L'épilepsie temporale pourrait-elle être la conséquence d'une infection par le virus herpès humain de type 6 (HHV6) comme le suggère un certain nombre de publications ?
Le Pr Jean-Paul Stahl* juge peu convaincants les arguments actuels en faveur de cette hypothèse.
HUIT TYPES de virus herpès humain (HHV) sont identifiés à ce jour. Le HHV6 a été isolé en 1986 de cellules mononucléées du sang d'un patient infecté par le VIH avec lymphome. Comme le VIH, il a un tropisme pour ces cellules, surtout les lymphocytes T CD4+. C'est un virus à transmission essentiellement salivaire et qui infecte plus de 95 % de la population mondiale avant l'âge de 2 ans.
Il existe deux variants du HHV6, A et B, qui ont de 90 % à 95 % d'homologie, mais dont le comportement invivo et invitro diffèrent. Le variant A entraîne des infections très peu symptomatiques, alors que le B est responsable de la roséole infantile (sixième maladie ou exanthème subit).
Le HHV6 persiste à vie dans l'organisme, notamment dans le système nerveux central, avec des périodes de latence et de réactivation. Un phénomène original pour les virus herpès se produit chez 0,2 à 3 % des patients infectés : l'intégration du génome viral dans les chromosomes cellulaires. D'où la possibilité d'une transmission à la descendance cellulaire et humaine. Une charge virale élevée dans le sang serait le témoin de la présence de cette intégration.
Le HHV6 peut être isolé du liquide céphalorachidien de sujets asymptomatiques. Les cheveux, dans lesquels on trouve du virus intégré, représentent un des sites de prélèvement.
Les conséquences de la persistance du HHV6 chez les patients immunodéprimés comme les greffés d'organe sont bien connues. Des atteintes neurologiques ont été décrites lors des primo-infections : des convulsions, dont bon nombre sont étiquetées convulsions fébriles, et, parfois, des encéphalites. Chez l'adulte, l'infection peut aussi entraîner une encéphalite. Dans l'étude en cours sur le diagnostic étiologique des encéphalites aiguës infectieuses en France, menée avec l'Institut de veille sanitaire, sur environ 280 cas explorés exhaustivement, seulement deux sont probablement liés au HHV6. L'épilepsie temporale fait partie des maladies qui lui ont été associées chez les sujets immunocompétents.
Des arguments « un peu » convaincants.
L'analyse par PCR de biopsies cérébrales de 16 patients âgés de 6 à 39 ans opérés pour une épilepsie temporale pharmacorésistante a retrouvé de l'ADN du HHV6 dans 25 % des cas, mais aussi du CMV chez 50 % des malades et du HSV1 dans 44 % des cas (1). L'étude a donc mis en évidence la présence de HHV6 latent dans le cerveau. «Avec ces résultats, remarque le Pr Stahl, il n'est pas certain que l'on ait avancé dans la causalité.»
Dans une autre étude sur des biopsies cérébrales de 17 patients âgés en moyenne de 24,9 ans, 6 (35 %) étaient positifs pour le HHV6 (2). Elle suscite les mêmes commentaires que la précédente.
Des auteurs ont aussi comparé les données de 8 patients ayant une épilepsie temporale et 7 une épilepsie néocorticale (3). De l'ADN du HHV6 B a été détecté dans les biopsies de 4 malades du premier groupe et aucun du second. La charge virale était plus élevée dans les coupes de l'hippocampe.
Dans une série prospective, 205 enfants de 2 à 35 mois hospitalisés pour une encéphalite et/ou une fièvre avec convulsions ont été suivis pendant trois ans (4). Parmi les 156 enfants âgés entre 2 et 23 mois, 11 étaient séropositifs pour le HHV6. «Le diagnostic par anticorps a une spécificité moindre que la recherche de l'agent pathogène lui-même», rappelle le Pr Stahl. Enfin, utilisant la PCR sur des biopsies cérébrales, une équipe a détecté du HHV6B chez 15 patients sur 24 ayant une épilepsie temporale, mais chez aucun des 14 malades ayant un autre syndrome (5). Là encore, l'argument pour évoquer un lien possible entre ce type d'épilepsie et le HHV6 est celui de la localisation du virus.
Des arguments « moins convaincants ».
Des auteurs japonais ont identifié l'ADN de HHV6 et HHV7 dans les monocytes de 84 % d'enfants de moins de 3 ans (n = 56) hospitalisés pour une première crise comitiale (6). Ils concluent que 34 % au moins des crises sont dues à ces virus. Plus récemment, une équipe du même pays a mis en évidence la présence d'ADN du HHV6 dans l'hippocampe de 3 patients ayant une épilepsie liée à une sclérose mésiotemporale sur 33 (7). Deux patients de la série avaient également des résultats positifs pour le HSV1 et 1 pour le HHV8. «La multiplicité des virus laisse, là aussi, un doute.»
«Il existe peut-être une relation entre l'épilepsie temporale et le HHV6, mais les arguments actuels ne sont pas convaincants», conclut le Pr Stahl. Surtout si l'on met en perspective la fréquence de l'infestation et le fait que l'intégration dans le génome est sans conséquence pathologique et qu' «une PCR positive avec une charge élevée dans le sang ou le LCR n'est pas en soi une preuve de sa responsabilité physiopathologique». La question de la responsabilité du HHV6 dans les épilepsies temporales reste posée et il est actuellement prématuré d'envisager un traitement antiviral dans cette indication.
Réunion de la Ligue française contre l'épilepsie. D'après la communication du Pr Jean-Paul Stahl, service des maladies infectieuses et tropicales, CHU de Grenoble.
(1) Eeg-Olofsson O et coll. Brain Dev 1995;17 Suppl:58-60.
(2) Uesugi H et coll. Psychiatry Clin Neurosci 2000;54:589-93.
(3) Donati D et coll. Neurology 2003;61:1405-11.
(4) Ward KN et coll. Arch Dis Child 2005;90:619-23.
(5) Fotheringham J et coll. PLoS Med 2007;4:e180.
(6) Murakami K. No To Hattatsu 2004;36:248-52.
(7) Karatas H et coll. J Neurol Sci 2008;264:151-6.
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