EN LOGIQUE ET EN DROIT, la Commission ne fait que son travail. Il n'y a pas encore de Constitution européenne, mais le Pacte de stabilité est un traité qui lie quinze gouvernements de l'Union. Deux d'entre eux ne peuvent pas le bafouer, même si, au terme de rudes négociations, ils ont obtenu, le 25 novembre denrier, l'aval des treize autres.
Un pacte « stupide » ?
On assiste donc à un affrontement entre la règle et le pragmatisme. N'est-ce pas Romani Prodi lui-même qui, naguère, jugeait le pacte « stupide » ? A l'usage, les critères de Maastricht ne sont applicables qu'en période de prospérité. En période de crise, le seul moyen de lutter contre l'effondrement social, c'est le déficit.
L'erreur de la France et de l'Allemagne, c'est d'avoir été dominatrices et sûres d'elles. Alors que des pays membres réformaient à tour de bras, justement pour ne pas avoir à trahir Maastricht, elles ont laissé venir la tempête, persuadées sans doute que ce qui est bon pour Paris et Berlin est bon pour les autres capitales.
En d'autres termes, le brusque rebond du chômage et le plongeon des déficits publics n'étaient pas une fatalité. Ces maux n'ont pas frappé la Grande-Bretagne ou l'Espagne. On pouvait proposer une réforme du pacte qui aurait établi des critères variables en fonction de la conjoncture : mais la conjoncture n'a pas les mêmes effets sur la France que sur le Royaume-Uni ou l'Irlande.
Après avoir lambiné, le chancelier Gerhard Schröder s'est lancé dans des réformes sociales sans précédent. Ce social-démocrate est en train de mettre à bas l'Etat providence. Il a pris un ou deux ans d'avance sur nous. Ce qui veut dire que la révision des procédures du pacte est dangereuse : nous risquons, sur cette question, de nous retrouver isolés si l'Allemagne tire un profit plus grand de la croissance à venir.
Le coup d'éclat de la Commission.
Est-ce pour éviter d'autres désordres possibles que la Commission, contre l'avis de quelques-uns des commissaires, a décidé de saisir la CEJ ? Ou bien est-ce parce qu'elle veut clarifier les rôles respectifs du Conseil (constitué par les gouvernements) et d'elle-même ? Dans un premier temps,
LA COMMISSION DE BRUXELLES RAPPELLE LA FRANCE ET L'ALLEMAGNE AUX PRINCIPES QU'ELLES ONT ELLES-MÊMES ETABLIS
on est surpris, sinon médusé : la Commission propose, les gouvernements souverains disposent. Comment des fonctionnaires pourraient-ils sanctionner l'exécutif européen ? Les durs de la Commission (en particulier l'Espagnol Pedro Solbes) estiment que leur organisme est le gardien du temple. Au niveau national, est-il insensé de retourner le droit contre ceux qui l'établissent ? Non. Et c'est même recommandé. Sauf que les commissaires ne sont pas élus, mais nommés, et que, de toute évidence, c'est le Conseil qui décide tout. Jamais on n'aura davantage le sentiment que la Commission de Bruxelles s'attribue des pouvoirs excessifs et parvient à influencer notre vie quotidienne dans ses aspects les plus infimes. Si maintenant elle s'attaque au gouvernement, si par ailleurs la CEJ lui donne raison, si enfin la France et l'Allemagne devaient payer de lourdes amendes (qui ne feraient qu'aggraver leurs lourds déficits, ce n'est pas le moindre des paradoxes), le gouvernement européen serait né sans avoir été conçu.
En d'autres termes, la violation du Pacte de stabilité et la réaction hardie de la Commission traduisent un sérieux dysfonctionnement des mécanismes européens, alors même que l'UE, tout en prétendant constituer un bloc plus fort et plus peuplé que les Etats-Unis, est confrontée à toutes sortes de problèmes : différences flagrantes entre les Anglais et nous sur la politique américaine de l'Europe ; difficultés liées à l'absorption de dix nouveaux Etats, qui arrivent alors que la crise nous a mis K.-O. ; ralentissement décevant de la dynamique européenne, incapable de mettre sur pied une force d'intervention rapide qui ait assez de crédibilité pour jouer un rôle dissuasif ; écart de croissance entre Europe et Amérique, écart aggravé des niveaux de vie.
Une sorte de séisme.
Jacques Chirac, avec sa vitesse coutumière, a eu tôt fait de conclure un accord avec M. Schröder, de marginaliser Tony Blair, de morigéner les pays proaméricains qui entrent en mars dans l'Union ; et d'affirmer son leadership européen par des assauts diplomatiques contre Washington. Après quoi, avec le soutien de M. Schröder, il a expliqué aux Etats membres que la violation des critères de Maastricht était à prendre ou à laisser. Ce n'est pas une politique européenne, c'est une sorte de séisme dont on observe les résultats une fois que la poussière est retombée. On l'a assez dit : à l'arrogance américaine, correspond bien une arrogance française au sein de l'Europe. La France fait, sur le continent, une politique qui est le succédané peu glorieux de celle de M. Bush.
Et au fond, n'est-ce pas ce que ressentent certains des commissaires de Bruxelles qui se seront dit que la France et l'Allemagne vont un peu vite en besogne et qu'on les rappelle aux principes qu'elles ont elles-mêmes décidés ?
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