« L’acte médical ne vaut plus rien économiquement. Si nous n’investissons pas sur le big data, les médecins seront les infirmières de 2030 ». La prophétie sort de la bouche du Dr Laurent Alexandre, président
de DNA vision et fondateur en 1999 du site Doctissimo. Le chirurgien-urologue, volontairement provocateur, réclame un nouveau paradigme et un coup de balai au sein des institutions. « Il y a des hommes bloquants dans le système de santé ». Et de cibler « les technocrates, les handicapés du mulot ».
Réactions gênées dans l’assistance, où se trouvent là réunis bon nombre de dirigeants du monde de la santé, venus participer à Chamonix à cette 6e édition de CHAM.
Laurent Alexandre enfonce le clou, sous l’œil d’un public médusé. « Dans 10 ou 15 ans, aucun médecin ne pourra rivaliser avec les systèmes experts pour la pose du diagnostic. Nous signerons une ordonnance que nous n’aurons pas conçue. Il ne faut pas que nous finissions comme les disquaires ou ceux qui vendaient des pellicules. »
Un humain mettrait 38 ans à lire toute la littérature scientifique, ce qu’un super-ordinateur effectue d’ores et déjà en une fraction de seconde. Cette révolution en marche, le big data, redistribue le pouvoir médical. Qui pourra concurrencer Google, Apple, Facebook, Amazon, capables de dépenser des milliards pour fabriquer des cohortes géantes et bâtir des algorithmes en série ? Ces mastodontes du numérique (le "Big Four", ou "GAFA", dans le jargon des initiés) mettent plein gaz sur le diabète, la génomique, la recherche moléculaire.
Un enseignement à adapter
Pour reprendre la main et conserver une approche éthique du soin, il faudra investir beaucoup d’argent. Et vaincre certaines résistances tenaces. Ainsi l’épidémiologiste Antoine Flahault qualifie-t-il d’« anachronique » la posture de l’assurance-maladie, qui continue de tenir à l’abri ses millions de données. « Il est crucial que les universités s’organisent », ajoute le Pr Flahault, qui réclame des « ponts » entre facultés de médecine et écoles d’ingénieurs. « Les enjeux sont majeurs, et la France est le seul pays au monde à disposer d’une base de plus de 60 millions d’habitants ».
Quid du praticien, de chair et d’os ? S’adapte-t-il à ce monde qui vient ? Redoute-t-il d’être un jour dominé par les plateformes et autres algorithmes ? Le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, répond en nuance : « Le métier de médecin va évoluer très vite, oui. L’enseignement de la médecine est obsolète, oui. Mais je ne crois pas au grand soir annoncé. Les systèmes experts poseront un jour les diagnostics et les traitements. Mais la dimension humaine de la maladie restera du ressort du médecin, qui aura toujours le loisir d’adapter le traitement. La somatisation des problèmes psychologiques, où est-ce que cela rentre dans l’ordinateur ? Aucun capteur ne remplacera la parole et l’échange direct. »
* 6e Convention on health analysis and management
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