LE TEMPS DE LA MEDECINE
« Ce que nous savons sur le lien entre la consommation de sel et la pression artérielle vient d'études d'intervention publiées ces dernières années, notamment l'étude DASH (Dietary Approaches to Stop Hypertension) », indique Pierre Simon. Dans cette étude, conduite par des hypertensiologues américains, les patients suivaient un régime standardisé riche en fruits et en légumes, donc à forte teneur en potassium.
Lorsque l'on remplace un régime standard chez « l'Américain moyen » par un régime DASH avec un apport sodé constant, on observe, après quatre semaines de régime, une baisse de la pression artérielle. Cette baisse par rapport à la population contrôle est en moyenne de 2,8 mmHg pour la PA systolique et de 1,1 mmHg pour la PA diastolique. Elle est significativement plus importante dans la population hypertendue (11,4 mmHg et 5,5 mmHg, respectivement). Le régime riche en potassium a donc un effet hypotenseur, en particulier chez le sujet hypertendu. Si on ajoute à ce régime des quantités variables de sodium (riche en sel, 150 mmol/jour, moyennement salé, 100 mmol/jour, ou pauvre en sel, 50 mmol/jour), on note une relation entre la charge en sel et la baisse de la pression artérielle, la plus importante baisse étant observée avec un régime DASH associé à un régime pauvre en sel chez les sujets âgés de plus de 45 ans. Pour le sujet normotendu, le bénéfice d'une réduction de l'apport en sel est modeste : 1 mmHg de PA systolique par réduction de 100 mmol/jour d'apport en sel. Le bénéfice est beaucoup plus important chez l'hypertendu âgé de plus de 45 ans : 6,3 mmHg pour la PA systolique et 2,2 mmHg pour la PA diastolique par réduction de 100 mmol/jour d'apport en sel. Il y a donc manifestement une bonne réponse au régime pauvre en sel et riche en potassium. On sait également que le régime pauvre en sel potentialise l'effet hypotenseur de certains médicaments antihypertenseurs et que, à l'inverse, un régime riche en sel peut en réduire l'efficacité. De plus, le régime alimentaire pauvre en sel réduirait la fuite rénale de calcium et pourrait ainsi retarder la survenue d'une ostéoporose.
« Toute l'ambiguïté vient de ce que les études épidémiologiques, qui ont démontré de façon indiscutable une relation significative et linéaire entre la consommation journalière moyenne de sel (appréciée par l'élimination urinaire de sodium) et la prévalence de l'hypertension, voient leurs résultats considérablement affaiblis par l'impossibilité de démontrer qu'une charge en sel (chez un individu qui a une fonction rénale normale) génère une augmentation du risque de morbi-mortalité cardio-vasculaire », souligne Pierre Simon.
L'étude Intersalt, réalisée dans dix pays, a montré une corrélation positive entre l'apport alimentaire en sel (apprécié par l'élimination urinaire de sodium) et la prévalence de l'hypertension dans les populations étudiées. De même dans la belle étude portugaise qui compare la PA dans deux villages où le niveau tensionnel moyen de ses habitants est identique : dans celui qui est soumis au régime alimentaire limité en sel, une réduction significative du niveau tensionnel moyen de ses habitants est notée.
L'hypertensiologue britannique Mac Gregor (Londres) est parvenu à convaincre l'industrie alimentaire du Royaume-Uni de réduire la charge de saumure utilisée pour la conservation des aliments sans que cela soit ressenti au niveau gustatif. Bien entendu, il espère, par cette démarche, réduire chez ses compatriotes la prévalence de l'HTA et ses conséquences cardio-vasculaires.
La controverse sur l'intérêt de ces mesures de santé publique au niveau d'un pays tout entier n'est cependant pas close car l'hypertensiologue américain Alderman (New York), avec une étude de cohorte de plusieurs années, a mis en évidence un plus grand risque d'infarctus du myocarde chez les hommes hypertendus qui ont une teneur en sodium basse dans leurs urines, c'est-à-dire une alimentation réduite en sel. Une survie très longue est d'ailleurs observée dans certaines populations (Japon), où l'apport sodé est important, alors que l'espérance de vie est plus basse chez les indiens Yanamono d'Amérique du Sud qui, dans l'étude Intersalt, avaient la consommation en sel la plus faible et la prévalence de l'hypertension la plus basse.
