VIEUX COMME les cours de récréation, les harcèlements, brimades et autres intimidations constituent un phénomène social dont sont victimes environ 15 % des 8,6 millions d'élèves âgés de 6 à 16 ans. Passées au peigne fin des psys, ces persécutions en tout genre font parfois la une des faits divers. Cela a été le cas l'an dernier, à Rochefort, en Charente-Maritime, où des adolescents ont battu à mort un de leurs camarades, et plus récemment à Lyon.
Insidieux, le mal s'incruste et se révèle parfois difficile à identifier, tant il se montre protéiforme. Il peut s'agir d'une conduite agressive intentionnelle d'une seule personne, ou de plusieurs, envers une autre, qui se répète régulièrement, au point d'engendrer une relation dominant-dominé. Les bons élèves, à l'aise dans leurs études, apparaissent comme des proies de choix. Nicole Catheline, pédopsychiatre au centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers, membre du conseil scientifique de la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, analyse le fléau dans ses dimensions sociales, humaines et institutionnelles.
Être attentif aux changements de comportement.
À titre d'exemple, elle cite au « Quotidien » le cas de Pierre, 12 ans, qui sort de son cabinet. «Il en est au stade de la phobie scolaire. Malmené par un enseignant et le directeur d'école au CP, il est devenu à son tour harceleur, puis harcelé.» «Les dégâts peuvent être considérables, insiste la spécialiste, car le mal, bien souvent, n'est pas pris en compte par l'adulte, pour qui “le jeune doit s'aguerrir”. Or l'enfant fragile ne s'en remet pas.»
Comment déceler les victimes de harcèlement ? «Il n'existe pas de signes spécifiques, mais des changements de comportement», qui doivent retenir l'attention. Ainsi, la perte de confiance en soi, l'état dépressif, des retards en classe (pour éviter d'être confronté à des camarades indésirables), le refus d'ouvrir son cartable devant ses parents (car il contient des affaires endommagées par un harceleur) ou encore de l'argent subtilisée de manière récurrente dans la caisse familiale (pour satisfaire un racket). Quand une mère, un père ou un enseignant sent que ça cloche, il lui «faut poser la question “Est-ce qu'on te fait du mal ?” En revanche, si on demande “Qu'est-ce qui se passe ?”, l'enfant va dissimuler ce qui lui arrive, car il ressent une angoisse chez le parent ou le prof. Avec la première formulation, il comprend que quelque chose est pensable, quant à ses déboires, dans l'esprit du questionneur, donc, il peut s'exprimer». Puis, pour aider le harcelé à se sortir de sa mauvais passe, il convient de lui «proposer des activités où il va être valorisé»:«Qu'est-ce qui te ferait plaisir?»
Si le cas se révèle trop lourd, le passage par le cabinet d'un psy apparaît nécessaire. «En réalité, la plupart des parents nous consultent pour des problèmes de comportement, témoigne Nicole Catheline. Jamais ils ne disent “Mon enfant est un souffre-douleur” . Nous le découvrons à travers son attitude, qui est la conséquence d'un harcèlement.»
Un corps enseignant mieux averti du harcèlement entre élèves éviterait, bien entendu, dans nombre de cas, que ne s'installe une pathologie chez le harcelé. Pour l'heure, il est fréquent qu'un prof s'emporte face à un jeune qui perd pied, lui faisant des réflexions inadaptées du genre « Vous n'arriverez à rien ».
Dans « Harcèlements à l'école », le Dr Catheline ne fait qu'aborder les brimades exercées sur des élèves par des enseignants. Sans stigmatiser ces derniers, elle suggère que le système éducatif peut aller jusqu'à laisser un maître punir, de manière répétitive, un enfant qui entend mal et/ou voit mal, et le mettre en quarantaine, faute de formation ad hoc et d'un service de santé suffisamment étoffé.
* Albin Michel, 15 euros.
La médecine des enfants
Médecine scolaire: 1 392 médecins scolaires titulaires et 423 en équivalent temps plein, soit 1 praticien pour 7 400 élèves ; 7 600 infirmières scolaires. Faute d'effectifs suffisants, certains de ces professionnels indiquent ne pouvoir effectuer que 85 % des bilans de santé obligatoires à 6 ans, dans l'enseignement public
Pédiatrie: 6 781 praticiens, dont 43 % de libéraux, soit 1 pour 5 300 enfants et adolescents, contre 1 pour 2 094 en Europe.
Pédopsychiatrie: de 3 à 12 mois d'attente pour une consultation en centre médico-psychopédagogique, 1 860 lits d'hospitalisations, 800 postes de psychiatres et 15 000 d'infirmiers en psychiatrie non pourvus.
Ces chiffres valent pour l'ensemble de la population scolaire, soit 6,6 millions d'élèves en maternelle-primaire et 5,4 millions dans le secondaire.
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