DE L'IBUPROFÈNE, de l'hydrocortisone, du lopéramide, de la cétirizine, des patchs et des gommes à la nicotine, du minoxidil, des sirops pour la toux, des comprimés pour les maux d'estomac, du paracétamol et des vitamines : la liste des 217 médicaments allopathiques (sans oublier 12 médicaments traditionnels à base de plantes et 19 médicaments homéopathiques) qui peuvent être, à partir d'aujourd'hui, en libre accès dans les officines vient d'être publiée au « Journal officiel » du 3 juillet*.
Ces médicaments peuvent être en libre accès, mais ne le seront pas nécessairement, comme l'a rappelé mardi matin Roselyne Bachelot, à l'occasion de la parution du décret définissant les conditions d'admission de ces spécialités à la vente en libre accès. En effet, pour y accéder, il faut tout d'abord que le titulaire de l'AMM en fasse la demande, que ces spécialités remplissent les critères d'admission prévus par le décret, mais aussi et surtout que le pharmacien accepte de mettre en place une zone de médicaments en libre accès près de son comptoir, ce à quoi aucun texte ne le contraint.
Guides à l'attention des patients.
De la même manière, si tous ces médicaments ont en commun d'être déjà de prescription facultative, cette condition, certes nécessaire, n'est pas suffisante, comme l'a rappelé Jean Marimbert, directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS). Roselyne Bachelot a ainsi souligné que la Direction générale de la Santé (DGS), pilotée par Didier Houssin, et l'AFSSAPS avaient travaillé dur pour établir la liste des 217 médicaments : des groupes de travail ont été constitués «pour définir les conditions d'agencement et d'information, ainsi que le champ des produits concernés et les conditions réglementaires nécessaires à la mise en oeuvre de cet accès direct». De plus, a encore rappelé la ministre de la Santé, l'AFSSAPS «a travaillé pendant des mois à établir les critères de sécurité sanitaire et la liste précise des médicaments susceptibles d'être proposés en accès direct». L'AFSSAPS a également rédigé des guides à l'attention des patients, «rappelant les règles d'or d'une automédication bien maîtrisée ainsi qu'une série de fiches d'information».
La ministre de la Santé a aussi précisé que les zones en libre accès que les pharmaciens seraient libres d'installer ou non ne devraient pas s'apparenter à des linéaires de grandes surfaces : «Cette zone devra être située à proximité des caisses et il ne sera pas question d'y voir des promotions du genre trois boîtes pour le prix de deux.»
Enfin, Roselyne Bachelot a précisé que les résultats du libre accès feraient «l'objet d'une évaluation du ministère de la Santé» et qu'un observatoire des prix serait prochainement mis en place. Quant à la question de savoir si, selon elle, le prix des médicaments en libre accès allait baisser, la ministre de la Santé a reconnu qu'elle était «incapable de le dire».
Quant à la finalité de l'opération, Didier Houssin a parlé «d'intérêt en santé publique. Cela va dans le sens de la simplification de la vie des gens et de la responsabilisation des malades, acteurs de leur santé». De même, a ajouté le directeur général de la Santé, «cela va valoriser le rôle du pharmacien», dont l'activité de conseil devrait sortir renforcée de l'opération, «et celui du médecin car, dans le cadre d'une automédication responsable, ils vont gagner du temps médical».
Enfin, pour les pharmaciens qui seraient inquiets pour l'avenir de leur monopole sur la vente de médicaments à prescription facultative, Roselyne Bachelot a assuré que «la vente devant le comptoir est la meilleure manière de protéger le pharmacien de la vente en grande surface». Lors d'une interview publiée aujourd'hui par « le Quotidien du Pharmacien », la ministre de la Santé assure que «ce n'est pas le libre accès de certains médicaments devant le comptoir qui pourra ébranler le principe de monopole que je défends avec conviction et constance dans l'intérêt de la santé publique».
Ces mêmes pharmaciens n'ont malgré tout pas l'air totalement convaincus par l'argument ministériel : selon un récent sondage dans ce même quotidien, seulement 37,5 % d'entre eux se disent décidés à installer dans leur officine une zone dédiée aux médicaments en libre accès.
* La liste complète est disponible sur notre site quotimed.com et sur le site de l'AFSSAPS : http://afssaps.sante.fr.
Médecins et patients dubitatifs
L'annonce de la publication du décret autorisant la vente en accès direct de 217 médicaments a provoqué des réactions mesurées, mais pas franchement enthousiastes.
Pour le Dr Isabelle de Beco, présidente de la Société de formation thérapeutique du généraliste (SFTC), «le rôle du généraliste est d'accompagner le patient dans la prise en charge de sa santé. Or la réponse à la maladie par le médicament n'est pas la seule réponse et elle doit être réfléchie». Isabelle de Beco craint par ailleurs que cette mise à disposition en libre accès n'augmente les inégalités en santé : «Plus il y aura de médicaments en libre accès, moins il y en aura de remboursés. C'est considérer la santé comme une marchandise.» Isabelle de Beco craint enfin les risques iatrogènes liés à une consommation pas forcément éclairée de médicaments.
Pour le Dr Martial Olivier-Koehret, de MG-France, si l'idée du libre accès aux médicaments est défendable, «cela suppose des patients bien informés car le bon usage des médicaments par les patients demande à être construit». Le Dr Olivier-Koehret se demande par ailleurs comment le médecin pourra savoir ce que ses patients ont réellement consommé comme médicaments, avec les risques iatrogènes à la clé, et craint que l'association systématique symptôme-médicament ne retarde l'accès aux soins par le patient : «Tout retard dans l'accès aux soins est un coût supplémentaire pour l'assurance-maladie.» Enfin, plus généralement, le Dr Olivier-Koehret a des doutes sur l'avenir du monopole officinal : «En faisant passer les médicaments devant le comptoir, on les prépare à traverser la rue.»
Côté patients, enfin, si le CISS (Collectif interassociatif sur la santé) «n'a pas d'opposition de principe sur le libre accès», il regrette que cela se fasse d'un coup : «L'automédication aurait du être mise en place progressivement, pour habituer le patient». Le CISS souhaite à tout le moins que le patient dispose de plus d'information et que le pharmacien voie son rôle de conseil renforcé : «Ce n'est pas toujours facile à faire dans une officine pleine de clients», regrette le CISS, qui craint en outre les risques iatrogènes attachés à une consommation de médicaments hors du contrôle du médecin. Enfin, le CISS demande la «création d'un organisme de contrôle des prix des médicaments en libre accès», pas très éloigné, semble-t-il, de l'observatoire des prix promis par Roselyne Bachelot.
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