Réduire l'apport en sel dans les aliments préparés pour la population d'un pays entier, touchant aussi bien les normotendus que les hypertendus, comme le propose Mac Gregor, n'est peut-être pas la meilleure voie en termes de santé publique pour réduire la morbi-mortalité cardio-vasculaire.
Que doivent faire les hypertendus ?
Que faut-il conclure et quelles consignes doit-on donner aux hypertendus ? Lorsque le rein assure une régulation normale de l'homéostasie du sodium (c'est-à-dire en l'absence de maladie rénale) et que le sujet est normotendu, il n'est pas démontré aujourd'hui que la réduction de l'apport en sel réduit l'incidence de l'hypertension et la morbi-mortalité cardio-vasculaire.
A l'inverse, lorsque le rein a une maladie acquise ou génétique (voir encadré) qui modifie l'homéostasie du sodium, la réduction de l'apport en sel est recommandée pour prévenir l'hypertension et ses conséquences.
Quelles sont les consignes à donner aux hypertendus ?
Pour l'hypertendu avéré, la démarche à suivre n'est plus discutée : il faut des mesures diététiques qui réduisent à la fois la charge en sel et qui favorisent la réduction pondérale. Le régime « végétarien » favorise la réduction pondérale et apporte du potassium qui est insuffisant dans nos régimes modernes. La surcharge pondérale est une cause d'hypertension artérielle et la stimulation adrénergique qui l'accompagne favorise la rétention rénale de sodium. Cette recommandation est d'autant plus importante que le sujet est âgé, a un diabète de type 2 et, souvent, est insuffisant rénal à cause du vieillissement du rein.
Des anomalies intrarénales et surrénaliennes
Il existe une relation incontestable entre le sel et l'HTA lors des maladies rénales acquises ou génétiques. On savait déjà que les maladies rénales acquises (par exemple, les maladies glomérulaires) s'accompagnaient d'hypertension artérielle et que la cause en était la rétention sodée. Cette relation entre perte de l'homéostasie rénale du sodium et HTA a été renforcée grâce aux découvertes sur l'HTA génétique. « Le syndrome de Liddle est une maladie autosomique dominante caricaturale de la sensibilité au sel », explique Pierre Simon. Des mutations au niveau du canal sodique épithélial (EnaC) du tube distal entraînent une activation prolongée de la fonction de ce récepteur, d'où une rétention sodée accrue (et son corollaire, la fuite de potassium) qui entraîne une HTA hypokaliémique. Les antialdostérones sont inefficaces, alors que l'amiloride, inhibiteur spécifique du EnaC, restaure une pression artérielle normale.
De même, des anomalies génétiques au niveau des surrénales entraînent un excès de sécrétion des hormones minéralocorticoïdes qui augmentent la réabsorption sodée rénale. Ainsi, la survenue d'une HTA hypokaliémique chez un enfant, lorsque la cause réno-vasculaire fréquente a été écartée, conduit à rechercher un hyperaldostéronisme corticosensible dû à un chimérisme de deux enzymes surrénaliens (très proches sur le chromosome 8) : l'aldostérone synthétase et la 11 bêta-hydroxylase, qui sont alors régulées par l'ACTH. De petites doses de glucocorticoïdes permettent de freiner l'ACTH et de normaliser la PA. Les récentes enquêtes épidémiologiques ont montré qu'un hyperfonctionnement surrénalien avec hyperminéralocorticisme pouvait toucher de 15 à 20 % de la population hypertendue. On est loin des 2 % classiques du syndrome de Conn enseignés il y a encore quelques années dans les facultés ! Il existe donc indiscutablement un lien entre le sel et l'HTA chez un grand nombre d'hypertendus.
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