Mediator

Le grand oral de neuf anciens ministres de la Santé

Publié le 06/05/2011
Mattéi, Bas, Gaymard, Guigou, Kouchner, Douste-Blazy, Aubry, Barrot, Bachelot… Ils étaient tous là jeudi aux auditions de la mission de l’Assemblée sur le Médiator. Au terme de plus de quatre heures de débat, un point commun : on ne touche pas aux agences sanitaires. Et quelques divergences de taille, sur l’encadrement de la VM ou le choix des experts du médicament. Compte-rendu et verbatim de leurs interventions.

« Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». C’est Martine Aubry qui le dit à propos du réseau d’agences sanitaires patiemment tissé ces quinze dernières années. La patronne du PS a été la septième des anciens ministres de la santé qui se sont succédé jeudi matin devant la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale sur le Mediator. Cette façon de dire les choses résume en fait assez bien la perception générale de ses pairs sur l’affaire Mediator. En tout cas sur la nécessité de préserver les fondements du dispositif actuel de sécurité sanitaire.

A l’issue de cette séance exceptionnelle d’auditions, le socialiste Gérard Bapt et l’UMP Jean-Pierre Door, respectivement président et rapporteur de cette mission Mediator, n’auront sans doute pas appris grand-chose de plus sur les causes de cette affaire, tant il est vrai qu’aucun des ministres de ces quinze dernières années ne semble s’expliquer vraiment (voir ci-dessous notre verbatim) pourquoi on a maintenu si longtemps sur le marché la molécule incriminée.

Pourtant, quelle que soit la couleur politique des intervenants, le message est clair : l’affaire Médiator n’est pas une raison pour chambouler de la cave au grenier le maillage des agences sanitaires, comme le réclame le rapport Debré-Even remis il y a deux mois au président de la République. Roselyne Bachelot est de ce point de vue la moins tendre vis-à-vis du travail réalisé par l’urologue de Cochin ? Ses idées de séparer l’évaluation du médicament de la pharmacovigilance ou de rapprocher commission d’AMM et commission de Transparence ? « Inopérantes et dangereuses ! » « Il ne faut pas céder au charme du mécano sanitaire, » prévient encore, un rien vacharde, l’ancienne ministre.

Roselyne Bachelot n’est pas la seule à plaider pour que l’on « préserve l’indépendance des Agences. » On retrouve le même souci chez Jean-François Mattéi qui voit dans l’existence de ces autorités indépendantes, la seule façon « de couper le lien entre les politiques et les laboratoires pharmaceutiques… » Et celui qui fut en poste de 2002 à 2004 de conclure : « Notre système n’est pas aussi mauvais qu’on a bien voulu le dire (...) Je ne suis pas persuadé que rassembler dans une même structure le CEPS (comité économique du médicament), l’AMM et la Transparence serait la bonne solution.»

La sécurité sanitaire n’est ni de droite ni de gauche

Ces interventions successives des huit ministres de la Santé (on ne sait rien de l’audition de Jacques Barrot qui comme membre du conseil constitutionnel a été entendu à huis clos) permettent de se rendre compte à quel point la politique de santé publique de ces dernières années est marquée par la continuité. En définitive, chacun a mis sa pierre à l’édifice, et il n’est pas étonnant dans ces conditions que tous soient fiers du système patiemment mis en place, au gré des arbitrages gouvernementaux.

De ce point de vue, l’intervention la plus chargée d’émotion est celle de Bernard Kouchner qui rappelle sa mise en place de l’Agence du médicament dès le début des années 90, avant de poursuivre le maillage des agences sanitaires à la fin de cette décennie. « Nous avons inventé le concept de sécurité sanitaire. La création de l’Agence du médicament s’imposait et elle a fonctionné de façon positive pour la santé publique. Tout aurait été bien plus mal si nous ne l’avions pas fait, » assure-t-il. Lâchant que compte tenu de cet investissement, il a tout de même vécu l’affaire du Mediator « comme un échec personnel. »

Tour à tour, chacun de ses successeurs aura l’occasion de dire tout le bien qu’il pense de ce maillage d’Agences sanitaires et la façon dont chacun s’est finalement placé dans la continuité de cette grande oeuvre. A commencer par Hervé Gaymard, qui, avant Bernard Kouchner, avait prévu de réorganiser le dispositif de sécurité sanitaire avec notamment la création de l’Institut de veille sanitaire sur le modèle des CDC américains. Mais entre temps, la droite perd les législatives de 1997...

Dans la foulée, Philippe Douste-Blazy rappelle la création du comité économique des produits de santé dès 1993, lors de son premier passage avenue de Ségur, puis sa création de la Haute Autorité de santé lors de cons come-back au ministère dix ans plus tard. L’ancien ministre fait lui aussi l’éloge de ce système d’autorités indépendantes qui, selon lui, est aussi fait pour mettre à l’abri le ministre des pressions de toutes sortes : « en cinq ans au ministère de la Santé, jamais personne n’est venue dans mon bureau pour évoquer avec moi le prix d’un médicament. Jamais, » insiste-t-il !

Autre exemple de constance dans la politique du médicament : la réévaluation du service médical rendu des médicaments. Engagée par Martine Aubry pour l’ensemble de la pharmacopée, elle est poursuivie par Elisabeth Guigou ; et Jean-François Mattei admet volontiers qu’il s’est placé dans la continuité du processus. Avant que Philippe Douste-Blazy ne transfère cette responsabilité sur la HAS...

Fonctionnariser la VM ? Ou l’expertise ?

On aura compris que les ex-responsables gouvernementaux de la santé de ces dernières années n’appellent pas à un grand soir sanitaire. Qu’ils soient de droite ou de gauche ne change finalement pas grand-chose à la donne. Du moins du point de vue institutionnel. Hormis Elisabeth Guigou qui juge « excellent » le rapport Debré-Even, les solutions que les anciens ministres préconisent se veulent donc respectueuses de l’architecture institutionnelle actuelle.

La question du choix des experts est plus âprement débattue. Ministre à la fin du dernier mandat de Jacques Chirac, Philippe Bas juge difficile de confier cette tâche à des scientifiques fonctionnaires, « si l’on a pour ambition, non seulement l’indépendance, mais aussi la qualité de l’expertise. » Elisabeth Guigou est d’un avis opposé, et ne serait pas hostile à un corps de scientifiques fonctionnaires. Pour sa part, Martine Aubry plaide pour un renforcement des capacités d’expertise des agences. Et, selon elle, il faudrait qu’au minimum un délai de carrence soit respecté, interdisant à un scientifique d’être désigné expert dans un domaine pour lequel il a travaillé pour l’industrie. Quant à Roselyne Bachelot, elle contourne : « Il ne faut pas rêver d’experts à la fois vierges de tous liens et hypercompétents. Donc il faut que l’expertise soit plurielle et transparente. »

La visite médicale est une ligne de clivage encore plus forte entre la droite et la gauche. Si l’on suit Martine Aubry ou Elisabeth Guigou, il est urgent de nationaliser le système d’information et de formation des médecins. Sur ce terrain, Jean-François Mattei est moins jusqu’au-boutiste et plaide pour la nécessité d’un « encadrement » accru de la VM : « pour beaucoup de médecins, c’est encore la seule formation continue véritable et régulière, » croit savoir l’universitaire.

Reste à revoir les procédures et les modes de fonctionnement des agences. Là-dessus, tout le monde semble d’accord: les procédures sont à revoir. Bernard Kouchner suggère d’accroître la transparence des commissions, par exemple en y accueillant des représentants de patients. Martine Aubry et Elisabeth Guigou estiment qu’il faut modifier les procédures pour que le doute sur un produit profite aux patients lors de la suspension d’un produit. Jean-François Mattei plaide pour une internationnalisation des autorisations de mise sur le marché des médicaments. Des pistes sur lesquels Xavier Bertrand se prononcera peut-être le 19 mai, date de son audition par la mission Bapt-Door de l’Assemblée Nationale.

Paul Bretagne

Source : lequotidiendumedecin.fr