LE CINQUIEME Baromètre Stress de la Confédération française d'encadrement-CGC le confirme, « le stress n'est pas un effet de mode ». Mais s'il est vécu comme une pathologie par les cadres, il n'est toujours pas reconnu comme une maladie professionnelle. Dans ses négociations avec les partenaires sociaux, le Medef « freine des quatre fers », estime la Confédération générale des cadres, pour laquelle le fléau n'a pas comme origine le vécu de chaque personne mais bien de « mauvaises conditions de travail ».
Quinze pour cent des 1 340 cadres consultés ont le sentiment de n'avoir pas suffisamment d'autonomie pour organiser leur travail et 35 % considèrent que les nouveaux outils informatisés de gestion y sont pour quelque chose. Trente-cinq pour cent jugent mal définies leurs responsabilités, 29 % dénoncent une mauvaise ambiance et autant déplorent n'être pas soutenus par leurs collègues. Quarante et un pour cent estiment que les objectifs qui leur sont prescrits ne sont pas réalistes , 22 % se déclarent insatisfaits de la qualité de leur tâche, 33 % manquent de moyens et 66 % de temps. Quatre-vingt-sept pour cent relèvent d'ailleurs une accélération du rythme et 83 %, une charge « plus lourde ». Quarante-trois pour cent se disent mal informés sur la stratégie de l'entreprise et 39 % la qualifient de « mauvaise ». Quarante-huit pour cent affirment que leurs efforts ne sont pas reconnus à leur juste valeur et 72 % déplorent n'être pas récompensés au point de faire remarquer que leurs perspectives de carrière et d'avancement sont défavorables.
A côté de ces ressentiments, qui nourrissent insidieusement un certain état de mal-être, existent des facteurs objectifs du stress comme le fait d'être interrompu dans son travail (73 %), d'avoir affaire à des clients agressifs (45 %) ou de se trouver en concurrence avec des collègues (36 %), voire d'être exposés à un risque de perte financière (35 %). Vingt-six pour cent se voient contraints d'exécuter des actions qui ne correspondent pas à leur éthique - licencier, tricher sur une date de péremption, faire un chèque en bois, ne pas dire la vérité aux patients - 19 % sont en situation de harcèlement moral, 12 % confrontés à des problèmes de discrimination, tandis que 16 % subissent critiques et remontrances.
10 % suivis par un psy.
Sur le plan physique, le stress a ses symptômes. Soixante-dix pour cent se sentent tendus ou crispés, 48 % ont mal au dos, 36 % ont des maux de tête et des migraines, 29 % des palpitations, 30 % des troubles visuels ou cutanés. Et 7 % obtiennent un arrêt de travail.
Psychiquement, l'addition est tout aussi lourde : 56 % s'inquiètent des conditions générales de leur situation professionnelle, 33 % craignent de la perdre, 50 % sont découragés, 31 % envisagent un départ à la retraite anticipé et 35 % pensent quitter leur emploi à cause du stress.
En outre, 56 % avouent des difficultés à concilier travail et vie privée et 26 % regrettent de ne pas pouvoir assister à des événements familiaux importants. Et encore 29 % de cadres auxquels il arrive de transmettre de la tension et de la pression à des collègues. Pour tenter d' « étouffer » l'agression psychique en entreprise, 19 % fument et 10 % consomment des antidépresseurs ou des anxiolytiques, alors que 6 % consomment de l'alcool et 2 % consomment de la drogue et que 10 % s'en remettent à un psychologue/psychiatre ou à un psychanalyste/psychothérapeute
Malgré tout, 18 % croient que le stress est pris en compte par leur patron.
Un risque d'infarctus multiplié par deux.
Pour le Dr Bernard Salengro, délégué national CGC du pôle de la protection sociale, auteur d'un outil pédagogique intitulé « le Stress des cadres » (éd. L'Harmattan), le Baromètre stress est éloquent : 80-85 % des cadres font savoir que leur charge de travail est lourde, contre 40-45 % en 1997. « Et quand la fatigue en vient à ralentir la productivité, on remplace le salarié en souffrance par un jeune. Ça ne coûte rien, hormis des indemnités de licenciement », commente pour « le Quotidien » le médecin du travail. « A partir de 38 ans, les entreprises n'investissement plus dans la formation, et elles rangent parmi les seniors les quarantenaires finissants », poursuit-il en déplorant « une dégringolade des cadres dès 45-50 ans. » L'intensification du travail, le management déshumanisé et des écarts hiérarchiques réduits à un tel niveau que la charge d'activité se concentre sur une ou deux personnes au lieu de cinq ou six auparavant, « qui font rimer responsabilité avec culpabilité », ont changé la donne.
Le secteur de la communication est le plus touché, avec 86 % de stressés. « La windowisation des esprits » avec les portables, ordinateurs et téléphones, va s'amplifiant. Même les moins de 25 ans se sentent « écrasés » (44 %). Or, selon une étude épidémiologique finlandaise (Siegrist), les travailleurs bénéficiant d'une reconnaissance sociale font deux fois moins d'infarctus que les autres.
Les médecins se suicident trois fois plus
Les professionnels de santé sont logés à la même enseigne que les cadres. Le Dr Salengro évoque la contrainte émotionnelle vécue par ceux qui travaillent à côté de la mort ou de la maladie incurable. Le syndrome d'épuisement émotionnel, ou « burn-out » du soignant, qui aboutit à ne plus croire à son métier (désintéressement), atteint un médecin belge sur deux (enquête Delbrouck, avril 2001). Toujours en Belgique, une étude du ministère de la Santé de 2001 montre que 30 % des femmes médecins quittent leur profession après cinq ans d'exercice. Chez leurs consœurs britanniques, le taux de suicide est le double de celui enregistré dans la population féminine, rapportait la même année le « British Medical Journal ». En France, un travail du
Dr Yves Léopold, conseiller ordinal du Vaucluse, réalisé en 2003-2004 et portant sur
45 000 médecins de 35-65 ans inscrits dans 26 conseils ordinaux départementaux révèle que les praticiens, quel soit leur mode d'exercice, se donnent la mort trois fois plus souvent que la population masculine du même âge, ce qui représente 14 % des décès dans la profession médicale, contre 5,6 %*.
Alors que faire face au stress ? « Il conviendrait de changer la structure de la médecine du travail, de manière à lui donner une plus grande indépendance. Une fédération des services de médecine du travail, gérée paritairement par les salariés et les représentants des employeurs, éliminerait les pressions », imagine le
Dr Bernard Salengro. Parallèlement, il importe de faire entendre que le « stress n'est pas une fatalité. Il s'agit d'une maladie professionnelle qui doit être reconnue comme telle. Il doit être pris en compte par des instances comme le Chsct**, au même titre que le bruit, afin de le doter d'instruments de mesure pour mieux le traiter ». Aux Etats-Unis et au Japon, le stress est pris au sérieux pour des raisons de coûts (absentéisme, maladies). Les assurances privées indemnisent les effets de cette pression-agression en entreprise. Dans l'Union européenne, une « incitation » de mai 2004 de la commission de Bruxelles appelle à la lutte contre le fléau par une formation adaptée des managers et des médecins.
* Les études citées sont reproduites dans l'ouvrage du Dr Bernard Salengro, « le Stress des cadres ». Le Dr Yves Léopold, contacté par « le Quotidien », précise que son enquête, « non exhaustive, ni scientifique, est confirmée par des études étrangères » (citées dans l'article du « Quotidien »).
** Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont doit être dotée chaque entreprise à partir de 50 salariés.
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