Le ministre de la Santé a annoncé le 17 novembre au Sénat qu'un projet d'arrêté « visant à interdire trois éthers de glycol classés comme toxique au niveau européen » était « en préparation ». Il répondait aux sénateurs communistes et socialistes qui demandent au gouvernement d'interdire l'emploi des éthers de glycol de série E (éthylène glycol).
L'histoire des éthers de glycol n'est pas une affaire récente. Si un arrêté du 7 août 1997 interdit la mise sur le marché et l'importation de quatre éthers de glycol (EGME, EGMEA, EGEE, EGEA), cet arrêté ne vaut que pour les médicaments, les cosmétiques et les produits domestiques, mais ne s'applique pas à l'usage professionnel.
Après l'expertise collective de l'INSERM de 1999 qui soulignait que les éthers de glycol toxiques présentaient des risques pour la fonction reproductrice et l'hématopoïèse, les pouvoirs publics ont décidé, par décret du 1er février 2001, de réglementer, sans toutefois les interdire, l'utilisation des éthers de glycol. Le décret fait obligation aux employeurs des travailleurs exposés de leur substituer un agent moins dangereux et prévoit également que les femmes enceintes ne peuvent être maintenues à des postes de travail les exposant à des agents toxiques. « Quelle protection existe-t-il pour les femmes qui ne se savent pas enceintes? », s'interroge toutefois André Cicolella, chercheur à l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) et spécialiste des éthers de glycol. « Ces substances sont aussi nocives pour les femmes que pour les hommes », ajoute-t-il en soulignant l'incohérence des mesures de santé publique. « Je trouve aberrant que l'on puisse encore utiliser les éthers de glycol à usage professionnel », dit-il aujourd'hui au « Quotidien ».
Principe de précaution
En décembre 2002, le CSHP (conseil supérieur d'hygiène publique) se prononçait sur l'interdiction de sept éthers de glycol.
Or Jean-François Mattei a expliqué que le projet d'arrêté prévoyait d'interdire « dans des produits destinés aux consommateurs trois éthers de glycol classés récemment au niveau européen comme toxiques pour la reproduction animale ».
Pourquoi ne remplace-t-on pas les éthers de la série E par ceux de la série P, jugés inoffensifs, demande André Cicolella, et pourquoi les pouvoirs publics n'appliquent-ils pas le principe de précaution ? « Il n'est pas facile de reconnaître que l'on s'est trompé », suggère le chercheur, qui a été l'un des premiers, en France, a s'inquiété des effets des éthers de glycol sur la santé. Le collectif « Ethers de glycol », qui réunit sept organisations (dont la Fédération des mutuelles de France, la Ligue nationale contre le cancer, la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés), demande, depuis 1998, l'interdiction des éthers de glycol les plus toxiques en milieu professionnel.
« Dès 1982, des décisions auraient dû être prises. A entendre les pouvoirs publics, les risques sanitaires concernant les éthers de glycol ne seraient connues que depuis l'expertise collective de l'INSERM, en 1999 », regrette André Cicolella, peu récompensé de son engagement professionnel. Licencié une première fois de l'INRS (Institut national de recherche et de sécurité), il se trouve aujourd'hui dépossédé du dossier éthers de glycol à l'INERIS. « Je dirige toujours l'unité Evaluation du risque sanitaire à l'INERIS, confirme-t-il, mais nous ne faisons plus d'expertises liées aux éthers de glycol. »
La justice s'en mêle
Cependant, le dossier des éthers de glycol pourrait s'accélérer avec la médiatisation de procès. Pour la première fois, la justice a reconnu, en septembre dernier, dans une expertise médicale, la responsabilité « directe et certaine » des éthers de glycol dans le handicap (infertilité) d'un plaignant, Thierry Garofalo, qui a travaillé pour IBM de 1988 à 1993.
La perspective de tels procès pourrait, par ailleurs, conduire les entreprises à abandonner les éthers de glycol les plus nocifs. Les unités de fabrication des éthers de glycol de l'entreprise Shell, à Rotterdam, ont, par exemple, délaissé les éthers de la série E pour la série P. « Ce choix stratégique montre que les éthers de glycol de la série E peuvent être aisément remplacé par ceux de la série P, pour moins cher, plus efficace, et dans de grandes proportions, commente André Cicolella. Les éthers de glycol représentent pour Shell un volume de 100 000 tonnes, tandis que le marché des éthers de glycol tourne aujourd'hui autour de 900 000 tonnes. »
Des effets sanitaires de mieux en mieux connus
Infertilité, malformations foetales, maladies de peau, soupçons de cancer et de maladies de sang : les effets des éthers de glycol, répertoriés notamment dans l'expertise collective de l'INSERM en 1999, sont à retardement. Une étude, publiée en août 2002 dans « Archives of Environmental Health » et réalisée par le département d'épidémiologie de l'université du Texas, démontre les effets génotoxiques de l'EGME (éthylène glycol monométhyl éther) chez l'homme.
L'étude a porté sur 41 enfants issus de 28 femmes habitant à Mexico et ayant travaillé pendant environ cinq ans dans une compagnie produisant des postes de radio et de télévision. Les enfants ont été observés de l'âge de 10 à 28 ans. Parmi les 41 enfants, 6 ont été exposés in utero, dont 5 pendant les 9 mois de grossesse et 1 pendant les trois premiers mois seulement.
L'observation majeure de l'étude est que les 6 enfants exposés pendant la grossesse présentent les mêmes anomalies. Ces anomalies sont des retards mentaux à des degrés variables, ainsi qu'une concavité faciale, un cou palmé, une base du nez large et un prognathisme. Parmi les enfants non exposés pendant la grossesse, 29 ne présentent aucune anomalie. Cependant, les 6 autres montrent des anomalies sporadiques, communes avec celles observées chez les enfants exposés pendant la grossesse, mais avec un degré moindre.
Cette étude est la première à mettre en évidence une corrélation entre les malformations congénitales et des perturbations cytogénétiques sous l'effet de l'EGME.
Jean-François Mattei a indiqué, parallèlement au projet d'arrêté sur l'interdiction de trois éthers de glycol, que deux études épidémiologiques, l'une sur « les femmes exposées aux éthers pendant la grossesse » et l'autre « destinée à mesurer les conséquences de l'exposition sur la fertilité masculine », étaient en cours. « J'attends les résultats de cette enquête dans le courant du premier semestre 2004 », a dit le ministre de la Santé. Le collectif « Ethers de glycol » regrette, de son côté, « qu'aucune recherche sur les effets cancérogènes des éthers de glycol ne soit annoncée ». « En effet, des études montrent déjà que l'exposition humaine in utero aux éthers de glycol entraîne des malformations congénitales spécifiques », a ajouté le collectif. Les associations attendent aujourd'hui du gouvernement « qu'il prenne ses responsabilités afin que ne se reproduise pas un scandale sanitaire comme celui de l'amiante ».
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