Les carabins ont le blues. Et, fait nouveau, ils le disent haut et fort. Pour la première fois depuis des années, la puissante Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), organisation apolitique qui regroupe les associations locales, bureaux des élèves, corpos et amicales dans toutes les facultés, sonne l'alarme pour souligner « le malaise profond qui s'abat sur les étudiants en médecine, sur leurs études et sur leur avenir en tant que futurs médecins ».
Société de loisirs
Ce désarroi, qui affleure aussi dans les forums de discussion, est d'abord l'expression d'une angoisse diffuse devant des lendemains qui risquent de déchanter dans un contexte de démographie médicale déclinante avec, au pire, l'émergence de déserts sanitaires. Les départs en retraite massifs programmés à partir de 2010 (entre 7 000 et 9 000 médecins par an) et, parallèlement, la féminisation continue de la profession qui accroîtra l'exercice à temps partiel (environ 60 % d'étudiantes actuellement en premier cycle), ne rassurent guère les plus jeunes. Or la plupart d'entre eux ne sont pas prêts à accepter les sacrifices, notamment horaires, qu'ont supportés nombre de leurs aînés.
« On peut d'ores et déjà affirmer que la qualité de vie des futurs médecins est très loin d'être acquise. L'assurance de la permanence des soins risque fort d'entrer en conflit avec un besoin de vie sociale, de vie familiale, de loisirs, valeurs chères à notre société actuelle », explique très clairement l'ANEMF. Un discours sans langue de bois qui dérangera sans doute, mais traduit à l'évidence une évolution des mentalités de la nouvelle génération. Pour cet étudiant en cinquième année, la perspective de travailler « deux fois 35 heures par semaine » est simplement « irréelle ». L'augmentation du numerus clausus, bien que régulière depuis cinq ans, est jugée encore « insuffisante » et surtout « jamais accompagnée » de moyens financiers . « Les facultés et les CHU n'ont plus les capacités d'accueil nécessaires à une bonne qualité de formation des futurs médecins, ni les enseignants en nombre suffisant », accuse l'ANEMF.
Quant aux mesures annoncées par les pouvoirs publics pour inciter les médecins à s'installer demain dans les zones sous-médicalisées (primes, aides financières au regroupement dans les zones menacées, cabinets secondaires), elles laissent perplexes les carabins. « Pour beaucoup d'entre nous, l'idée d'aller exercer dans un village de 300 habitants, loin de tout, reste malgré tout une perspective limitée », concède une étudiante.
Cursus : des réformes subies dans la douleur
Mais les sombres perspectives démographiques à moyen terme n'expliquent pas tout. Les étudiants en médecine doivent aussi digérer depuis quelques années une succession de réformes importantes de leur cursus (déjà appliquées ou seulement programmées) qui déstabilisent les premières promotions concernées. Et plombent parfois le moral. Certes, les principes qui fondent ces réformes ne sont pas, généralement, contestés par les carabins (enseignements moins cloisonnés au cours du deuxième cycle, remplacement du sacro-saint concours de l'internat pour faire de la médecine générale une spécialité à part entière), mais l'accompagnement dans les facultés est souvent calamiteux. Le réquisitoire de l'ANEMF est sans appel. « Plus longues et plus denses qu'auparavant avec l'augmentation des connaissances, les études sont devenues totalement désorganisées. Les étudiants de sixième année, les médecins de demain (ils seront internes en novembre 2004) subissent depuis trois ans une réforme de la pédagogie du deuxième cycle, qui s'est révélée catastrophique dans certaines facultés. En juin 2004, ces mêmes étudiants vont avoir à passer un examen... dont ils ne savent rien ! » Une allusion au futur examen national classant (ENC) qui remplacera le concours de l'internat dès l'année prochaine, mais dont le décret d'application n'est toujours pas paru au « Journal officiel ». Au grand dam des étudiants et malgré la signature d'un protocole d'accord sur cette réforme en novembre 2002...
« Innovations à la mise en place hasardeuse », « inertie et tergiversations administratives » : la coupe, cette fois, serait pleine. Pour Amandine Brunon, présidente de l'ANEMF, « ce manque de lisibilité » plonge de nombreux étudiants dans un « stress permanent ». « Ils en ont marre d'être les dindons de la farce, une promotion sacrifiée », dit-elle . Le mois dernier, dans le même registre, les internes de médecine générale s'inquiétaient de la mise en place « incertaine » du sixième semestre du résidanat, faute de texte d'application et de financement.
De ce mal-être des futurs médecins à l'affaiblissement de la qualité des soins, il n'y aurait qu'un pas. « Le pays qui connaît le meilleur système de santé du monde, et reconnu pour l'excellence de sa médecine, est-il en train de former des médecins mal dans leur peau, avec le risque de voir leur exercice en subir les conséquences? » Pour la première fois, l'ANEMF pose ouvertement la question. Le gouvernement, qui voit déjà la contestation gagner du terrain à l'hôpital avec les syndicats de médecins et de personnels ou les chefs de service de l'AP-HP (« le Quotidien » du 14 novembre) serait bien inspiré d'écouter aussi la mise en garde des « juniors ».
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