Le cinéma aurait-il inventé l’autofiction, ce genre littéraire inventé dans les années quatre-vingt-dix, où le récit biographique s’écrit à la première personne du singulier sans recours à la fiction ou à l’imaginaire ? Le premier film de Frédéric Mitterrand, Lettres d’amour en Somalie, réalisé en 1981, qui vient d’être réédité en DVD, témoigne de cette forme unique où l’intime est non pas exhibé pour assouvir le voyeurisme du spectateur, mais utilisé comme instrument au service d’une expression artistique. Dans ce voyage aux antipodes, inspiré là encore par Paul Nizan ou Arthur Rimbaud, la voix off si littéraire, si précieuse, tisse un récit où le fil du je est noué avec celui plus lâche, moins tendu du regard sur l’autre, l’étranger, l’exotique. À la confession succède ainsi le reportage. Avec le risque dans ce type d’entreprise d’être plus lucide sur soi que sur les autres. Quelle morale provisoire tirer de cette expérience unique ? Le voyage, si lointain soit-il, ne guérit aucune blessure, superficielle ou profonde. Trente ans plus tard, le film a peut-être perdu de son incandescence. Persiste toutefois un pouvoir d’émotion intact grâce à cette fusion si singulière entre la littérature et le cinéma. L’aventure cinématographique de Nanni Moretti est certes plus ample que celle de Frédéric Mitterrand. Elle se nourrit pourtant dans ses premiers opus de la même matière, le parcours d’une vie. Ses trois premiers films font également l’objet d’une réédition augmentée de suppléments réjouissants. Bien sûr, on change ici de style narratif. Le lyrisme poétique cède la place à l’autodérision. Le proche, le voisin est préféré à l’exotique, l’étranger. Au documentaire, l’auteur opte pour la fiction. Enfin, le portrait de groupe d’une génération, et non d’un seul individu, est clairement revendiqué. Résultat, le premier film, Je suis un autarcique, tourné en 1976 en super-huit, puis gonflé en 16 mm, rencontre de manière inattendue un large succès. Suivent Ecce Bombo en 1978 et surtout Sogni d’Oro en 1981, un film de cinéma sur le cinéma. Le regard cinématographique est là très peu décalé dans le temps. Il n’est pas rétrospectif, mais presque en direct sur les événements décrits. D’où une capture de l’air du temps qui étonne encore aujourd’hui par sa fraîcheur, sa subjectivité. Nanni Moretti faisait alors irruption dans le cinéma italien pour ne plus le quitter. Il n’abandonnera jamais cette veine autobiographique qui sera pleinement assumée dans son film Journal intime. Reste que ces films ne sont pas seulement des témoignages d’époque sur une génération qui perd ses dernières illusions politiques et abandonne les esthétiques formatées des avant-gardes d’alors. Ce sont les premiers pas d’un cinéaste qui de film en film creuse son sillon et nous parle de ses obsessions, de ses angoisses reprises et déclinées dans tous ses autres films. Un réalisateur majeur éclôt là dans ses récits de jeunesse. Découvrez-les.
DVD
Le Je au cinéma
Publié le 05/07/2010
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P.-S. Rarement on n’aura vu un si bel hommage d’un cinéaste à un de ses confrères, à savoir Nanni Moretti qui nous propose dans un court-métrage contenu dans ce coffret sa Lettre d’amour au chef-d’œuvre d’Abbas Kiarostami Close Up, qui vient d’être réédité dans la même collection. Lettres d’Amour en Somalie de Frédéric Mitterrand, 1 DVD Éd. Montparnasse, Coffret Nanni Moretti, 4 DVD, Éd. Montparnasse.
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Source : Décision Santé: 266
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