DE NOTRE CORRESPONDANT
À L’ISSUE de leur manifestation nationale du 19 mai, qui a réuni 25 000 médecins à Berlin, 11 000 à Stuttgart et 6 000 à Cologne, les médecins libéraux allemands ont annoncé une semaine de fermeture totale de leurs cabinets, du 12 au 16 juin, c’est-à-dire pendant la Coupe du monde de football. De leur côté, les hospitalo-universitaires, en grève depuis plusieurs semaines, observeront quelques jours de « pause », du 29 mai au 4 juin, le temps de traiter un certain nombre de patients qui ne peuvent attendre plus longtemps, puis reprendront leur mouvement pour au moins une semaine.
Jugeant les quelques avancées salariales qui leur ont été faites totalement insuffisantes, ils se déclarent prêts à un mouvement à durée illimitée : comme l’explique le Dr Frank Montgomery, président du syndicat Marburger Bund, qui mène ces actions, «les médecins sont très fortement motivés, au point qu’ils ne sollicitent même pas notre caisse de secours pour des compensations de salaire».
Accueil glacial.
C’est dans cette ambiance très combative que s’est ouvert mardi dernier à Magdeburg le congrès annuel des médecins, qui réunit l’Ordre et les principales organisations professionnelles du pays. Comme chaque année, mais cette fois dans une atmosphère plutôt glaciale, la ministre Ulla Schmidt s’est exprimée devant le congrès, en minimisant les responsabilités du gouvernement dans la crise : elle rappelle qu’une grande partie de ce que les libéraux rejettent aujourd’hui a été négociée avec leurs représentants au cours des deux dernières années. Ce qui est partiellement exact, à la nuance près que les syndicats traditionnels ont été totalement dépassés par les coordinations dans le mouvement de protestation et de ras-le-bol actuel.
Il n’en reste pas moins que c’est le fameux « bonus-malus » sur les prescriptions, projet gouvernemental s’il en est, qui a mis le feu aux poudres. Ce texte, appelé «plan de rationalisation des médicaments», est officiellement entré en vigueur au début du mois de mai. Il prévoit notamment des reversements d’honoraires pour les médecins qui ne respecteraient pas les «doses quotidiennes de prescriptions» pour certaines maladies, et des «bonus» pour ceux qui prescriraient moins que ces doses.
Ulla Schmidt entend lancer, avant l’été, un nouveau projet de réforme qui concernera notamment le financement de l’assurance-maladie : l’Allemagne se dirige vers un élargissement des bases de cotisation, qui ne porteront plus sur les seuls salaires, mais, sous la forme d’une CSG, sur tous les revenus et les capitaux. De plus, la ministre souhaite que de nouvelles mesures incitent les médecins à prescrire encore moins d’examens et de médicaments. Elle rappelle qu’il est anormal que l’Allemagne soit l’un des pays gros prescripteurs d’Europe, au point que le montant annuel des prescriptions dépasse de deux milliards celui des consultations. Elle a laissé entendre aux médecins que des revalorisations d’honoraires étaient possibles, mais en échange d’économies, notamment sur les ordonnances.
La ministre s’en est prise aux manifestants qui la brocardent avec plus ou moins de finesse lors des défilés dans la rue, où elle figure sur d’innombrables banderoles et slogans. «Je voudrais aussi que les médecins arrêtent de défiler en criant « Adieu Berlin, hello London » , surtout quand le président de l’Ordre déclare lui-même que, s’il était pauvre et malade, il préférerait être soigné ici qu’en Angleterre», a-t-elle ajouté, en faisant allusion aux nombreux médecins qui choisissent de s’expatrier provisoirement ou définitivement pour obtenir de meilleurs revenus.
Le président de l’Ordre, le Pr Jörg Dietrich Hoppe, a rappelé à Ulla Schmidt que la «désertification médicale» s’aggrave dans plusieurs régions, notamment à l’est, parce que les jeunes médecins ne veulent plus s’installer avec de mauvaises conditions de vie et de revenus, et que le phénomène gagnera bientôt tout le pays : «Je connais beaucoup de médecins qui, sans même quitter l’Allemagne, préfèrent devenir administrateur de clinique car ils gagneront du jour au lendemain deux fois plus en travaillant deux fois moins», a-t-il souligné. Pour le Pr Hoppe, le malaise général actuel se résume dans l’évolution des relations entre les médecins et leurs patients : «Autrefois, c’était le dialogue médecin-malade qui déterminait le traitement; aujourd’hui, la décision appartient d’abord au législateur, puis à l’Union des caisses, puis à la caisse locale, et enfin seulement au médecin et au malade.» La colère et la frustration des médecins ne s’apaisera que lorsque cette situation évoluera, a-t-il rappelé, avant de réaffirmer la totale solidarité de l’Ordre avec les grévistes, tant libéraux qu’hospitaliers.
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