Le Temps de la médecine :
Faites vos jeux
DANS CETTE VILLE du sud de Paris, dans les Hauts-de-Seine, rien ne distingue la bâtisse des pavillons alentours, si ce n'est la proximité du panneau bleu estampillé de son « H ». La porte verrouillée ne tarde pas à s'ouvrir. Sabrina, à travers la grille, est venue nous accueillir et a donné l'alerte. L'hôpital de jour d'Antony, créé par l'association de parents Sésame-Autisme, accueille depuis 1968 de jeunes adultes encadrés par une quinzaine de soignants : 2 psychiatres, 3 psychologues, 6 éducateurs, une infirmière et une assistante sociale. Son directeur, le Dr Gilles Roland-Manuel, qui a été l'élève de Lucien Bonnafé, lequel a contribué avec Tony Lainé à développer des alternatives à l'hospitalisation en psychiatrie, évoque volontiers ses filiations : l'antipsychiatrie, la psychiatrie communautaire ou encore la psychiatrie de secteur. De celle-ci, il revendique surtout le « travail citoyen ».
Les vingt-cinq jeunes atteints de troubles autistiques ou de psychoses infantiles avec traits déficitaires majeurs et troubles massifs de la communication reçoivent ici des soins classiques associés à des psychothérapies particulières et même à une recherche génétique*. Mais l'originalité de cette prise en charge multiforme est qu'elle intègre une ouverture à la culture grâce à des approches éducatives et sociales. Pour le Dr Roland-Manuel, ce type d'approche est essentiel, car « le soin en psychiatrie demande un travail sur la "bonne distance" . Et c'est parfois déshumanisant. Plutôt qu'un rapprochement, nous recherchons comme préalable au soin des situations où soignants et soignés partagent des enjeux communs ». Les ateliers, théâtre, percussions, danse ou peinture que propose depuis quatre ans l'association le théâtre Moins grave - le nom a été donné par un jeune autiste Thomas pour qui le monde était divisé en « plus grave » et « moins grave » - ont cette fonction.
Le jeu pour gérer les crises.
Leur présence donne au lieu des allures de centre culturel, plutôt paisible. Mais il ne faut pas s'y tromper, les situations de conflits, voire de violence peuvent éclater à tout moment. Le jeu, sous forme de jeu de rôle, aide parfois à gérer la crise. « Ici le jeu est omniprésent et sa vertu, fondamentale. Un enfant qui n'a pas joué ne peut avoir de relations avec ses pairs. Or ces enfants ont très peu joué et nous revendiquons avec eux notre manque de sérieux », explique encore le directeur.
Cependant, le jeu théâtral, comme toutes les activités proposées, n'a pas un objectif thérapeutique, même si ses effets sont bénéfiques chez ces autistes-comédiens. Les deux éducateurs, Brigitte Lavau et Yvon Nsalambi, l'expriment bien. « Certains sont transformés. Comme ce jeune atteint de stéréotypies très importantes, qui, dans la vie courante, a du mal à faire les choses et peut être extrêmement lent et maladroit. Sur scène, sa lenteur est habitée, elle prend un sens », raconte la première. « Surtout, ils arrivent à jouer ensemble, alors que d'habitude ils s'isolent. De plus, entre eux, ils ont une vraie exigence », ajoute le second.
Les éducateurs partagent cette même exigence : « Le théâtre pour handicapés ne nous intéresse pas », disent-ils. La pièce qu'ils ont coécrite sera présentée lors du festival du Futur composé le 14 mai au Cabaret sauvage. « Esprits voyageurs » est l'histoire d'une rencontre entre les villageois d'un petit village africain et un « étranger » perdu dans la forêt. C'est un conte musical dans lequel se mêlent magie et poésie et où, cette fois, ce ne sont pas eux les étrangers, mais l'autre. « Cela fait dix-sept ans que je suis dans l'institution, explique Yvon . Avant, je leur proposais plutôt des pièces classiques. L'idée de ce conte est venue d'une rencontre à l'hôpital de jour avec Stanislaw Tomkiewicz. Il est venu raconter aux jeunes ses aventures à la suite d'un voyage en Afrique. A cette occasion, j'ai improvisé une mise en espace et en musique. Cela a bien fonctionné. Brigitte et moi, nous avons repris l'idée. »<\!p>
Concentrés et attentifs.
A les voir concentrés et attentifs, en costume dès les premières répétitions - « c'est important pour eux » -, on comprend que cela fonctionne toujours. Les dialogues sont peu nombreux et en lingala (Yvon est d'origine congolaise) : « Koningana te, koningana te » (ne bouge pas), répètent-ils à l'étranger vaincu par les tours du sorcier. Aujourd'hui, ils sont quatre à la répétition, Sabrina (21 ans), Aurélie (17 ans), Ronald (19 ans) et Saïd (bientôt 25 ans), les autres (Aurélien, Kevin, Charlie et Antony) sont en vacances.<\!p>Tous seront prêts pour le spectacle, même si Saïd avoue avoir le trac et que Sabrina, sa fiancée convoitée par l'étranger, a une petite crise d'angoisse à la fin de la répétition. Tous les deux étaient présents lors de la première participation au festival, en 2002. Hippolyte Girardot jouait le rôle de l'étranger et ils ont aimé. Cette année, l'étranger sera joué par un ancien éducateur, Grégory Rubinstein, et la mise en scène sera en partie assurée par Tilly, auteur dramatique connu dans le monde du théâtre pour avoir monté Feydeau ou encore « les Monologues du vagin », avec Sophie Duez. Des musiciens comme Papa Wemba assureront la partie musicale.
La participation d'artistes professionnels est un des volets importants du projet. « Nous voulons leur donner un réel accès au théâtre et leur permettre de s'approcher au plus près de la vie du comédien », reprend le Dr Roland-Manuel.<\!p>L'objectif avoué est une ouverture vers l'extérieur, pour changer le regard sur ceux qu'on appelle « les incapables majeurs », ces « marginalisés » qui sont un peu considérés comme les « poubelles de l'histoire. » En ce sens, l'espace triple théâtral est important, « avec ses coulisses qui sont une sorte de purgatoire à la communication : lieu de la préparation et du partage du trac ; la scène où ils peuvent se défaire du statut qui leur colle à la peau et entrer dans un autre personnage ; le public, enfin ». Le dispositif permet que s'établisse une communication authentique et « non pas compassionnelle ». Impliquer la société qui, « au minimum, est impliquée dans leur rejet », c'est en quelque sorte aider à « soigner l'opinion publique », conclut le Dr Gilles Roland-Manuel. Et nul ici ne réinterprétera leur création et leur mode de communication en fonction de leur pathologie, « car l'extérieur doit intervenir en tant qu'extérieur et non comme un élément thérapeutique ».
Avant notre départ, Saïd a tenu à nous remettre « le Papotin », leur journal. Avec ses camarades, il y réalise de vraies interviews, de Zidane, de Patrick Poivre d'Arvor ou de Dominique de Villepin. Et là encore, ce sont leurs propres mots, leur propre création.
* En collaboration avec l'équipe du Pr Arnold Munnich à Necker, des tests génétiques ont été réalisés chez les patients de l'hôpital de jour. Environ 25 % d'entre eux présentaient des anomalies, dont certaines maladies génétiques répertoriées comme le syndrome de l'X fragile.
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