DANS TROIS ARRÊTS identiques, la première chambre civile de la Cour de cassation a ouvert une brèche pour les parents qui désirent inscrire leur enfant né sans vie à l'état civil. Ce droit, c'est également pour eux la possibilité de donner un nom à leur enfant, de bénéficier de certains droits sociaux comme le droit au congé maternité, ou encore celui de récupérer son corps afin d'organiser ses obsèques et de faire leur deuil. Jusqu'à présent, les enfants mort-nés ne pouvaient bénéficier que d'une «déclaration d'enfant sans vie», à la condition de répondre au seuil de viabilité établi en 1977 par l'Organisation mondiale de la santé : un poids de plus de 500 g ou une grossesse de plus de 22 semaines. Les trois foetus visés dans les arrêts avaient entre 18 et 21 semaines et pesaient entre 155 et 400 g. La Cour de cassation a estimé que le jugement d'appel avait violé l'article 79-1 du code civil, lequel «ne subordonne pas l'établissement d'un acte d'enfant sans vie ni au poids du foetus ni à la durée de la grossesse». Dans ses conclusions, l'avocat général Alain Legoux avait rappelé que «ce n'est pas à (la jurisprudence) de fixer la norme, mais à la loi». «Quelle meilleure façon d'y inciter le législateur» que de casser les trois arrêts, cela «permettra au législateur de faire oeuvre d'harmonisation», avait-il suggéré à la Cour.
Une réflexion opportune.
Pour le Pr Claude Sureau, gynécologue-obstétricien et membre de l'Académie de médecine, auteur notamment de « Son nom est personne » (Albin Michel, 2005), les arrêts de la première chambre civile ont «un gros défaut», celui de ne pas clairement indiquer un poids et un terme minimal à partir duquel les parents pourraient faire une démarche de reconnaissance civile. «Cela voudrait dire que, éventuellement, des débris de fausse couche de 15jours ou trois semaines pourraient être déclarés à l'état civil», souligne-t-il, en rappelant que la chambre criminelle de la Cour de cassation avait indiqué, dans quatre arrêts successifs, que la personne humaine commençait à la naissance et que la mort d'un foetus avant la naissance ne pouvait pas être considérée comme une faute.
«La décision de la chambre civile répond à un besoin et à une motivation parentale que l'on peut parfaitement comprendre. Je pense que cette décision, qui va entraîner un nouvel arrêt de cour d'appel et ensuite éventuellement une décision plénière de la Cour de cassation, va permettre d'ouvrir une réflexion opportune, poursuit le Pr Sureau. A l'heure actuelle, l'absence de statut juridique de l'enfant à naître est déplorable. Le foetus et les embryons vivants, pour le corps médical, ont une réalité: ce sont des patients. lls ont également une réalité pour les parents. Je suis en faveur d'une réflexion législative sur le statut de l'être prénatal. Mais on comprend que le législateur ne souhaite pas ouvrir la boîte de Pandore avec une nouvelle remise en cause de la loi Veil, sachant très bien que les associations catholiques militantes se préparent à le faire.»
Mais pour l'académicien, les parlementaires n'échapperont pas, avec les progrès de la médecine, à une réflexion sur ce sujet.
Réactions
– Pour le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, cette décision juridique montre que le Parlement doit «définir très clairement» la notion de viabilité, qui dépend aujourd'hui «de l'appréciation du médecin». Les critères de l'OMS ont été retenus en France par une circulaire de 2001, mais celle-ci «n'a pas de force juridique». «Je demande simplement à ce qu'on prenne cette circulaire et qu'on lui donne une force juridique», a ajouté le médiateur. «La France est l'un des rares pays européens à avoir une notion de viabilité qui n'est pas très précise», a-t-il souligné, tout en précisant qu'il existait «un travail en cours» sur ce dossier au sein du gouvernement. Selon la loi, un enfant en gestation est qualifié d'embryon durant les trois premiers mois de grossesse, puis de foetus.
– Maïté Albagly, secrétaire générale du Mouvement français pour le planning familial, s'est déclarée «scandalisée» par la décision de la Cour de cassation, jugeant qu'il s'agit d'une «usine à gaz». «On respecte les familles, mais, là, on ouvre une brèche, dit-elle, on va finir par déclarer un embryon dès la conception, on monte quelque chose qui à la longue peut mettre en cause l'avortement.»
– Pour Chantal Birman, vice-présidente de l'ANCIC (centres d'IVG et de contraception), ce «dérapage juridique» peut avoir des conséquences très graves pour les femmes, aussi bien au niveau du droit à l'avortement qu'au niveau psychique.
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