LE TEMPS DE LA MEDECINE
« Quand on parle de goût, on définit toutes les perceptions chimiosensorielles orales et nasales et surtout leur mélange mental », explique B. Schaal. « Dans la sommation des impressions, les perceptions olfactives prédominent, représentant 80 % de la sensation.». Aussi les chercheurs travaillent-ils beaucoup sur les nouveau-nés et les premières manifestations de l'odorat pour savoir comment ce sens détermine les préférences gustatives.
Les mimiques faciales de nouveau-nés de moins de 3 jours montrent qu'ils peuvent différencier des odeurs en termes de qualités plaisantes ou déplaisantes. La vanille, par exemple, entraîne des mimiques positives et l'acide butyrique (l'odeur du lait fermenté) des grimaces.
Des recherches sur le développement olfactif prénatal ont été réalisées sur l'animal. Par des cathéters intranasaux, on a injecté à des agneaux des solutions odorantes (de citron et d'excréments de chien qui font réagir fortement des brebis) et on a enregistré leur rythme cardiaque. Dès la période foetale, ils réagissent fortement aux odeurs aversives pour toute l'espèce.
Pour l'étude chez l'homme, on a testé des enfants prématurés en considérant leurs réponses comme équivalentes à celles du ftus in utero du même âge. Dès 31 semaines après la conception, ils ont des réactions différenciées (mimique faciale et variations du rythme cardiaque) aux odeurs de vanille et d'acide butyrique (données à des concentrations très faibles puisque alignées sur les concentrations d'odeur du lait maternel).
Le foetus mémorise l'information
On a aussi demandé à des femmes enceintes de consommer des odorants alimentaires, en l'occurrence de l'anis, pendant les deux semaines précédant la naissance, pour savoir si l'on peut modeler une réponse particulière des nouveau-nés. La réponse est positive : les enfants nés de mères « anisées » orientent leur nez plus longuement vers l'anis que les autres, qui ne font pas de choix différentiel. Les mêmes résultats sont observés 3 heures après la naissance, avant toute expérience d'ingestion, et quatre jours après la naissance.
« Le foetus perçoit, mémorise et utilise après la naissance l'information qu'il a acquise », résume Benoît Schaal.
L'allaitement pour la diversité des goûts
Il existe une succession de périodes où le cerveau est très plastique et où il apprend de façon séquentielle les stimulations associées aux différentes interactions avec la mère. Une expérience américaine a été menée chez des femmes enceintes qui ont consommé du jus de carottes. Au moment du sevrage (5 ou 6 mois), les enfants exposés à la carotte avant et après la naissance manifestent une préférence pour ce goût.
L'allaitement est donc un déterminant du goût.
Les enfants qui ne sont pas nourris au sein apprennent également, mais d'une autre manière. Des bébés nourris par certaines formules lactées, contenant par exemple des hydrolysats de protéines qui ont un goût amer, aiment par la suite des aliments porteurs d'amertume comme le chou ou le brocoli. De la même manière, des enfants ayant consommé des laits acides ont un goût plus prononcé pour les aliments à connotation acide.
L'allaitement maternel favorise l'apprentissage de la variété des goûts. Plusieurs expériences montrent que des enfants qui ont été allaités précocement ont plus de facilité à accepter des aliments nouveaux après la naissance.
L'apprentissage est renforcé par les expériences interculturelles. On a comparé les réponses d'enfants de 8 à 12 ans de trois cultures - canadienne, syrienne et indonésienne - à une palette de 14 odeurs (du très désagréable au très agréable). Ils sont d'accord sur les odeurs désagréables (fromage, sueur, odeurs fécales) mais ont des réponses très variées quant aux odeurs positives, en fonction de leurs habitudes (jasmin en Syrie ou en Indonésie par exemple, ou salicylate de méthyle, composant des bonbons au Canada).
Certaines odeurs (issues du corps humain, des excréments, des protéines en décomposition) font l'objet d'un rejet général. Que peut-on dire des déterminismes génétiques ? On sait que des nouveau-nés et des prématurés répondent de manière positive (avec des mouvements d'appétence et d'orientation orale), au goût sucré, répond B. Schaal. Il y a aussi très tôt une réponse clairement négative à l'amertume et à l'acidité. Quant au salé, les résultats divergent, selon les expériences, entre indifférence et appétence.
Lire « La Recherche », numéro de janvier 2002, V. Leclerc, P. MacLeod et B. Schaal, pp. 54-57 ; ainsi que « Olfaction Taste and Cognition » Cambridge University Press.
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