Ce n'est plus un secret pour personne. Pour enrayer la dégradation des comptes de la Sécurité sociale, plutôt que d'augmenter la CSG ou les cotisations sociales, le gouvernement aimerait bien transférer une partie des dépenses qui incombent aujourd'hui au régime général vers les assurances complémentaires. Depuis plusieurs mois, l'idée était dans l'air, elle a été saisie au vol par le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jacques Barrot, puis par le ministre des Affaires sociales, François Fillon.
De son côté, aux manettes de l'assurance-maladie, Jean-François Mattei a fait son analyse : les dépenses de santé vont inéluctablement augmenter et, même en les maîtrisant le mieux possible avec le concours des professionnels, l'assurance-maladie, étant donné ses recettes, ne pourra pas suivre. Dans ces conditions, pourquoi ne pas appeler les organismes complémentaires - les mutuelles, les institutions de prévoyance et les sociétés d'assurance privées - à la rescousse ? Pourquoi ne pas leur demander de prendre en charge ce que ne rembourserait plus la Sécurité sociale, laquelle rétrécirait son actuel panier de soins selon des modalités qui restent à définir (on n'entrera pas ici dans le débat petit risque/gros risque, ni dans celui de la possibilité donnée aux complémentaires d'assurer au premier euro) ?
Ce faisant, les Français resteront en théorie couverts comme auparavant, sans payer plus cher pour la Sécurité sociale - même si, qu'ils soient mutualistes ou assurés, leurs cotisations ou leurs primes risquent d'exploser, ainsi que le fait remarquer le délégué national du Parti socialiste aux questions de santé, le Dr Claude Pigement, et même si on leur propose des contrats à géométrie très variable.
Une promesse de Jacques Chirac
Pour que ce basculement puisse avoir lieu, deux conditions doivent être réunies. D'abord, si l'on veut que personne ne soit laissé au bord du chemin, tous les Français doivent être affiliés à une assurance complémentaire. Or 8 %, aujourd'hui, ne le sont pas. En campagne, Jacques Chirac a posé un premier jalon en défendant l'instauration d'un régime de déductibilité fiscale et de crédit d'impôt afin d'encourager l'adhésion à un organisme complémentaire, promesse reprise en octobre par Jean-François Mattei devant les députés réunis en commission des Affaires sociales.
Partie intégrante du plan Juppé, l'assurance-maladie universelle, qui va plus loin que la CMU des socialistes, revient sur le devant de la scène. Non sans poser des questions. Premier problème : si l'assurance complémentaire ne devient pas obligatoire, il se trouvera toujours des usagers pour refuser de souscrire un contrat... et l'inégalité d'accès aux soins pointera son nez. Une critique récusée par les défenseurs du système qui insistent sur le fait que le panier de soins retenu pour le régime de base contiendra l'indispensable (sur le modèle des trois échographies par grossesse remboursées d'aujourd'hui). Mais, autre interrogation, que les Français soient contraints d'adhérer à une mutuelle ou à une assurance pour leur santé et la frontière régime de base/régime complémentaire deviendra floue. D'autant plus que les mutuelles ou les assurances occupent déjà aujourd'hui très bien le terrain dans certains secteurs comme la ville (voir graphique), et que, de « complémentaires », elles deviendront vite « primaires ».
Les complémentaires ne seront pas des tiroirs-caisses
Seconde condition de réussite, sur laquelle le ministre de la Santé recevra un rapport la mission Chadelat au début de 2003 : la place des organismes complémentaires dans l'architecture du système. Il est impossible de demander aux complémentaires d'étendre leur périmètre de prise en charge sans rien leur donner en échange. Plus que d'une éventuelle extension de son domaine d'intervention, le président de Mutualité française, Jean-Pierre Davant, préfère d'ailleurs parler de « responsabilité accrue ». Le ministre de la Santé était très clair à ce sujet dans les colonnes du « Journal du dimanche » du 17 novembre : « Nous ne pouvons plus considérer les complémentaires comme des tiroirs-caisses de secours. La moindre des choses est donc de les associer pleinement à la gestion du système. »
Les conditions d'une réforme sont réunies. Le retrait du Medef de la gestion des caisses d'assurance-maladie a laissé un vide - « Le paritarisme tout seul, c'est aussi drôle que le tennis à un », ironise l'expert Jean de Kervasdoué. Le financement de l'assurance-maladie dépend de moins en moins des revenus du travail et s'assoit de plus en plus sur ceux du capital. L'instauration de la CMU a changé la base de la légitimité des droits à l'assurance-maladie...
Les syndicats sur le qui-vive
Si l'on veut être provocateur, on peut même remarquer avec Jean de Kervasdoué qu'il y a en France plus de mutualistes que de syndiqués et que, au niveau de leurs représentants à l'assurance-maladie, il paraîtrait logique de grignoter la place des seconds pour élargir celle des premiers qui, s'ils siègent aujourd'hui au conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), n'ont aucune prise sur les mécanismes de régulation ni sur les niveaux de remboursement. « Il faut réfléchir sans tabou. Puis faire des choix. Certains seront possibles, d'autres, même s'ils sont souhaitables, ne le seront pas », affirme, réaliste, Jean-Pierre Davant.
Jean-François Mattei donnera-il un coup de pied dans la fourmilière ? Osera-t-il remettre en cause le pilotage de l'assurance-maladie par les syndicats de salariés ? Ceux-ci, en tout cas, sont en alerte et fourbissent leurs armes. Le président (CFDT) de la CNAM, Jean-Marie Spaeth, a fustigé la semaine dernière, lors du forum « Economie Santé-Les Echos », la « défausse des régimes obligatoires d'assurance-maladie sur les régimes complémentaires ». Parmi les administrateurs de la CNAM, l'hostilité à un pouvoir décisionnel agrandi des complémentaires est à peine voilée. « C'est un sujet d'inquiétude », admet Bernard Salengro (CFE-CGC). « Je ne suis absolument pas pour accorder aux organismes complémentaires une place plus importante au sein de l'assurance-maladie, s'emporte André Hoguet (CFTC), car ils n'ont pas les mêmes intérêts que nous. »
L'opération « mutualisation de la Sécu », si elle est sortie des cartons, est encore balbutiante. Quelques députés font de l'activisme, parmi lesquels Jacques Barrot, bien sûr, mais aussi le frondeur Bernard Accoyer (UMP, Haute-Savoie) ; les conseillers chargés de ces questions dans les cabinets de l'Elysée, de Matignon, des ministères des Affaires sociales et bien sûr de la Santé s'agitent ; les notes des experts s'entrecroisent... Mais pour l'instant, « il n'y a pas de synthèse de ces travaux », assure un observateur.
Sûr de son constat, le gouvernement a commencé d'avancer ses pions. Il va continuer de le faire au cours des prochains mois. Mais d'une réforme on ne verra pas le début du commencement tant qu'il ne se sera pas occupé des retraites, tâche qu'il s'est assignée pour le premier semestre 2003. Et puis la Mutualité ne signera rien sans l'aval des mutualistes. Or c'est en juin, seulement, qu'elle les réunit pour son congrès trisannuel.
Les mutuelles peuvent-elles boucher le trou ?
Il y a vingt ans, les mutuelles contribuaient au financement des soins et des biens médicaux à hauteur de 5 %. En 1990, ce chiffre était de 6,1 % et en 2001, alors que le gâteau s'était entre temps considérablement agrandi, leur participation atteignait 7,5 %. Sur les 9,6 milliards d'euros que représentent aujourd'hui les prestations versées chaque année par les mutuelles, 31,7 % sont consacrées au médicament, 20,5 % aux honoraires médicaux, 14,2 % aux honoraires dentaires et 14,2 % aux soins hospitaliers.
Les assurances complémentaires - c'est-à-dire les mutuelles, mais aussi les institutions de prévoyance (2,3 % du financement) et les assurances privées (2,4 %) - peuvent-elles empêcher le dérapage des comptes de la Sécurité sociale ? Un calcul rapide prouve que non, bien évidemment. Car les prestations des complémentaires représentant quelque 15 milliards d'euros. Vouloir qu'elles épongent un trou qui, pour l'assurance-maladie, devrait atteindre en 2003 les 7 milliards d'euros reviendrait à leur demander d'augmenter leurs interventions... de plus de 45 %. Difficilement imaginable.
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