C'EST LE MÊME RITUEL postal, chaque année, à l'approche des fêtes : un tiers des dons sont collectés au dernier trimestre. « C'est une compétition ouverte pour toutes les associations indépendantes qui ont besoin des donateurs pour compléter les financements des bailleurs, explique le Dr Jean-Hervé Bradol (MSF). Dans cette démarche, nous bannissons quant à nous le discours culpabilisateur que n'hésitent pas à employer certaines associations pour drainer en ce moment des fonds à destination du Pakistan. De la même manière, nous nous refusons à pratiquer l'infantilisation du public, comme tant d'autres qui usent de la langue de bois humanitaire et racontent de jolis contes de fées irréels. Pour notre part, nous sommes partisans des messages de vérité, qui présentent avec sincérité nos actions sur le terrain. Parfois, cela peut nous mettre en porte-à-faux avec certaines associations, comme lorsque nous avons annoncé, en janvier dernier, la fin de la collecte pour le tsunami, compte tenu du montant des dons qui avaient été réunis. »
A ceux qui lui reprochent d'avoir pris alors le risque de décourager la générosité du public, le président de MSF rétorque qu'« on risque bien plus de décourager Billancourt en tenant des propos fallacieux et hypocrites. Nous préférons nous adresser aux donateurs comme à des adultes. »
Cette collecte entretient sans doute des effets pervers, analyse Sylvain Ogier (Handicap International). « C'est à cause d'elle que nos volontaires sur le terrain subissent une pression pour se montrer devant les caméras et les photographes. Il faut bien que les donateurs puissent apprécier de visu que leur argent est bien employé selon leur demande ! »
« Dans cette logique, nous sommes dans l'obligation de nous montrer le plus possible, quitte à devoir être partout présents en même temps pour montrer qu'on est bien au travail grâce à l'argent de nos donateurs», confirme le Pr Alain Deloche (La Chaîne de l'Espoir).
Les méthodes éprouvées du marketing direct.
« Quant aux modalités techniques des collectes, poursuit Sylvain Ogier, c'est du marketing direct classique, on n'y échappe pas, même si nous ne saurions considérer le public des donateurs comme celui des consommateurs lambda. Ces méthodes sont éprouvées et payantes : quand vous joignez un petit cadeau à la lettre (carte de vœux ou autres) , vous récoltez davantage de fonds. Pour une association comme la nôtre, où les dons privés couvrent les deux tiers du budget, la collecte est cruciale. »
Certains refusent de se prêter au jeu de la compétition sur le marché de la générosité publique. C'est le cas d'Aide médicale internationale, dont le délégué général, Benoît-Xavier Loridon, estime que « ce marché est actuellement saturé. Nous préférons, pour notre part, nous tourner vers nos 7 000 donateurs, ce sont eux qui nous suivent dans le temps et qui garantissent notre indépendance. »
« Toutes les ONG et les associations sont en concurrence dans la sphère marchande, analyse le Dr Françoise Jeanson. En plus des bailleurs, nous devons trouver des donateurs pour pouvoir faire face à nos charges fixes. Et comme les besoins grandissent alors que le gâteau ne change pas de taille, le marketing humanitaire est très logiquement devenu un vrai métier. Je ne dirai pas que c'est à qui saura le mieux se vendre, mais qui saura vendre le mieux ses actions. »
Pour la présidente de Médecins du Monde, en abordant ce sujet de la concurrence financière entre associations, on ne s'éloigne vraiment pas de la question du recrutement des volontaires : « Bien sûr, note-t-elle, l es bénévoles optent par choix personnel pour telle ONG, de préférence aux autres, parce qu'ils éprouvent pour elle une affinité particulière. L'aspect matériel ne saurait cependant être éludé. En règle générale, les bénévoles expatriés perçoivent des indemnités pour pouvoir continuer à payer leur loyer en France et faire face à leurs engagements financiers, conformément à leur statut. Mais quand ils poursuivent des missions pendant plusieurs années de suite, si les associations veulent garder les bons expats sans lesquels le plus beau projet du monde tourne court, il faut bien trouver des solutions financières correctes et adaptées. Du statut de volontaires indemnisés, les expats évoluent souvent vers celui de salariés. » Cette mutation sociale rend encore plus nécessaire la prospection de la manne financière. Et ajoute à l'accumulation des mailings dans nos boîtes à lettres.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature