LA CONVENTION MÉDICALE nationale a-t-elle encore un avenir ? Si la question ainsi posée est provocatrice, il semble évident que plus rien ne sera comme avant sur le front conventionnel. Dans le camp des « pro » comme dans celui des « anti », chacun entrevoit une nouvelle donne. Au moins quatre menaces, réelles ou supposées, peuvent remettre en question le fonctionnement de la convention, l'autonomie des syndicats et leur capacité à engager la profession.
Stabilisateurs: les augmentations aux calendes grecques?
Le nouveau mécanisme des stabilisateurs économiques a été exigé par les « financiers » de Bercy et inscrit dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2008 comme la première mesure du volet maladie. Ce système vise à renforcer la régulation des rémunérations en ville et fonctionne comme un double « verrou ». Primo, il instaure une période d'observation automatique de six mois avant l'application de toute mesure de revalorisation des professionnels conventionnés. «Il s'agit de mieux prévenir les risques de dépassement», argumente-t-on au ministère de la Santé. Deuxio, en cas de déclenchement d'une procédure d'alerte sur les dépenses maladie – dont le secteur ambulatoire serait responsable –, l'entrée en vigueur des augmentations tarifaires est suspendue et reportée au 1er janvier de l'année suivante (sauf renégociation du calendrier). Pourquoi ce tour de vis ? Le gouvernement a été échaudé par le cas de figure de l'été dernier lorsqu'il avait été obligé de valider l'augmentation de 1 euro du C (conformément à un accord conventionnel) en pleine procédure d'alerte justifiant des mesures de redressement. Ce qui n'avait pas facilité sa pédagogie de crise sur les efforts demandés à chacun.
Mais alors que la convention a souvent connu des ratés, des retards et autres bugs, la mise en place de délais aussi longs avant d'appliquer des accords tarifaires risque d'avoir un effet démobilisant. Pour le Centre national des professions de santé (CNPS), ces nouveaux «stabilisateurs rendent illusoire toute avancée conventionnelle».
De fait, on peut se demander quelle légitimité auront les syndicats à parapher un accord qui ne s'appliquera jamais avant six mois ou un an ? Ce système rendra «hypothétiques et virtuels les engagements entre les parties signataires, toute contractualisation devient impossible car aléatoire », redoute aussi la CSMF. Une porte de sortie serait de négocier des accords pluriannuels (la période d'observation ne jouant que pour la première échéance…).
Contrats individuels: la maîtrise sous tutelle?
Autre nouveauté du PLFSS susceptible de changer la donne conventionnelle : l'introduction de mesures de contractualisation individuelle avec les caisses primaires (assorties d'une rémunération à la performance). Roselyne Bachelot a beau invoquer la nécessité de «stimuler» la dynamique contractuelle en s'adressant directement aux médecins «qui veulent aller plus loin» (objectifs de prescription, d'amélioration des pratiques, de prévention, de dépistage, de continuité des soins…), difficile de ne pas voir dans cet arsenal une manoeuvre de contournement des syndicats et un coin dans la convention nationale.
Pour le CNPS, la contractualisation individuelle «isolera» les professionnels en les exposant à la tutelle des caisses. Même si ces contrats spécifiques sont conformes à un document type élaboré par l'Union nationale des caisses d'assurance-maladie (UNCAM), le suivi du dispositif pourrait être très différent selon les départements, le zèle des directeurs de CPAM ou l'existence de conflits locaux. Le risque d'arbitraire existe. «L'objectif est de renforcer la pratique contractuelle, et non pas de s'y opposer, a martelé Roselyne Bachelot au Sénat. Ces contrats ne se substituent pas à la convention. C'est la raison pour laquelle la procédure d'élaboration du contrat type, si elle ne s'inscrit pas dans le cadre conventionnel classique, n'exclut pas les syndicats conventionnels et l'UNOCAM (Union nationale des organismes complémentaires santé) , ce qui me paraît très important.»
Etats généraux: les opposants sur les plates-bandes de la convention?
Depuis la suppression, l'an passé, du droit d'opposition aux avenants conventionnels, les organisations hostiles à la convention n'ont plus voix au chapitre. Jamais consultés, ou presque. L'organisation des prochains états généraux, à compter de janvier 2008, leur donne l'opportunité d'un retour spectaculaire. D'autant qu'il ne s'agit plus seulement de parler de démographie (la réponse à la mobilisation des jeunes médecins sur la liberté d'installation) mais bien de l' «organisation de la santé». La vocation de ces états généraux est donc extrêmement large et ils embrasseront forcément nombre de thèmes conventionnels. De là à penser qu'ils fixeront un cadrage serré sur tous les sujets, et même videront les négociations conventionnelles d'une partie de leur substance, il n'y a qu'un pas. Dans nos colonnes (« le Quotidien » du 5 novembre), Roselyne Bachelot a prévenu : «Dans ce qui relève du dialogue conventionnel, les états généraux de l'organisation de la santé devront fournir des orientations à prendre en compte.» Ce n'est pas un hasard si «l'Intersyndicale majoritaire» des médecins libéraux (MG-France, FMF, Espace Généraliste, Union collégiale) a repris des couleurs et promet d'apporter lors des états généraux «ses propositions pour organiser le système de soins». La FMF a programmé une assemblée générale extraordinaire le 16 décembre (lire page 6). Au menu : les états généraux, mais aussi l'opportunité de signer la convention.Si l'on ajoute la volonté des jeunes médecins, grands absents des discussions conventionnelles, de se faire enfin entendre à cette occasion, on mesure mieux les enjeux politiques de ce rendez-vous. Qui risquent d'éclipser quelque peu les négos habituelles…
ARS: quelle place pour les professionnels libéraux?
Quel sera le périmètre des futures agences régionales de santé (ARS) ? Les libéraux de santé pourront-ils s'y faire entendre ou seront-ils noyés dans des structures aux mains de l'administration hospitalière et de l'assurance-maladie ? Faudra-t-il demain négocier son budget en région ? Les réponses à ces questions pèseront lourd sur la vie conventionnelle. «Pourquoi ne pas introduire une marge de bonification dans la convention nationale des médecins libéraux, une enveloppe régionale, un ORDAM [un objectif régional des dépenses d'assurance-maladie, NDLR] ?», a déjà suggéré Roselyne Bachelot lors du premier colloque sur les ARS.
Pour certains, la menace est claire : avec les ARS, l'Etat sera tenté de s'affranchir du système conventionnel. Ce qui serait une autre façon de reprendre la main sur la médecine libérale.
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