CERTAINS LECTEURS se souviendront peut-être de l'avoir vue à la une du « Quotidien », en 1998, tenant un enfant dans les bras ; c'était à l'occasion de la guerre du Kosovo, où elle donnait une image d'humanité qui, dans ce contexte sanglant, avait à l'époque fait le tour des journaux (« le Quotidien » du 14 avril 1998). L'an dernier, nous retrouvions cette humanitaire atypique pour évoquer le parcours des femmes médecins qui choisissent d'être french doctor sur tous les champs de bataille (« le Quotidien » du 7 mars 2003).
Anne-Marie Guilleux-Gouvet est de retour. « Les Ailes de la vie, journal de missions humanitaires » livrent un témoignage d'autant plus fort que l'auteur s'y livre sans rien cacher de ses angoisses et de ses faiblesses. Elle fait entendre la voix qui, « dans (sa) tête et (son) cœur », lui chuchote qu'il manque quelque chose à sa vie de médecin-réanimateur dans son tranquille, trop tranquille, service de l'hôpital d'Angers. Ses yeux bleus, écrit-elle, ont perdu leur éclat et cette tristesse qui (l)'envahit peu à peu (l)'empêche de donner aux enfants le meilleur d'(elle-même).
Et c'est ainsi qu'elle va prendre un beau jour la décision de quitter provisoirement son service pour aller voir, à l'autre bout du monde, si (elle est) « capable de soigner avec peu de moyens et beaucoup d'amour ».
Triste médecine.
Près d'un quart de siècle a passé sans qu'elle ait encore assouvi cet appel de l'aventure humanitaire.
Aventure souvent cruelle : « Triste médecine, écrit-elle dès les premières pages de son journal. Je me sens toute petite. » En ce glacial mois de mars 1981, elle est au fin fond de la montagne du Kurdistan, à soigner des paysans dans la neige, par - 20 degrés, par exemple avec cette vieille femme à laquelle elle donne au moins 100 ans. « Elle est très pâle, très maigre, et ses yeux brillent dans un visage décharné, entouré par un foulard noir déchiré. Elle tousse et maigrit depuis plus d'un an. Je l'ausculte et je suis sûre qu'elle a une tuberculose. Je fais traduire par Azad et j'explique que je n'ai pas les médicaments pour la soigner. »
Tout le livre palpite de ces colloques décidément très singuliers, entre la french doctor et ses patients kurdes, rwandais, tchadiens, libanais, kosovars... La fatigue, la boue, les pieds gelés, parfois même les menaces directes de violences physiques, avec la lame d'un couteau qui lui est appliquée sur la gorge. Le journal se déroule souvent crûment. Quelques images furtives de bonheur passent de loin en loin, une rencontre festive, la saveur infinie d'une pomme, l'événement simple et inouï à la fois de pouvoir se laver les mains après des jours privés de toute hygiène, la méditation la tête sous le ciel d'Orient chargé d'étoiles.
Mais ce quotidien est le plus souvent vécu dans le drame, la souffrance, l'angoisse. C'est écrit sans littérature. Et le lecteur est pris dans l'aventure. Comme l'auteur qui, de retour de chacune de ses missions, finit chaque fois par entendre l'appel trop fort de l'humanitaire et se sent aspirée vers ces enfants qui souffrent, à l'autre bout du monde. Elle doit alors repartir. Tel est le sens de sa vie.
« Les Ailes de la vie, journal de missions humanitaires », préface de Benoît Duquesne, collection « Lignes de vie », éditions Les 2 encres, 332 pages, 21 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature