L ES trois syndicats de médecins libéraux et les quatre syndicats de salariés qui composent ce qu'il est désormais convenu d'appeler le « G7 » n'ont pas attendu le résultat de la mission de concertation mise en place par Elisabeth Guigou pour proposer leur propre version de ce que devrait être une rénovation de l'organisation des soins de ville.
Le texte de l'accord auquel ils sont parvenus, au terme de plus de huit mois de discussions, et qui est rendu public aujourd'hui, offre en fait aux pouvoirs publics une solution de rechange, clé en main, au dispositif actuel de maîtrise des dépenses de santé. Tous les aspects y sont évoqués - démographie médicale, secteur d'exercice, rémunération, évaluation des pratiques, coordination des soins - et il peut servir immédiatement de base à une nouvelle convention médicale.
A condition, toutefois, d'en accepter la philosophie qui, en rejetant toute mesure coercitive pour des médecins en cas de dépassement des objectifs de dépenses, s'inscrit à l'opposé de celle de tous les gouvernements depuis le plan Juppé.
Un projet « à prendre où à laisser » en quelque sorte, puisque les signataires précisent qu'il s'inscrit dans une démarche globale et que leurs propositions forment « un ensemble cohérent dont les éléments ne sauraient être dissociés ».
Table rase
Le projet fait également table rase de tous les dispositifs conventionnels existant, par exemple celui du médecin référent mis en place par la Caisse nationale d'assurance-maladie, avec le soutien du syndicat MG-France, et qui était contesté par les autres organisations syndicales. « Nous avons souhaité faire comme si rien n'existait et qu'il fallait reconstruire tout le dispositif conventionnel en partant de zéro », explique l'un des signataires. Ce qui revient purement et simplement à remettre en cause la politique conduite depuis près de cinq ans par la CNAM sous la houlette de la CFDT.
Au final, le texte de l'accord propose un engagement clair et encadré des médecins en faveur de la qualité et de l'utilité des soins : la création d'un observatoire de la démographie médicale pour assurer une meilleure répartition des professionnels sur le territoire, la mise en place d'un nouveau secteur d'exercice où les consultations seraient mieux rémunérées et mieux remboursées, l'évaluation des pratiques professionnelles et une formation médicale continue adaptée aux besoins, la mise en place d'un dossier médical unique pour le patient, l'aide au développement des réseaux de soins.
Ce sont tous ces éléments qui, mis en place de manière concertée entre les médecins et l'assurance-maladie, pourront, selon les signataires, contribuer à optimiser les dépenses de soins. Un objectif prévisionnel de dépenses continuera à être fixé par le Parlement, mais il sera pluriannuel, révisable chaque année et, surtout, non opposable financièrement aux médecins.
Trente euros la consultation du généraliste
En échange de leur engagement dans l'amélioration de la qualité des soins, la consultation des médecins serait, selon ce projet, « plus justement rémunérée » et tiendrait compte des charges professionnelles qui progressent et des tâches administratives qui sont de plus en plus imposées aux praticiens par l'assurance-maladie, par exemple la télétransmission.
Les sept organisations se sont mises d'accord pour fixer la consultation du médecin généraliste à 30 euros, c'est-à-dire à peu près 200 F, au lieu de 115 F aujourd'hui.
Le partenariat entre les syndicats représentatifs des médecins et l'assurance-maladie devra également répondre, selon ce texte, à des règles précises. Les membres du « G7 » estiment « indispensable » de rétablir une convention, unique pour tous les médecins, et susceptible d'être complétée, le cas échéant, par des volets spécifiques à certains modes d'exercice ou à certaines disciplines.
Pour remporter l'adhésion des médecins, cette convention devra, en outre, être signée par au moins deux caisses d'assurance-maladie et au moins deux syndicats médicaux représentant plus de 50 % des suffrages aux élections aux unions régionales de médecins libéraux. Enfin, ces conventions ne devront faire « aucune discrimination entre les médecins ou les assurés dans leur mode d'accès aux soins ». Autant de garde-fous pour éviter la situation actuelle où il existe deux conventions séparées, dont l'une, celle des médecins généralistes, n'a été signée que par le seul syndicat MG-France et l'autre, celle des spécialistes, a été imposée par le gouvernement, à défaut d'accord des syndicats.
Les principales dispositions du texte
Evaluation des besoins : l'échelon régional d'abord
Pour le G7, la région pourrait être l'échelon idéal pour centraliser les diverses données et les études épidémiologiques et établir une cartographie objective des besoins locaux (soins, prévention) grâce au concours des DRASS, observatoires régionaux de santé, unions régionales de médecins libéraux et caisses d'assurance-maladie.
Il reviendrait aux conférences régionales de santé de « préconiser des objectifs » sanitaires. A l'échelon national, le G7 ne remet pas en cause la Conférence nationale de santé, mais souhaite en rendre plus démocratique le fonctionnement et la composition.
Offre de soins et démographie : primes, exonérations et rôle accru pour les partenaires conventionnels
Le G7 est réellement novateur sur ce chapitre essentiel. Afin de mettre en adéquation l'offre et la demande de soins (par rapport aux besoins évalués), les membres du groupe de travail préconisent la création d'un observatoire permanent de la démographie médicale, cogéré par les partenaires conventionnels, et chargé de l'élaboration d'une « carte de l'offre de soins » et d'une « carte des besoins de soins ». Ces audits sanitaires seraient ventilés par spécialité et par région. Le G7 propose une expérimentation dans trois régions pilotes : PACA, Ile-de-France et Nord - Pas-de-Calais.
Le calendrier suggéré est à deux niveaux. A terme, l'objectif fixé est d'associer directement les partenaires conventionnels à tous les étages de la politique de régulation des flux médicaux : détermination du numerus clausus à l'entrée des études ; définition pour les médecins conventionnés de « zones de conventionnement adapté », par discipline, sur la base de la carte sanitaire des besoins (ce conventionnement adapté ne concernerait pas les médecins actuellement en formation) ; mise en place de passerelles entre les spécialités, etc.
Mais en attendant que cette politique de régulation soit en place, le G7 propose une batterie de mesures transitoires. Il s'agit d'abord de « mesures d'incitation au départ ou à la reconversion », négociées dans le cadre de la convention médicale. Le G7 propose d'instaurer une prime de reconversion et de réorientation qui permettrait aux médecins (par le biais de formations complémentaires, de bilans de compétences) de changer d'activité en cours de carrière. Les médecins qui s'engageraient à ne plus exercer dans le secteur ambulatoire pourraient bénéficier d'une prime « sèche ou étalée » nécessaire à la réorientation (mais en cas de retour dans le système libéral, la prime est rendue). Là encore, les membres du G7 suggèrent d'expérimenter cette « aide au départ ou à la reconversion » dans les trois régions précitées. Les modalités de cette aide seraient différentes selon que le médecin libéral sort définitivement du système de santé ou se reconvertit dans une spécialité déficitaire.
En outre, le G7 plaide pour la mise en place de mesures d'incitation à l'installation des médecins dans le cadre conventionnel. Ces dispositions, visant à rendre attractives certaines régions sinistrées, prendraient la forme d' « incitations fiscales » (exonération de la taxe professionnelle, de la taxe sur les salaires, abattements spéciaux) et de « mesures conventionnelles » (prêts à l'installation à taux zéro). Enfin, dans les zones dites à risque, une aide à l'installation de dispositifs de sécurité pourrait être octroyée aux praticiens.
Modalités d'exercice : un secteur conventionnel revalorisé
Mesure phare du programme, le G7 préconise la création d'un nouveau secteur conventionnel « revalorisé », ouvert à tous les praticiens, et dans lequel les actes médicaux seraient à la fois beaucoup mieux rémunérés (voir plus loin le chapitre sur la valeur des actes) et mieux remboursés (pris en charge à hauteur de 90 %) en échange d'engagements en matière de qualité des soins. En effet, les tarifs pratiqués dans ce secteur prendraient en compte la rémunération de l'acte médical proprement dit, mais aussi les charges professionnelles de structure, les tâches administratives et la FMC.
Quant au secteur actuel à honoraires libres, il serait conservé, mais exclusivement pour les médecins qui y exercent déjà et souhaitent s'y maintenir. Pour éviter une inflation des tarifs pratiqués, la base du remboursement des actes réalisés dans ce secteur à honoraires libres resterait fixée à 115 F pour le C, 150 F pour le CS, etc.
Qualité des soins : identifier les pratiques non conformes et « cibler » la FMC
Pour le G7, l'évaluation des pratiques professionnelles doit se répartir sur deux niveaux, collectif et individuel.
L'évaluation collective exige, selon le rapport, un état des lieux des pratiques (obtenu soit par les futures données issues du codage des actes et des pathologies, soit par des questionnaires anonymes élaborés par les partenaires conventionnels). La confrontation de cet état des lieux avec les référentiels actuels de la communauté scientifique permettrait d'apprécier les écarts par rapport aux « pratiques idéales » et de proposer des actions ciblées de FMC.
Quant à l'évaluation individuelle, le G7 estime qu'elle ne relève pas du champ conventionnel, puisqu'elle doit concerner tous les médecins sans exception, et « régulièrement ». Elle passerait par une autoévaluation (par exemple sur des grilles) et « en externe par des évaluateurs formés et reconnus par la profession ». Là encore, les médecins qui s'écartent trop de l'état de l'art seraient invités à corriger leur pratique par une FMC « spécifiquement orientée ».
A noter que le G7 ne fait ici aucune allusion au dispositif d'évaluation des pratiques professionnelles déjà prévu par la loi, piloté par les unions régionales de médecins libéraux et l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES), et qui devrait se mettre en place dès septembre prochain.
Enfin, en ce qui concerne l'organisation même du système de FMC, le G7 reste assez flou, même s'il refuse clairement de limiter la formation au strict cadre conventionnel (une critique à peine voilée du système de formation professionnelle conventionnelle - FPC - mis en place par la CNAM et le syndicat MG-France). « Le non-respect de l'obligation de formation par un praticien doit conduire à une injonction de suivre une session de FMC reconnue dans un délai déterminé », lit-on également dans le rapport. Le G7, qui invite au passage les médecins-conseils à se former eux aussi, ne précise pas les sanctions éventuelles en cas de non-respect de l'obligation.
Références médicales opposables : deux niveaux de gravité
Pierre angulaire de la maîtrise médicalisée (voir ci-dessous), les références médicales opposables (RMO) sont au cur du projet du G7, qui distingue deux niveaux de gravité : les RMO « qui engagent la sécurité du patient » et celles « qui ont pour objectif d'éviter les actes inutiles ou non appropriés ». Le G7 considère que les références qui ont trait à la sécurité des patients sont opposables à l'ensemble des médecins.
Mise en place d'un dossier de suivi médical et aide financière aux réseaux de soins
Au chapitre de la coordination des soins, les membres du G7 préconisent avant tout la mise en place d'un dossier de suivi médical du patient. Ce dossier, unique, serait tenu par un médecin coordinateur librement choisi par l'assuré, mais qui devrait être, dans la plupart des cas, le médecin généraliste.
Celui-ci sera chargé de centraliser les informations données par tous les médecins dispensant des soins à l'assuré et d'assurer des actions de prévention et d'éducation à la santé décidées par les instances conventionnelles. Le patient détiendra de son côté un document de liaison qui comprendra les informations nécessaires aux différents médecins intervenants (date des dernières consultations, thérapeutiques en cours, informations essentielles sur le patient). La présentation de ce document sera obligatoire et opposable aux assurés sociaux.
Les membres du G7 suggèrent cependant une montée en charge progressive de ce dispositif et une évaluation préalable.
L'encouragement au développement des réseaux de soins est également préconisé. Afin de tenir compte des réseaux déjà existants, le rapport propose de fournir une accréditation par l'assurance-maladie sur la base d'un cahier des charges. Cette accréditation leur permettra d'obtenir des moyens pour faciliter leur mise en place, par exemple une indemnisation des professionnels qui participent à des réunions de coordination ou la prise en charge d'un secrétariat de coordination.
Fixation d'un objectif pluriannuel des dépenses
Toutes les actions d'amélioration de la qualité des soins précédemment énumérées doivent concourir, selon le texte, à l'optimisation des dépenses de soins et à maîtriser leur évolution. Cependant, par ces actions, les professionnels s'engageraient à tenter de respecter les objectifs prévisionnels des dépenses d'assurance-maladie. Dans ce cadre, les partenaires conventionnels proposeraient au Parlement un objectif prévisionnel pluriannuel qui correspondrait à la durée de la convention et qui pourrait être divisé en objectifs annuels. Ces objectifs seront non opposables aux médecins et révisables. En effet, chaque année, en fin d'exercice, les partenaires conventionnels établiront un bilan d'application de la convention et transmettront au Parlement un rapport analysant l'évolution des résultats.
Si les dépenses sont supérieures à l'objectif et que l'écart est médicalement justifié, les partenaires conventionnels proposent un réajustement de l'objectif initial qui devra faire l'objet d'une loi rectificative de financement de la Sécurité sociale. Si, au contraire, l'écart n'est pas médicalement justifié, les partenaires conventionnels définissent des actions pour s'assurer du respect de l'objectif pluriannuel à la fin de la la période conventionnelle. Enfin, si les dépenses sont inférieures à l'objectif, la différence sera affectée prioritairement à l'amélioration de la qualité des soins et à la prévention.
La consultation à 30 euros
Considérant que l'acte médical doit être « rémunéré à sa juste valeur », le texte préconise que le niveau de la rémunération tienne compte de l'acte médical proprement dit, mais également des charges professionnelles, des tâches administratives imposées et du respect de l'engagement conventionnel de formation continue. Afin de prendre en compte les exigences de qualité et en pariant sur une réduction des volumes d'actes, les membres du G7 conviennent de redéfinir les tarifs de tous les actes médicaux à compter du 1er janvier 2002. La consultation de médecine générale serait ainsi fixée à 30 euros (soit 196,79 F), dont 14 euros pour l'acte médical, 12 euros pour les charges, 3 euros pour les tâches administratives et 1 euro pour la FMC. Un système d'indexation de la valeur des actes serait, en outre, mis en place pour garantir le niveau de rémunération en cas d'évolution des charges. Un observatoire économique conventionnel serait chargé d'en assurer le suivi. Les médecins s'engageraient en contrepartie à améliorer le remboursement des patients au moyen de la télétransmission et à faciliter le paiement d'honoraires au moyen de la monétique et du paiement différé.
Suppression des CMR
Le suivi de la convention et des engagements conventionnels serait assuré, au niveau national, par une commission nationale de la vie conventionnelle (CNVC) et, à l'échelon local, par des commissions conventionnelles paritaires locales. Seraient également rétablies la commission médicale paritaire nationale et les commissions médicales paritaires locales existantes dans la convention de 1993. Les comités médicaux régionaux étant supprimés, ce serait ces instances qui seraient notamment chargées de veiller au respect des RMO par les praticiens. Si un médecin ne respecte pas une référence engageant la sécurité du patient, la commission médicale procède en urgence à l'audition du médecin et, si elle le juge nécessaire à l'unanimité des voix, saisit les autorités compétentes. S'il s'agit d'une RMO ayant pour objet d'éviter les actes inutiles, un avertissement et la proposition d'une formation adaptée sont adressés au médecin dans le cas d'une première entorse. En cas de récidive, la commission peut décider un déconventionnement temporaire et obliger le médecin à suivre une formation. Chaque commission nationale est dotée d'une section arbitrale pour juger des cas litigieux et fait office d'instance d'appel.
Le « G7 » et les autres
Si le « G7 » a rendu le premier sa copie, plusieurs autres groupes travaillent de leur côté, depuis plus ou moins longtemps, afin de proposer une alternative au système actuel.
Le plus officiel : le comité des sages
A l'issue du « Grenelle de la santé » du 25 janvier dernier, Elisabeth Guigou a désigné un groupe de quatre experts, vite appelé de « comité des sages », qui anime une mission de concertation pour la rénovation des soins de ville. Ce quatuor, au sein duquel on retrouve le Pr Bernard Glorion, président du Conseil national de l'Ordre, a déjà procédé à une trentaine d'auditions : syndicats médicaux et paramédicaux, confédérations de salariés, Mutualité, représentants des caisses et personnalités qualifiées se sont ainsi rendus, tour à tour, aux convocations du comité des sages qui, régulièrement, rend compte de ses travaux à la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. La contribution de ce groupe d'experts, qui travaille dans deux directions (la qualité des soins et le contrat qui lie les professionnels de santé à la collectivité), est attendue avant le prochain Grenelle, prévu en juin.
Le plus ouvert : le « G12 »
Depuis février, une douzaine d'organisations du monde de la santé, au premier rang desquelles le syndicat de généralistes MG-France, la CFDT (qui préside la CNAM) et la Mutualité française, ont mis en place des ateliers de travail thématiques « ouverts à tous les acteurs qui partagent la même volonté réformatrice ». Cette coalition, qui constitue une sorte de pendant au « G7 », a défini trois axes de travail : la « responsabilité partagée » des acteurs (professionnels, usagers, institutions) ; « l'identification des attentes » de chacun (missions, statut du médecin) ; et les « éléments structurels du système de soins », à savoir les questions de démographie médicale, de coordination des soins ou d'accès à la santé. Ce groupe devrait rendre ses premières conclusions la semaine prochaine.
Le plus incertain : la refondation sociale du MEDEF
Après la « santé au travail », les confédérations de salariés attendaient avec inquiétude que le chantier de refondation sociale, lancé par le patronat, aborde enfin le chapitre de l' « assurance-maladie », extrêmement sensible compte tenu des thèses libérales du Medef. Or, non seulement le patronat a décidé de remettre à plus tard l'ouverture de ce chantier (probablement en septembre), mais il pourrait s'agir d'un projet plus modeste que prévu (une « contribution à des réflexions à venir », selon Denis Kessler, vice-président du Medef).
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