prêtons avant tout une oreille sans chercher forcément à donner des conseils de par notre propre expérience d'étudiant en médecine et nous les orientons vers des structures adéquates. »
A Saint-Etienne, la cellule sociale ETULIDA (Etudiant Solidarité)*** de l'association des étudiants en médecine se soucie essentiellement de ses élèves en P1. « Nous les aidons dans leurs recherches de logement, de bourse, mais nous écoutons aussi leur stress lié à la difficulté du concours », assure Amandine Brunon, présidente de l'association. La ligne est ouverte tous les jours de 10 heures à 18 heures et sur messagerie le reste du temps. « Nous nous engageons à les rappeler, voire à les rencontrer, dans un endroit neutre s'ils le souhaitent. »
Les étudiants à l'écoute des étudiants, c'est excellent. Peut-être faudrait-il également développer le suivi des élèves par les enseignants tout au long de leur cursus. La fac de Brest réfléchit sur un tel tutorat.
* Ligne d'écoute ZEN Poitiers : 05.49.45.44.52/53.
** Ligne d'écoute étudiante Grenoble : 04.76.63.71.62.
*** ETULIDA Saint-Etienne : 0800.42.98.47.
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