L'émeute de la gare du Nord

Le grand désordre

Publié le 29/03/2007
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CET INCIDENT N'AURAIT pas été mentionné dans cette chronique s'il ne traduisait une défiance populaire à l'égard de toute forme d'autorité, et même de toute régulation administrative, comme si existait, dans l'âme des Français, un besoin d'anarchie.

Les échauffourées entre civils et forces de l'ordre deviennent tellement fréquents qu'on ne peut les mentionner tous. On peut en revanche se demander pourquoi ils se produisent. Il ne fait aucun doute que ces heurts violents entrent dans le cadre d'une remise en cause de l'autorité. Certes, ceux qui l'exercent ne sont pas forcément des anges et, dans le cas qui nous intéresse, seule l'enquête dira s'il y a eu abus de pouvoir ou brutalités policières.

La force de la rumeur.

Mais, même si de tels faits étaient confirmés, on ne comprendrait pas que, spontanément, la foule alertée ait pris fait et cause pour le passager sans billet et qu'elle se soit mobilisée en faveur de l'infraction et contre ceux qui la répriment. Il ne peut s'agir que d'une politisation à outrance du problème de la délinquance, grâce à la multiplication des analyses qui tendent à démontrer que tout comportement asocial a de profondes causes socio-économiques ou psychologiques. Des pauvres seraient amenés à pratiquer une fraude sans gravité, donc tous les fraudeurs sont des victimes.

Ce genre d'explication finit par opposer un peuple ronchon à un pouvoir répressif ; mais cette façon de voir est d'autant plus contradictoire que les gens qui se sont dressés contre la police paient leur billet. On a donc assisté mardi à Paris à la manifestation d'une animosité et d'une révolte partagées par beaucoup de citoyens et aggravées par la rumeur : si on ne s'informe pas avant de s'indigner, on saisit au vol la rumeur et on en fait la cause de l'indignation. On légitime de la sorte les fausses nouvelles, la petite délinquance et la violence non seulement contre les forces de l'ordre, mais aussi contre des boutiques ou du mobilier urbain qui n'ont rien à voir avec l'histoire.

Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont été tous les deux imprudents quand ils ont commenté l'affaire de la gare du Nord avant de disposer des éléments d'information qui ne seront obtenus que pendant l'enquête. Mme Royal pense que la police doit traiter humainement les petits fraudeurs. M. Sarkozy lui répond que si elle juge normal qu'un passager n'achète pas son billet, c'est son affaire.

La vraie question porte sur le comportement des forces de l'ordre. A la radio, on a pu entendre des gens fort peu cohérents déclarer que le chef de gare n'avait pas à demander au passager son titre de transport ; d'autres affirment que le jeune homme a été roué de coups, mais sans avoir assisté à la scène, d'autres disent qu'ils ont assisté à la scène. Pour le moment, la police indique que le passager est connu de ses services et qu'il n'a pas de papiers, et sans doute pas d'autorisation de séjour en France.

On se tiendra à égale distance des deux empressements, celui du candidat de la droite qui, compte tenu de sa réputation, aurait dû réaffirmer son opposition de principe à toute brutalité policière ; et celui de la candidate socialiste qui s'est autorisée à commenter un événement sur lequel elle était très mal informée .

Compte tenu du défi lancé à l'autorité dans ce pays, Mme Royal aura beaucoup de mal à gouverner si elle absout tous les délinquants et qu'elle condamne les fonctionnaires à son service. L'« ordre juste », ce n'est sûrement pas le désordre. Et Mme Royal, en tant que candidate, doit assumer ses responsabilités, qui sont déjà lourdes.

LE REJET DE L'AUTORITE S'APPUIE SOUVENT SUR DE FAUSSES REFERENCES

Un grand-père expulsé.

L'incident de la gare du Nord nous renvoie à celui qui, la semaine dernière, a opposé une directrice d'école à des policiers venus interpeller le grand-père sans papiers d'un élève chinois. L'enseignante a été arrêtée et placée en garde à vue, ce qui a déclenché un tollé national. M. Sarkozy s'est senti obligé d'exiger que de telles interpellations n'aient plus lieu près des écoles de la République. Là encore, une citoyenne extrêmement respectable a remis en cause les lois qui permettent l'interpellation d'un immigré clandestin, fût-il grand-père ; elle a été scandalisée au point, semble-t-il, d'avoir eu un comportement violent qui expliquerait sa garde à vue. On ne sait pas encore qui a été vraiment violent, de l'enseignante ou de la police. Ce qu'on voit, c'est que la solidarité avec les immigrés clandestins est répandue ; que des milliers de nos concitoyens se révoltent contre leur expulsion ; que la latitude laissée aux forces de l'ordre pour qu'elles accomplissent leur mission contre les sans-papiers les conduit à des actes brutaux ou répréhensibles, par exemple quand un grand-père est emmené au poste sous les yeux de ses petits-enfants.

Comme en 1942 ?

Il demeure que la logique qui anime la directrice d'école est incompréhensible : si on suit son raisonnement, n'ouvre-t-on pas les portes du pays à un milliard de Chinois ? Une de ses partisanes a donné le fin mot de l'affaire : l'arrestation du grand-père, a-t-elle affirmé dans un micro, lui rappelle la rafle de 1942 ; on a dénoncé les Français qui ne se sont pas opposés, à l'époque, à la déportation des Juifs, et la dame en question préfère être dans le camp de ceux qui résistent.

On ne pouvait, sur un ton calme et courtois, prononcer de plus grande énormité. On ne pouvait commettre de plus scandaleux amalgame entre la régulation d'un flux migratoire et l'un des actes de collaboration les plus honteux qu'ait commis le régime de Vichy, entre des immigrés venus s'installer illégalement en France et des citoyens trahis par leur propre Etat, entre la Shoah et des poursuites contre des immigrés clandestins dont la vie n'est nullement menacée. Cela revient à dire que les Juifs, sous l'Occupation, étaient des délinquants à protéger. Après les victimes innocentes, voici les coupables victimes.

Le sort des clandestins renvoyés chez eux n'est pas gai. Que certains de nos concitoyens s'élèvent avec force contre le traitement qui leur est infligé montre qu'ils ont du courage et le sens de la solidarité. Mais ils ne sauraient s'appuyer sur une argumentation fausse, révoltante et absurde sans ruiner la cause qu'ils défendent.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8137